Pourquoi les fonds de pension et les assureurs sont incités à investir plus durablement
L’Europe met la pression sur les grands investisseurs afin qu’ils investissent “plus vert”. Selon les activistes qui tentent depuis plusieurs années déjà de créer un fonds de pension éthique et durable dans leur propre pays, les mesures européennes ne vont pas assez loin.
Apartir de janvier 2019, les fonds de pension devront prouver comment ils tiennent compte des facteurs ESG (pour environmental, social et corporate governance). ” Cela signifie que d’ici l’année prochaine, tous les fonds de pension seront contraint d’élaborer une politique d’investissement plus ou moins durable. Il n’est pas possible pour un fonds de pension de ne pas tenir compte de ces facteurs “, explique Bernard Caroyez, responsable des investissements auprès du fonds de pension de la Bouwunie, Pensio B.
La Commission européenne élabore en ce moment un train de mesures destinées à encourager les banques, les fonds de pension et les assureurs à opter pour des placements verts.
A côté de cela, la Commission européenne élabore en ce moment un train de mesures destinées à encourager les banques, les fonds de pension et les assureurs à opter pour des placements verts. Les fonds de pension et les assureurs gèrent nos pensions complémentaires, ce qu’on appelle le deuxième pilier de la pension, que nous constituons la plupart du temps collectivement via l’assurance groupe ou les plans de pension auprès de notre employeur ou du secteur dans lequel nous sommes actifs. La Commission estime que nous devrions au moins investir 170 milliards d’euros de plus chaque année dans les énergies renouvelables et l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments dans l’Union européenne. Il s’agit du minimum absolu pour atteindre les objectifs fixés en termes de climat d’ici 2030.
Quand il s’agit de milliards comme en l’espèce, il convient de se tourner vers des investisseurs qui ont les poches bien pleines, comme les assureurs et les fonds de pension. C’est également à cette conclusion qu’est parvenu le groupe d’experts chargé de formuler des recommandations à l’intention de la Commission. Cette dernière a présenté son plan d’actions en mars dernier et discute actuellement des propositions de textes législatifs visant à mettre ce plan en pratique.
Une quête
Anneleen De Bonte faisait partie des Belges qui ont été consultés par les experts. Elle est médecin de formation et oeuvre désormais depuis près de trois ans déjà pour un fonds de pension éthique, durable et sûr pour les indépendants de Belgique. Elle s’est lancée dans cette quête parce qu’elle n’était pas satisfaite de ce qui était fait de l’argent qu’elle économise pour sa pension et elle a trouvé de l’aide auprès de Fairfin, une organisation socioculturelle flamande qui encourage les gens depuis 35 ans à utiliser l’argent comme moyen de changement social.
” Il est vraiment nécessaire que l’Europe oriente les fonds de pension et les assureurs dans cette direction, déclare Anneleen De Bonte. J’ai compris entretemps qu’ils ne feront pas ce choix de leur propre initiative. Les fonds de pension et les assureurs se sont jusqu’à présent peu préoccupés de la durabilité. Dans le secteur bancaire, il existe par contre certains acteurs qui proposent une offre durable, mais ils en font trop peu la publicité auprès de leurs clients. ”
Dans un deuxième temps, l’Europe va définir ce qui peut être qualifié de durable et ce qui ne peut l’être. ” Tout dépend évidemment de cette définition. Selon les rumeurs, les investissements seraient divisés en groupes de couleur : vert, gris ou brun, en allant du plus favorable à l’environnement au plus nuisible. Anneleen De Bonte estime qu’une taxinomie uniforme est souhaitable. Elle est cependant d’avis que la Commission se focalise trop sur le climat et les émissions de CO2. Les entreprises peuvent également avoir un impact négatif sur l’environnement de bien d’autres manières et elle pense que le S et le G d’ESG méritent également de l’attention.
Les fonds durables atteignent les mêmes rendements – et parfois de meilleurs rendements – que les autres fonds.” Gabriel Bernardino, président de l’EIOPA
Pendant longtemps, il a été envisagé qu’il pourrait être plus avantageux pour les grands investisseurs de détenir des actifs ” verts ” que des bruns ou des gris, mais cette mesure ne fait pas partie des propositions actuellement à l’étude. Gabriel Bernardino, le président de l’EIOPA ( European Insurance and Occupational Pensions Authority, l’autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles), qui était présent récemment à Bruxelles pour fournir des explications aux fonds de pension belges, a déclaré ne pas être partisan de matelas de fonds propres moins élevés pour les investissements verts.
Investissements bruns
Gabriel Bernardino a fait prendre conscience aux fonds de pension qu’ils avaient une fonction d’exemple et qu’en tant qu’investisseurs à long terme purs et durs, ils devaient investir en se tournant vers l’avenir. Il a insisté sur le fait qu’ils se doivent d’être transparents quant à leurs investissements et obligations et a prononcé le mot ” durabilité ” plus d’une fois. Il a observé que l’EIOPA était en train de développer les stress tests que les fonds de pension devront subir en 2019.
