Sofina (Danone, Colruyt, Delhaize), un portefeuille jeune et moderne
Nouvelle étape de notre tour des holdings belges. Celui piloté par la famille Boël est de longue date un champion du “private equity”. Il s’est solidement ancré dans le 21e siècle globalisé, avec un bureau à Singapour, une belle présence dans l’e-commerce et plusieurs participations dans des entreprises indiennes.
C’est clairement à tort que Sofina a pu passer pour un holding un peu assoupi : il a commencé à investir dans les entreprises privées ( private equity) aux Etats-Unis dès 1978. Il avait fait de même en Belgique trois ans plus tôt, en épaulant un grossiste de Hal promis à un bel avenir : Colruyt. Le distributeur familial entrera en Bourse en 1977 et y signera un envol parmi les plus spectaculaires de la place bruxelloise. Colruyt est, en valeur, la seconde participation de Sofina, qui en détient toujours 5,2 %.
Dès le 22 janvier cette fois !
Ce n’est pas à tort, par contre, que Sofina a pu être qualifié de grande muette. A l’image de la famille Boël qui a, à partir des années 1950, progressivement pris le contrôle de cette ” Société financière de transport et d’entreprises industrielles ” fondée en 1898. Ainsi, les analystes financiers ont-ils un jour découvert avec stupéfaction que le holding belge n’était pas seulement entré au capital du groupe alimentaire français Danone en 1987, mais qu’il faisait partie des actionnaires s’étant engagés à participer à une (très grosse) augmentation de capital en cas d’OPA, une menace qui flottait dans l’air à l’époque. Ils l’ont appris à la lecture du rapport annuel, publié un an après la signature de cet engagement d’une taille un peu démesurée pour le holding. ” Il n’est pas étonnant que la décote de Sofina soit, à plus de 30 %, de loin la plus élevée du secteur, raillait à l’époque un analyste interrogé par Trends-Tendances : l’investisseur qui découvre une information aussi importante avec un an de retard est bien obligé d’exiger une grosse prime de risque. ”
De pareilles cachotteries sont évidemment impensables aujourd’hui. Tout en ne dévoilant pas une montagne de chiffres, le holding bruxellois a du reste franchement amélioré sa communication cette année. Alors que rien, ou presque, ne transpirait jusqu’ici avant la parution du rapport annuel, une petite newsletter de deux pages a fait le point sur le second semestre 2017 dès le 22 janvier. Elle évoquait les évènements majeurs et donnait le montant des fonds propres. Les analystes ont apprécié !
Pas d’ancêtres de la cote
Rien, dans le portefeuille de Sofina, ne trahit ses 120 ans d’âge : la plupart de ses participations sont assez jeunes en Bourse, voire très jeunes dans l’absolu. C’est vrai pour Danone (dont le holding détient un gros pour cent), tout comme pour Colruyt, ses participations les plus importantes. C’est encore plus vrai pour les Orpea, bioMérieux et SES qui suivent. Cela n’est pas un gage d’envol boursier pour autant, du moins sur la durée. Bien au contraire pour la sinistrée SES. En clôturant le premier trimestre 2018 sur une chute de 4,6 %, et en passant ainsi juste sous la barre des 11 euros, le titre de l’ex-Société européenne des satellites se retrouve en effet à moins d’un tiers de son sommet du printemps 2015 ! L’exercice 2017 ne fut pas brillant du tout et le doute à son égard s’est amplifié.
Mauvais début d’année aussi pour bioMérieux, le laboratoire lyonnais leader mondial du diagnostic in vitro. Mais si le titre vient de trébucher de 15 %, c’est après avoir triplé en 10 ans, ce qui est honorable, et avoir été multiplié par 10 depuis 2004, quand Sofina a pris une participation d’un peu plus de deux pour cent. Beau parcours aussi pour le géant français des maisons de retraite Orpea, qui affichait 86.650 lits à fin 2017, 55.000 employés et un chiffre d’affaires dépassant 3 milliards d’euros. Sofina est entré au capital (3,7 % aujourd’hui) en septembre 2013, quand l’action a repris son envol après plusieurs années difficiles. Le cours a triplé depuis.
Cap sur l’Inde
Trois des participations qui suivent dans le top 10 (voir le tableau “Les 10 premières participations de Sofina” plus bas) ressortissent au secteur de la vente par Internet, une autre à l’événementiel et la dernière aux biotechs. Quel est le lien, comment s’articule donc le portefeuille du holding Boël ? Premier pilier, qui représente la moitié des fonds propres : les investissements qualifiés de ” minoritaires à long terme “. Ils concernent généralement des entreprises européennes d’envergure internationale. Et, peut-on relever, souvent avec une empreinte familiale. Presque toutes les participations évoquées ci-dessus en font partie. Outre le groupe familial Mérieux (à travers bioMérieux, mais aussi sa filiale américaine Mérieux NutriSciences, dont Sofina détient plus de 15 %), on y relève notamment le holding luxembourgeois Luxempart (5,2 %), Petit Forestier (43,3 %), qui possède plus de 45.000 véhicules frigorifiques, GL events (15,4 %), géant français de l’événementiel, ou encore la maison vinicole Chapoutier (27 %) en vallée du Rhône.
