Que gagnent nos médaillés olympiques ?
Le rideau est tombé sur les Jeux olympiques. L’heure est au bilan. Combien les athlètes belges ont-ils gagné ? Combien l’Etat débourse-t-il pour aider les sportifs talentueux à décrocher une médaille ? Combien les sportifs donnent-ils de leur poche ?
Lors de précédents Jeux olympiques de Londres, la Belgique a obtenu trois médailles et affiché 11 classements au Top 8. ” Le succès relatif de la Belgique était plutôt décevant au dernier cycle olympique (de 2009 à 2012, Ndlr). Compte tenu de la population et de la richesse de notre pays, nous devrions récolter 11 fois plus de médailles de bronze, six fois plus de médailles d’argent et quatre fois plus de médailles d’or “, affirme Veerle De Bosscher, professeure à la VUB spécialiste de la politique de sport de haut niveau et coordinatrice d’une étude internationale sur les facteurs du succès dans le sport d’élite. ” Selon moi, les Jeux olympiques de Rio marquent un tournant. ”
Les athlètes sous contrat avec Sport Vlaanderen ou l’Adeps gagnent autant que les fonctionnaires détenant un diplôme similaire.
Au cours des quatre dernières années, la Wallonie et Bruxelles ont dépensé près de 72 millions d’euros, selon l’Administration de l’éducation physique et des sports (Adeps). Sur la même période, la Flandre a déboursé près de 85 millions d’euros pour soutenir le sport de haut niveau. ” Un budget tout compris, précise Paul Rowe, directeur général de Sport Vlaanderen et responsable du département Topsport. De l’encadrement des jeunes talents identifiés à la participation aux Jeux olympiques. Un budget relativement modeste, en tout cas moindre que ceux des clubs de foot d’Anderlecht ou du club de Bruges et nettement inférieur à celui de nos voisins comme le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France et les Pays-Bas. Nous essayons de rester raisonnables. ”
Investir davantage dans le sport n’est pas nécessairement un gage de succès. Veerle De Bosscher distingue plusieurs facteurs susceptibles d’influencer les performances des sportifs de haut niveau : l’aide financière, l’organisation et la structure de la politique, l’infrastructure, le repérage et le développement des jeunes espoirs, l’entraînement par les meilleurs coaches, etc. De 2009 à 2012, la Belgique a fait ce qu’elle pouvait en fonction de ces facteurs et pourtant, les performances des sportifs belges étaient inférieures à la moyenne. ” Un résultat moyen n’est pas suffisant pour être compétitif au niveau international, affirme Veerle De Bosscher. Notre pays a moins investi dans le sport de haut niveau que la plupart des 15 pays repris dans notre tableau comparatif. La qualité et la disponibilité des installations sportives constituent un réel problème en Belgique, à en juger d’après la comparaison internationale. Le développement d’une infrastructure digne des sportifs de haut niveau coûte aussi cher au pays, qu’il soit petit ou grand. ”
Les performances olympiques encouragent-elles la pratique sportive ? ” Il y a les believers et les non-believers, avance Paul Rowe. Pour ma part, je pense que les grands athlètes sont une véritable source d’inspiration. Comment ne pas avoir une pensée émue pour les champions de la petite reine quand on peine à gravir une côte à vélo ? ” Veerle De Bosscher souligne qu’il n’existe actuellement aucune étude scientifique corroborant l’opinion de Paul Rowe. ” Nous avons constaté un effet Kim Clijsters. Ses nombreux succès ont entraîné une hausse de 40 % de la fréquentation des clubs de tennis flamands. Idem pour les clubs de hockey belges dont le nombre de membres augmente de façon exponentielle depuis la première participation des Red Lions aux Jeux de Pékin. En revanche, le succès des joueuses belges de volley-ball, qui ont raté de peu leur sélection aux JO, n’a pas dopé les inscriptions dans les clubs de volley-ball. Elles ont pourtant fait la une des médias. Notez que le volley-ball est déjà un sport très populaire, surtout auprès des jeunes filles. Je suppose que l’effet des grands champions se fait surtout sentir dans les sports moins populaires et moins connus mais j’attends les conclusions d’un doctorat sur le sujet. ”
” La recherche a démontré qu’il existe un lien entre la politique du sport et les performances des sportifs, assure Veerle De Bosscher. Les pays qui enregistrent des performances supérieures à la moyenne par rapport à leur investissement dans le sport de haut niveau, comme les Pays-Bas, l’Australie, le Japon, le Canada et la Suisse, obtiennent aussi la meilleure note pour le facteur ” organisation et structure de la politique “. La Flandre investit de façon stratégique dans le sport d’élite depuis 2004. La Wallonie a du retard à rattraper dans ce domaine. Il faut 10 à 15 ans pour mettre une bonne politique en place. Les premiers effets de cette politique commencent à peine à se faire sentir. ”
Be Gold a porté son premier fruit
Le projet Be Gold qui investit dans ” l’identification, le développement et l’encadrement des jeunes talents sportifs en vue des JO de 2016 et 2020 ” a vu le jour en 2004. La Namuroise Nafi Thiam, médaillée d’or en heptathlon aux JO de Rio, participe au projet Be Gold depuis 2010. ” C’est la première médaille d’or d’un athlète relevant du projet Be Gold “, peut-on lire sur le site.
