Le blocage politique sur le budget ne remet pas fondamentalement en cause la taxe sur les plus-values. Même si la loi venait à être reportée, la date du 1er janvier pourrait s’appliquer rétroactivement. Par contre, un report de l’entrée en vigueur du texte compliquerait la vie des contribuables. Le point avec Bruno Colmant, Emmanuel Degrève et Thierry Litannie.
Le gouvernement fédéral n’arrive pas à se mettre d’accord pour un budget. Nouvelle deadline : Noël. Les autres projets, comme le malus pension, la réforme fiscale ou la taxe sur les plus-values sont donc en suspens. Cette dernière était pourtant censée entrer en vigueur au 1er janvier prochain.
Rétroaction
Première constatation : un report de l’entrée en vigueur ne remet pas en cause la taxe en elle-même pour l’année prochaine. Pourquoi ? Parce que la rétroaction de la mesure est toujours possible sur une même année fiscale. Par contre, les choses risquent de se compliquer pour le contribuable. “Si la loi est par exemple adoptée en mars ou avril 2026, elle peut très bien avoir un effet de rétroaction et donc compter pour les plus-values réalisées à partir du premier janvier 2026”, explique par exemple l’économiste Bruno Colmant. Le souci, c’est que des personnes auront réalisé des plus-values sans que la loi soit en vigueur. Ces plus-values seront donc taxables mais les banques n’auront pas l’autorité pour prélever cette taxe. Il reviendra alors aux contribuables de déclarer leurs gains.
“Les banques sont dans le flou. Si la taxe n’entre finalement pas en vigueur directement le 1er janvier comme prévu depuis des mois mais que rétroactivement, elles vont devoir prévenir leurs clients de garder ces fonds de côté, en attendant la loi. Donc en fin de compte, un report ne rendrait que les choses encore plus cauchemardesques qu’elles ne le sont déjà“, poursuit l’économiste. Il appelle ainsi les décideurs à prendre la date du 1er juillet comme entrée en vigueur de la mesure, si le texte est adopté au printemps, par exemple.
Des changements encore possibles ?
Pour Emmanuel Degrève, expert-comptable et président de l’ordre des experts-comptables belges (OECCBB), le scénario le plus probable est que le gouvernement arrive à un accord sur le budget et que la loi sur les plus-values soit donc également votée.
Mais il n’exclut pas que des “virgules” puissent encore changer, en fonction des négociations entre les partis pour arriver à un accord. Un taux plus élevé ? Une exonération plus importante ? “Des amendements et ajustement sont toujours possibles, le texte n’est qu’au stade d’avant-projet de loi”, détaille l’expert.
Dans d’autres scénarios, si le gouvernement venait à tomber, cela ne voudrait pas nécessairement dire que la taxe tomberait à l’eau. Une majorité parlementaire alternative pourrait toujours voter un autre texte pour taxer les plus-values.
Moins-values et exonération
Mais au-delà du report ou non, il y a encore des zones d’ombre qui persistent, soulignent les experts. Bruno Colmant revient ainsi sur les aspects techniques de cette loi. Les banques doivent garder la taxe sur les plus-values et la déclarer au fisc au plus tard le 15 du mois d’après. Mais pas les moins-values… qui sont pourtant déductibles. Le contribuable doit donc le faire lui-même, via sa déclaration fiscale. “Il ne récupérera donc cette déduction qu’un an et demi, voire deux ans plus tard”, insiste l’économiste.
L’expert craint aussi que des contribuables ne profitent pas vraiment de ces moins-values, ni de l’exonération de 10.000 euros pour les actifs cotés. Pourquoi ? Parce que le taux de 10% s’appliquera aux investisseurs raisonnables – “les bons pères de famille” – qui investissent pour le long terme. Ceux qui sont considérés comme des investisseurs trop actifs ou des spéculateurs par l’Etat seront eux taxés à 33% sur leur plus-value (ce qui est déjà le cas aujourd’hui). Ceci sera jugé au cas par cas et la limite n’est pas toujours claire.
Pour Bruno Colmant, il y a donc le risque que les contribuables préfèrent ne pas déclarer les moins-values, par peur d’avoir un nombre de transactions trop important et de tomber dans la catégorie du spéculateur. Et ainsi, de ne pas non plus réclamer les taxes sur les plus-values déjà retenues par la banque : les premiers 10.000 euros de plus-value sont en effet exempts d’impôts et peuvent donc être récupérés via la déclaration fiscale.
Non côté et donations
Thierry Litannie, avocat fiscaliste, nous liste encore d’autres zones d’ombre. La première concerne le non coté : la formule de calcul proposée par la loi risque de créer des différences dans les valeurs, face aux valorisations d’entreprises établies par les professionnels du chiffre. Ce qui pourrait mener à des litiges avec le fisc, au moment de la vente des parts.
Mais il y a aussi la donation d’actifs : lorsque la personne qui reçoit les actifs les revend, la plus-value serait calculée sur le montant payé à l’achat par le donataire et non la valeur au moment de la donation. Ce qui peut être une grosse différence et serait injuste.
Enfin, un autre problème, c’est la non-indexation de la somme exonérée qui est donc de 10.000 euros pour les actifs financiers cotés. Elle pourrait ne pas connaître d’indexation jusqu’en 2030, à l’image de la réforme fiscale. Ce qui augmenterait davantage la pression fiscale sur les détenteurs d’actifs financiers, souligne l’expert.
10%… ou bientôt plus ?
Mais la plus grande zone d’ombre, pour le fiscaliste, est le taux de 10%. Il estime que ce taux pourrait en réalité augmenter rapidement. “Pour l’instant, dans l’objet des discussions, il est bien question de 10%. Mais on l’a déjà vu avec d’autres exemples : quand le précompte mobilier sur les bonis de liquidation est passé à 10%, il ne l’est pas resté longtemps. Il a rapidement augmenté à 25, puis 27, puis 30%. C’est une vieille technique du législateur fiscal belge. Quand un principe est difficile à passer, on le fait passer avec un taux qui n’est pas terrifiant. Une fois que le principe est avalé, il n’y a plus qu’à travailler sur le taux. Certains, dont moi, voient venir le coup aujourd’hui. Ces 10% d’aujourd’hui… ce n’est pas forcément 10% demain ou après-demain”, conclut-il.
Comme la taxe sur les comptes-titres qui pourrait doubler selon les épures budgétaires de Bart De Wever.
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