La vente sur Internet est entrée en force dans ce portefeuille, avec le très important groupe français vente-privée (6 %), présent dans 14 pays, ainsi que le britannique THG (The Hut Group, 8,1 %), qui chapeaute quelque 120 sites spécialisés et a renoncé à la Bourse en 2014. Ce n’est pas tout : Sofina a également mis un pied (1,1 %) chez Flipkart, numéro un en Inde, qui susciterait la convoitise de Walmart. Cette participation affiche la bannière ” Sofina croissance “, une catégorie d’investissements qui représente aujourd’hui 11 % des fonds propres. Cibles : ” des sociétés privées à actionnariat concentré, dans lesquelles les fondateurs jouent un rôle significatif “. Ici, l’accent est mis sur les entreprises en forte croissance dans les pays émergents, complétés par les Etats-Unis et l’Europe. Les 18 participations aujourd’hui en portefeuille (après déjà six sorties) témoignent d’une forte présence en Inde. C’est toutefois à Singapour que Sofina a établi un bureau pour appuyer son développement en Asie. Continent où ” nous sommes passés, en quelques années, d’une poignée de relations à la mise en place d’un véritable réseau “, explique David Verey, président du holding.
Private equity : des relations solides
Sofina Croissance duplique d’une certaine manière un autre axe de développement du holding : le private equity, qui pèse un bon quart des fonds propres et qui est qualifié de ” gestion alternative ” dans la mesure où il englobe tant du venture capital (financement d’entreprises en démarrage) que du capital de croissance, ainsi que du financement de rachat d’entreprise ( leveraged buy-out, LBO). Cet investissement dans des entreprises non cotées est un métier particulier, dans lequel les investisseurs institutionnels – accompagnés parfois de très riches particuliers – confient des capitaux à des gestionnaires de fonds très spécialisés, avec lesquels ils entretiennent souvent une relation d’affaires de longue durée.
La direction de Sofina précise à ce sujet : ” Les meilleurs gestionnaires sont souvent sursouscrits et doivent limiter le nombre d’investisseurs ainsi que le montant de leurs engagements pour éviter que la taille du fonds ne devienne excessive. Il est donc crucial de nouer des relations solides avec ces gestionnaires afin d’être leur premier choix. ” L’investissement en private equity s’opère par le biais de fonds ; ils ont une durée de vie limitée, généralement 8 à 10 ans. En léger retrait d’une année à l’autre, la valeur des investissements consentis par Sofina s’établit à 1.447 millions d’euros à fin 2017, auxquels s’ajoutent 711 millions d’engagements non encore appelés.
L’heureux virage de 2014
Publiés à la veille du week-end de Pâques, les résultats de Sofina sont a priori fort satisfaisants, avec un résultat net part du groupe ayant fusé de 267,5 à 486,4 millions d’euros, ce qui représente 14,45 euros par action contre 8 en 2016 ; mais 8,5 euros en 2014 et 9,11 en 2015, doit-on ajouter. ” Ces résultats sont meilleurs que prévu, constate Thijs Hoste, analyste chez Degroof Petercam. Grâce au private equity, dont la prestation fut apparemment fort bonne (le holding ne fournit guère de chiffres à ce sujet, Ndlr) ainsi qu’à la plus-value dégagée sur Flipkart. ” Sofina a en effet répondu au programme de rachat d’actions propres lancé par le groupe Internet indien en cédant 15 % de sa participation. ” Le changement de stratégie initié en 2014, vers davantage de private equity, donne de fort bons résultats et le portefeuille recèle pas mal de trésors cachés “, poursuit Thijs Hoste. Qui maintient sa recommandation ” conserver ” avec un objectif de cours de 145 euros. A 136 euros, l’action affiche une décote de 18 % par rapport aux 168,8 euros de fonds propres par action qui ressortent du bilan 2017.
Beaux résultats, mais sans vraies surprises, juge de son côté Cédric Duinslaeger, analyste chez KBC Securities. Pas plus que du côté du dividende, augmenté de 4,3 %, à 2,67 euros bruts. L’intérêt du titre Sofina pour un investisseur privé est son importante présence dans le venture capital, c’est-à-dire le financement des entreprises à un stade précoce, et pas seulement dans le private equity. Cela distingue assez largement le groupe d’autres holdings belges. Et l’analyste de pointer des entreprises comme MissFresh, plateforme d’e-commerce qui livre des produits frais en Chine, ou encore Pine Labs, active dans les solutions IT pour les paiements en Inde. Il y a dès lors pas mal de valeurs cachées dans le portefeuille, même si l’on ne peut oublier les risques présentés par le venture capital. Jugeant la décote normale, Cédric Duinslaeger ne recommande pas l’action Sofina à l’achat pour autant, avec un objectif de cours de 138 euros, très proche du cours actuel.
Série: les holdings belges
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