Be Gold est une collaboration intercommunautaire visant à prodiguer aux jeunes espoirs l’encadrement nécessaire à moyen et long terme afin de les préparer aux JO et de se classer au Top 8. Les communautés néerlandophone, francophone et germanophone financent ce projet à hauteur de 740.000, 500.000 et 10.000 euros respectivement. Ce financement est complété par une subvention de la Loterie nationale (1,2 million d’euros) et du Comité olympique et interfédéral belge (COIB).
Des pays comme le Danemark et les Pays-Bas ont une nette longueur d’avance sur la Belgique en termes de ” politique sportive stratégique “. ” Nous avons fait d’énormes progrès ces 10 dernières années mais il faudrait passer à la vitesse supérieure. Comme disait l’ancien coach néerlandais d’athlétisme Charles Van Commenée : ‘dans le sport de haut niveau, impossible d’obtenir demain les résultats escomptés avec les performances d’hier’. ” La concurrence ne s’arrête jamais. Les autres pays investissent eux aussi lourdement dans la chasse aux médailles.
Bonus
Le cycliste Greg Van Avermaet touche une prime de 50.000 euros brut pour sa médaille d’or aux JO, Pieter Timmers 30.000 euros pour sa médaille d’argent et Dirk Van Tichelt 20.000 euros pour sa médaille de bronze. Un diplôme olympique vaut également son pesant de cacahuètes : 10.000 euros en guise de consolation pour une quatrième place, 5.000 euros pour la cinquième à la huitième place.
” Brut = net “, précise Wouter Coppens, associé de EY Personal Tax Services. ” La Belgique a signé une convention de prévention de double imposition avec le Brésil aux termes de laquelle les revenus d’un sportif sont imposés dans le pays où s’est produite la performance. Où que soit effectué le paiement. Les primes que le COIB verse à nos champions sont donc en principe imposables au Brésil. Mais à l’instar du Royaume-Uni il y a quatre ans, le Brésil a accordé une dispense aux participants des JO. La convention n’autorise pas la Belgique à prélever des taxes si le Brésil ne le fait pas. Les primes sont donc exemptes de taxes. ”
Comme le souligne Wouter Coppens, il s’agit d’une exemption assortie d’une clause de progressivité. ” Autrement dit, le fisc belge tient compte de ces primes olympiques pour fixer le taux de taxation des autres revenus du sportif. Les primes peuvent donc faire en sorte qu’additionnées aux autres revenus du sportif, celui-ci soit soumis à une tranche imposable supérieure. ”
Les bonus octroyés aux athlètes de sports collectifs sont nettement plus modestes. Nos hockeyeurs auraient pu gagner 12.500 euros pour une médaille d’or. Ils devront se contenter de 7.500 euros par joueur. Pour le bronze, leur récompense aurait été réduite à 5.000 euros. Le COIB paie les primes mais l’argent provient du Fonds Baillet Latour financé par les dividendes d’AB InBev (lire l’encadré ” Le Fonds Baillet Latour “).
La Belgique n’a pas à rougir face à ses voisins. En France, les médaillés d’or reçoivent également un bonus de 50.000 euros. Aux Pays-Bas, la prime s’élève à 25.500 euros et en Allemagne à 20.000 euros. Au Royaume-Uni, par contre, les médailles ne sont assorties d’aucun incitant. Les Etats-Unis, qui fournissent le plus grand quota de champions olympiques, octroient une prime d’à peine 22.500 euros. Qui plus est, les sportifs américains sont taxés sur cette prime car le système fiscal des Etats-Unis est différent de celui de la plupart des autres pays.