” Pour la première fois, nous allons également cibler dans ce cadre les brown ou stranded assets et les risques du portefeuille d’investissements qui sont associés au changement climatique “, a expliqué Gabriel Bernardino. Les stranded assets sont des actifs qui ne rapportent plus grand-chose en raison de modifications de la réglementation ou de changements du contexte économique ou physique. L’exemple qui est souvent donné pour illustrer cette notion est celui des réserves de combustibles fossiles qui risquent de perdre leur valeur à cause de la transition vers une société plus propre émettant moins de CO2. Un investissement est qualifié de brown lorsqu’il concerne le charbon, le pétrole ou le gaz.
Selon Gabriel Bernardino, il faut que les fonds de pension investissent dans des entreprises proposant des solutions écologiques en vue d’un futur produisant moins d’émissions de gaz carbonique. Il a cependant ajouté que les autorités de surveillance étaient de mauvais investisseurs et que l’intention ne peut donc pas être qu’elles sélectionnent elles-mêmes les entreprises dans lesquelles les fonds de pension doivent ou ne doivent pas investir. Il estime seulement qu’il relève d’une bonne gestion des risques d’exclure certaines entreprises, voire certains secteurs. ” Les fonds durables atteignent les mêmes rendements – et parfois de meilleurs rendements – que les autres fonds “, affirme-t-il.
Les pionniers belges de la durabilité
Amonis, le fonds de pension des médecins et autres prestataires de soins a mis au point une politique durable à la fin de l’année dernière. ” Il faut le concéder à Amonis. C’est à ma connaissance le premier fonds de pension en Belgique qui s’est attelé à développer une politique d’investissement durable. Il joue un rôle de pionnier. Même si j’estime personnellement que leur politique est trop souple “, réagit Anneleen De Bonte, qui est affiliée chez Amonis mais qui préférerait que tout l’argent qu’elle économise pour sa pension soit utilisé pour des placements durables et éthiques.
La Commission se focalise trop sur le climat et les émissions de CO2. Les entreprises peuvent également avoir un impact négatif sur l’environnement de bien d’autres manières. ” Anneleen De Bonte
Tom Mergaerts, CEO d’Amonis, nous explique en quoi consiste cette nouvelle politique. ” Tout le monde se revendique durable mais nous avons défini ce qui, selon nous, est durable et ce qui ne l’est pas, précise-t-il. Nous pensons qu’il est préférable d’instaurer un dialogue avec les entreprises pour les inciter à mieux se comporter. Nous n’excluons donc qu’un nombre restreint d’entreprises. Et nous les écartons par exemple sur la base des produits qu’elles fabriquent. Nous parlons ici des producteurs de tabac et des fabricants d’armes controversées ou nucléaires. ” A noter qu’Amonis exclut déjà le tabac depuis le début à la demande de ses membres qui sont presque tous actifs dans le secteur de la santé. Quant aux investissements dans les armes controversées comme les armes à sous-munitions, ils sont interdits par la loi.
” Ensuite, nous excluons certaines entreprises sur la base de leur processus de production, poursuit Tom Mergaerts. Il s’agit d’entreprises qui provoquent des dégâts directs et irréversibles à l’environnement et qui effectuent des tests sur les animaux, si ce n’est pour raisons médicales, ou d’entreprises dont le processus de production repose pour plus de 30 % sur des combustibles fossiles. ” Anneleen De Bonte formule à cet égard l’objection que les producteurs de combustibles fossiles comme les exploitants de mines de charbon ne sont donc pas concernés par l’exclusion.
Enfin, Amonis exclut un certain nombre d’entreprises à cause de leur comportement. ” Nous ne souhaitons pas avoir en portefeuille des entreprises qui ne respectent pas les 10 principes des Nations Unies, ce qui implique par exemple le respect des droits de l’homme. ” Anneleen De Bonte précise que les principes de durabilité d’Amonis sont plus ou moins devenus la norme dans le monde bancaire actuel, mais sont bel et bien novateurs dans l’univers des fonds de pension et des assureurs.
Pas moins rentable
La politique durable sera mise en oeuvre progressivement chez Amonis. Le fonds de pension sous-traite la gestion de portefeuille et conclut des contrats à cet effet avec des gestionnaires externes. Lorsque pareil contrat avec un gestionnaire externe arrivera à échéance ou sera renouvelé, Amonis ajoutera des critères de durabilité à la liste des exigences pour les gestionnaires. Aujourd’hui, des critères ESG sont appliqués à 4 des 11 portefeuilles.
De son côté, le fonds de pension KBC a décidé fin de l’année dernière de franchir le pas de l’investissement durable. Nous ne sommes pas parvenus à recueillir des informations quant à cette politique, mais il s’avère que le groupe KBC dans son ensemble a renoncé aux investissements dans les combustibles fossiles. Le CEO Johan Thijs a également souligné dans un récent discours que le mythe selon lequel les investissements durables rapportaient moins a été démenti voilà bien longtemps. Différentes études démontrent que les rendements des fonds durables ne sont pas différents sur le long terme. Début mai, KBC a également lancé un fonds de pension Pricos durable pour les clients particuliers désireux d’épargner de manière durable pour le troisième pilier de leur pension. Un fonds d’épargne pension durable, c’est aussi une première en Belgique.
Nous n’excluons qu’un nombre restreint d’entreprises. Et nous les écartons par exemple sur la base des produits qu’elles fabriquent. ” Tom Mergaerts, CEO d’Amonis
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