Pourquoi l’arrivée d’AudioValley est une excellente nouvelle pour le segment non réglementé d’Euronext Bruxelles
L’arrivée d’AudioValley insuffle un peu de vie au segment non réglementé, quasi éteint, d’Euronext Bruxelles.
AudioValley est entrée en Bourse de Bruxelles ce 20 février. C’est une excellente nouvelle pour le segment non réglementé d’Euronext Bruxelles, qui n’a accueilli que très peu de jeunes pousses ces dernières années. Les pans bruxellois d’Euronext Access et d’Euronext Growth s’étiolent en effet, alors que Paris est en pleine ascension. Les entreprises belges en croissance ne semblent pas pressées de faire leur entrée en Bourse, une démarche qui serait pourtant intéressante pour certaines…
Qu’arrive-t-il aux marchés non réglementés belges ? A Bruxelles, la plateforme Access ne recense pas plus de neuf entreprises, Euronext Growth, huit, contre respectivement 172 et 228 à Paris. Les entrées en Bourse sont, elles aussi, très inégales – 17 pour Growth et neuf pour Access en France l’an dernier, contre un double zéro chez nous. La dernière arrivée chez Euronext Growth Bruxelles fut celle de Softimat, à la fin de l’année 2011.
Alex Houtart, qui enseigne la finance durable et innovante à l’Ichec Brussels Management School, voit plusieurs causes à ce phénomène. ” La Belgique n’a pas l’architecture apte à soutenir ces marchés, affirme-t-il. Les entreprises qui quittent tout juste la phase de la start-up sont structurellement sous-nourries. ”
Notre interlocuteur estime que la Belgique a les moyens d’aider ses entreprises à croître jusqu’à entrer en Bourse, mais que la structure et la culture nécessaires lui font défaut. Un fossé sépare la phase de la start-up du stade de la sortie, qui peut justement adopter la forme d’une IPO. ” C’est la raison pour laquelle les jeunes pousses belges soit sont rachetées par des étrangers, soit décident de se faire coter à Paris, où les volumes négociés sur Access et Growth sont beaucoup plus importants “, conclut-il.
La Belgique n’a pas l’architecture apte à soutenir ces marchés. Les entreprises qui quittent tout juste la phase de la start-up sont structurellement sous-nourries. ” Alex Houtart, enseignant à l’Ichec
La Belgique a de surcroît un problème culturel. ” Notre pays ne compte pas suffisamment de jeunes entrepreneurs. Nombre de chefs d’entreprise des deuxième et troisième générations avaient hérité de leur capital, ce qui explique leur tournure d’esprit toute différente, analyse Alex Houtart. Le choc provoqué par la crise de 2008 a engendré une immense aversion au risque. ” Bref, les entreprises belges en croissance n’ont pas la culture de la cotation.
Associé chez le listing sponsor (société qui conseille les PME en vue de leur IPO) ONEtoONE Finance, Guy van der Heyden fait le même constat : ” La France dispose d’un écosystème d’analystes et d’investisseurs bien plus fourni. Ce qui assure beaucoup plus d’entrées en Bourse et une activité nettement plus intense, sur les différents marchés, que chez nous “, confirme-t-il.
AudioValley
L’entrée d’AudioValley en Bourse de Bruxelles, ce 20 février, n’est donc pas passée inaperçue. Ce spécialiste de l’audio digital est coté à Paris depuis juillet déjà. ” Nous avions choisi Paris parce qu’il se trouve là un écosystème de conseillers spécialisés et d’intermédiaires financiers qui accompagnent les IPO, nous explique son CEO, Alexandre Saboundjian. Le nombre de courtiers que compte la Bourse de Paris est en outre un facteur de stimulation des volumes négociés. Enfin, la France regorge d’investisseurs et de fonds locaux qui s’intéressent aux entreprises de taille moyenne comme la nôtre. ”
C’est cette spécialisation, précisément, qui assure le bouillonnement du marché non réglementé parisien, un dynamisme qui fait cruellement défaut en Belgique. ” Il faut recréer un marché liquide, animé par des investisseurs habitués aux entreprises de taille moyenne, recommande Alex Houtart. Si l’on ajoute à cela le fait que l’entrée en Bourse offre aux investisseurs de la première heure une possibilité de sortie, nous pourrions aller jusqu’à recenser plusieurs IPO -peut-être même des dizaines – chaque année. ”
AudioValley, qui a levé à l’occasion de cette opération 9,5 millions d’euros, dépasse les 40 millions d’euros de capitalisation boursière. Les raisons pour lesquelles elle a décidé de franchir le pas sont diverses. L’une est celle du financement. ” Les capitaux serviront en partie à financer la reprise, réalisée en 2018, de la société Radionomy, cite Alexandre Saboundjian. De même que l’évolution future d’AudioValley, évidemment. Enfin, l’opération nous confère une certaine visibilité. ” La rapidité est une qualité qu’il convient de ne pas négliger. ” Celle-ci a un rôle à jouer dans toute évolution et il faut parfois plus de temps pour obtenir du capital-investissement que pour entrer en Bourse “, confirme le CEO.