A en croire la professeure Veerle De Bosscher, l’importance des bonus liés à l’obtention des médailles n’est pas le facteur le plus important. Le Brésil a considérablement grossi les indemnités promises aux médaillés pour les ” surmotiver ” mais le nombre de médailles décrochées par les Brésiliens est plutôt décevant. ” Il importe davantage pour les sportifs de pouvoir s’entraîner à temps plein et d’être correctement rémunérés. En Belgique, les sportifs satisfaisant aux critères sont pris sous contrat par Sport Vlaanderen en Flandre, et l’Adeps en Fédération Wallonie-Bruxelles. Leurs salaires sont plus qu’honorables. Aux Pays-Bas, le nombre de sportifs rémunérés est plus élevé mais il s’agit d’un salaire minimum. J’en ai parlé récemment avec Loïck Luypaert, étudiant en Education physique et sciences de la motricité à la VUB et qui fait partie de l’équipe de hockey des Red Lions. “Notre équipe nationale de hockey a tout ce qu’il faut pour se préparer de façon optimale aux grands tournois et donner le meilleur d’elle-même”, me disait-il.”
Contrats
Les salaires mirobolants de certains footballeurs professionnels et leurs contrats passés avec les sponsors dépassent l’entendement. Mais Nafi Thiam, Pieter Timmers, Jolien D’Hoore, Dirk Van Tichelt et près de la moitié des hockeyeurs belges à Rio, sous contrat chez Sport Vlaanderen ou à l’Adeps, gagnent autant que les fonctionnaires détenant un diplôme similaire. Sans quoi ils ne pourraient pas vivre de leur pratique sportive. Le cycliste Greg Van Avermaet – surnommé ” Gouden Greg ” – gagne bien sa vie chez BMC Racing Team, parrainé par le constructeur de vélos de course suisse éponyme. Il ne peut donc pas être pris sous contrat par Sport Vlaanderen.
Sport Vlaanderen parraine 29 sportifs de haut niveau à temps plein, auxquels il faut ajouter 22 étudiants sportifs payés à temps partiel par l’ancien Bloso. C’est le cas notamment de plusieurs nageurs des équipes de relais 4×200 m et 4×100 m nage libre (Jasper Aerents, Louis Croenen, Emmanuel Vanluchene et Dieter Dekoninck), du hockeyeur Felix Denayer, du lanceur de disque Philip Milanov, etc.
Quarante-sept athlètes dont Nafi Thiam figurent sur la liste des ” Sportifs sous contrat Adeps “. A ceux-ci s’ajoutent huit athlètes titulaires d’un contrat subsidié par la Région de Bruxelles-Capitale, dont les trois frères Borlée et la spécialiste du 100 mètres haies Anne Zagré. Selon Stéphane Dehombreux, responsable du sport de haut niveau à l’Adeps, les contrats des sportifs d’élite ont coûté à l’Etat environ 1,8 million d’euros par an, soit un dixième du budget total alloué au sport de haut niveau.
” Ces contrats ont pour but d’aider les sportifs à se hisser au Top 8 d’un Championnat d’Europe ou au plus haut niveau mondial, avec comme objectif ultime de décrocher une médaille aux JO “, explique Paul Rowe. ” Les sportifs ne reçoivent pas un contrat sur un plateau d’argent “, ajoute-t-il. ” Ils doivent satisfaire à des critères stricts et faire preuve d’énormément d’ambition. Ces contrats d’un an décrivent clairement les objectifs à atteindre par le sportif, fixés de commun accord. Dans le cas de Pieter Timmers par exemple, le but était de disputer une finale à Rio. ”
Si le sportif n’atteint pas ses objectifs, en principe, le contrat n’est pas prolongé. ” Les performances de nos sportifs sont évaluées chaque année car le nombre de places est limité, décrit Paul Rowe. Une délibération est toujours possible si les objectifs n’ont pas été atteints pour l’une ou l’autre bonne raison. ” La rémunération des sportifs est conforme aux barèmes des fonctionnaires flamands. Autrement dit, ils gagnent plus avec que sans diplôme. L’ancienneté entre également en ligne de compte. ” On nous reproche parfois de payer les sportifs sur la base de leur diplôme plutôt que sur leurs performances mais je suis un fervent défenseur du système actuel qui présente plus d’avantages que d’inconvénients. Nous tenons à encourager les sportifs de haut niveau à obtenir un diplôme “, affirme Paul Rowe.
En revanche, le monde de la natation critique régulièrement le manque d’aide financière allouée à ce sport. ” Chaque discipline sportive doit défendre sa cause, assure Paul Rowe. La politique flamande de sport d’élite doit tenir compte de toutes les disciplines sportives. Je trouve la répartition plutôt équilibrée. Le gouvernement flamand a réparti les disciplines en quatre catégories en fonction du développement de la structure sportive, de l’encadrement et de la politique en matière de sport d’élite, des performances internationales et de l’impact en Belgique et à l’étranger. La natation est reprise dans la catégorie supérieure qui bénéficie des subventions les plus élevées. A côté de cela, notre financement est aussi modulé en fonction des résultats obtenus et de la probabilité de décrocher des médailles. Les nageurs belges ne sont pas assez subventionnés ? Cela dépend avec quoi on compare. Par rapport aux nageurs américains, par exemple, ils sont moins bien lotis, c’est vrai. Mais nous ne disposons pas des mêmes budgets. ”
Veerle De Bosschere conclut : ” Si on attache vraiment de l’importance au sport, il faut investir davantage. Je paie par exemple 300 euros de cotisation annuelle pour l’affiliation de mes enfants au club de volley-ball et 60 euros seulement à l’académie de musique. L’Etat investit quatre fois plus dans la culture que dans le sport. Par ailleurs, les clubs de sport sont obligés d’augmenter régulièrement leurs cotisations parce que la commune, elle-même confrontée à des problèmes financiers, facture des frais toujours plus élevés pour l’utilisation des infrastructures. Je ne dis pas qu’il faut investir moins dans la culture mais qu’il faut investir plus dans le sport. Le sport joue un rôle social indéniable, l’Etat est bien forcé de le reconnaître. Les JO sont un phénomène d’une telle ampleur que leur impact se vérifie à de nombreux niveaux. Songez à l’exclusion des sportifs russes, au problème des favelas, au débat sur le voile porté par les athlètes de confession musulmane.
Le sport offre la possibilité de résoudre les problèmes par un autre biais. C’est aussi un formidable moyen de solutionner les problèmes d’intégration.
Le skateboard compte désormais parmi les disciplines olympiques reconnues. Nous savons que les jeunes de 12-13 ans pratiquent intensivement un sport. C’est une chance inespérée. Pourquoi ne pas installer des parcs de skate un peu partout dans le pays pour inciter les jeunes adolescents à continuer leur pratique ? Le skate colle parfaitement à leurs valeurs. On investit ainsi dans des graines de champions olympiques. ”
Le fonds Baillet Latour possède 0,34 % des actions d’AB InBev. La fondation détient ces actions et promeut, grâce aux dividendes annuels générés, l'”excellence humaine” dans quatre domaines, à savoir la santé, l’enseignement, le patrimoine et le sport. La fondation exauce ainsi les voeux d’Alfred, dernier descendant masculin de la famille Baillet Latour, qui a légué ses actions des Brasseries Artois à la fondation. L’oncle d’Alfred, Henry de Baillet Latour, a joué un rôle déterminant dans l’organisation des Jeux olympiques de 1920 à Anvers. En 1925, il a succédé à Pierre de Coubertin au poste de président du Comité Olympique International qu’il a occupé jusqu’à sa mort en 1942.
Que vaut une médaille d’or?
Outre les bonus alloués par certains pays aux médaillés, une médaille vaut trois fois son pesant d’or selon CNN Money.
Primo, il y a la valeur intrinsèque du métal précieux. Si vous faites fondre une médaille olympique, le métal vaut quelques centaines d’euros. Depuis les Jeux de Mexico en 1968, une médaille pèse environ 176,5 grammes dont 6 grammes d’or seulement. Le reste est de l’argent et un peu de cuivre. Au cours actuel, vous obtiendriez avec un peu de chance 230 euros pour l’or et 50 euros pour l’argent.
Secundo, il y a la valeur pour les collectionneurs. Malheureusement, bon nombre
de sportifs connaissent des difficultés financières au terme de leur carrière. Des ventes publiques sont régulièrement organisées. Selon une maison spécialisée de Boston, les prix varient de 10.000 dollars (8.850 euros) pour une médaille d’or d’un célèbre sportif inconnu à 1,5 voire 2 millions de dollars pour une vieille médaille d’or rarissime.
Tertio, il y a l’investissement dans la formation et le développement du sportif. Pour les parents d’un jeune talent qui investissent des milliers d’euros par an en coach, en équipement, en stages, etc., une médaille d’or représente une sacrée somme d’argent. La valeur d’une médaille d’or dépend entre autres de la discipline sportive car certaines disciplines sont plus coûteuses que d’autres.
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