L’IPO parisienne a donc été suivie de l’entrée sur Euronext Growth à Bruxelles, ce dont Alexandre Saboundjian se réjouit. ” Ce marché à destination des entreprises en croissance a du sens. Il permet aux particuliers d’investir directement dans des PME. Or, les possibilités, à ce niveau, sont justement peu nombreuses “, affirme-t-il. Les actionnaires d’AudioValley sont divers. ” Nous visons tous les types d’investisseurs, précise notre interlocuteur. A l’occasion de l’entrée en Bourse, tant des particuliers que des fonds ont investi dans l’entreprise. ”
Les avantages de la cotation
Etre coté sur ces marchés intermédiaires a donc des avantages. Ce n’est pas Guy van der Heyden qui nous contredira. ” Les entreprises cotées ont accès à une nouvelle catégorie d’investisseurs, ce qui leur permet d’élargir leur actionnariat, approuve-t-il. La direction peut rester à la barre même en détenant peu d’actions, alors que le private equity oblige à renoncer à davantage d’autonomie. La cotation permet par ailleurs d’élaborer des plans d’options et de financer des reprises par le biais de nouvelles émissions. Enfin, tout va plus vite : entrer en Bourse demande de trois à six mois, alors qu’obtenir du capital-investissement peut exiger jusqu’à un an. ”
Pour Alex Houtart, les start-up auraient tort d’exclure la cotation au titre de possibilité de sortie. ” C’est au contraire un outil très intéressant pour les entrepreneurs et les sociétés, insiste-t-il, mais en Belgique, il est rarement utilisé : entrer en Bourse est passé de mode. Souvent, les entrepreneurs n’envisagent même pas la question. Or, se priver de cette possibilité n’a aucun sens. Il faut renouer avec ce réflexe. Il n’y a aucune raison pour qu’une start-up ne puisse pas, à terme, intégrer le Bel 20. ” ” En notre qualité de listing sponsor, nous visons des opérations de 4 à 8 millions d’euros d’entreprises dont la capitalisation boursière potentielle excède 20 millions d’euros, expose Guy van der Heyden. Il s’agit là d’une possibilité de financement intéressante pour un certain type de sociétés. Qui, évidemment, doivent avoir tant soit peu de répondant : elles doivent d’ores et déjà acter un chiffre d’affaires et, selon le secteur, engranger des bénéfices. ”
Pour redonner vie à ces marchés intermédiaires belges, Euronext, ONEtoONE et la plateforme de micro-financement Spreds (anciennement MyMicroInvest) ont décidé d’unir leurs forces. Avec d’autres partenaires encore, ils proposent depuis cette année le programme Jungle Bells, destiné à combler le fossé qui sépare le stade de la start-up de celui de la cotation. ” Notre but est de conférer davantage de visibilité à ces marchés intermédiaires et d’informer sérieusement les entreprises à leur propos “, expose Benoît van den Hove, responsable des cotations pour Euronext. Ceci dit, Access et Growth ne conviennent pas à toutes les entreprises. ” Ces plateformes intéressent surtout les PME “, précise l’expert.
Bons et mauvais élèves
Entrer sur Access ou Growth est moins contraignant qu’entrer sur le marché réglementé ( lire l’encadré ” Les marchés non réglementés “). Dès lors, les investisseurs doivent parfois se contenter d’un minimum d’informations. ” Certaines entreprises cotées sur ces marchés négligent leur communication et ne prêtent pas suffisamment attention à la notion de bonne gouvernance “, confirme Alex Houtart. Un coup d’oeil sur les sites internet de cotations belges suffit à s’en convaincre : certaines sociétés ne publient même pas de rapport financier, d’autres sont très chiches en chiffres et en commentaires. Un troisième groupe prend, lui, la chose bien plus au sérieux, puisqu’il publie des rapports annuels et semestriels détaillés, ainsi que des informations destinées aux actionnaires.
Reste à savoir ce que ces marchés intermédiaires ont à offrir à l’investisseur particulier. Pas grand-chose pour ce qui concerne Access, affirme Guy van der Heyden. ” Access permet aux investisseurs de la première heure de monnayer leurs actions, explique-t-il. La cotation facilite les échanges. ” Or, la plupart des entreprises cotées sur Access Bruxelles ou Paris ont un flottant extrêmement réduit, de sorte que les volumes négociables sont limités ; d’où le peu d’intérêt pour l’investisseur particulier.
Euronext Growth est légèrement plus liquide. ” Attention : il s’agit d’entreprises en croissance dont le profil de risque n’est évidemment pas celui des grands groupes cotés sur les marchés réglementés, avertit Guy van der Heyden. Une plateforme comme Growth permet aux particuliers d’investir, dans une mesure certes limitée, dans de jeunes sociétés. Elle offre une solution de rechange au capital-investissement, qui n’est pas toujours à la portée des particuliers. “
2011
année de la dernière entrée sur Euronext Growth
228
entreprises cotées sur Euronext Growth Paris, contre huit à Bruxelles
17
entreprises entrées l’an passé sur Euronext Growth Paris, contre zéro à Bruxelles
Euronext compte deux Bourses destinées aux jeunes entreprises : Access (ex-Marché libre) et Growth (anciennement Alternext), dont l’accès est moins difficile que l’accès au marché réglementé d’Euronext. Il est même possible de se faire coter sur Access sans disposer de flottant. Sur Growth, le flottant doit s’élever à 2,5 millions d’euros au moins. Les règles en matière d’édition de rapports sont elles aussi moins sévères : il suffit à l’entreprise qui souhaite entrer en Bourse de présenter les comptes annuels des deux derniers exercices, ainsi qu’un document informatif ou un prospectus – alors que la procédure, sur le marché réglementé, est beaucoup plus lourde. Une fois cotée sur Access, la société peut se contenter de publier ses résultats annuels (les comptes annuels déposés à la Banque nationale suffisent). Pour les entreprises cotées sur Growth, la publication doit être semestrielle, contre trimestrielle chez Euronext.
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