Pénurie de semi-conducteurs: qui en profite?

"WAFER" La transformation de ces petites galettes de silicium essentielles à tous nos ustensiles modernes reste cantonnée à quelques acteurs. © GETTY IMAGES

Surnommés le “pétrole du 21e siècle”, les semi-conducteurs sont indispensables à de nombreuses industries. La pénurie qui s’étend depuis quelques mois fait grimper les prix et fait les affaires de nombreux acteurs du secteur.

A l’automne dernier, la Chine annonce une accélération de ses ventes de voitures: + 12,5% en octobre, + 13% en novembre. Les fabricants de puces comme l’Allemand Infineon et les fonderies qui fabriquent des semi- conducteurs en sous-traitance sont toutefois rapidement dépassés. Dès le mois de décembre, la production automobile mondiale est ainsi freinée par une pénurie de puces. Selon le consultant AlixPartners, le manque à gagner devrait atteindre 61 milliards de dollars cette année pour l’ensemble de l’industrie automobile… qui n’est désormais plus la seule concernée!

91,2 milliards

L’estimation en dollars du marché des puces pour l’intelligence artificielle en 2025. Il était de 6,6 milliards en 2018.

Pénurie généralisée

En effet, si le segment spécifique des puces automobiles, qui représente 9% du marché global des semi-conducteurs, a été le premier touché, la pénurie s’étend. Nintendo, Microsoft, Samsung et Apple annoncent un ralentissement de la production de consoles ou de smartphones. Mineba Mitsumi, spécialiste japonais des composants électriques, redoute un impact sur l’aviation.

En d’autres termes, la pénurie se généralise, ce qui s’explique par une conjonction de différents éléments. Il faut tout d’abord revenir un peu en arrière. Le secteur des semi-conducteurs avait connu une année 2019 mitigée. Et au début de la pandémie, l’heure était plutôt au pessimisme ; les investissements sont donc restés plutôt prudents.

Hausse historique des ventes de PC

Rapidement, la demande a toutefois décollé au printemps. Selon le bureau de conseil Gartner, les ventes de PC ont progressé de 4,8% en 2020, la plus forte croissance depuis 2010. Une accélération inattendue alors que les ventes d’ordinateurs s’essoufflaient depuis des années. Les ventes de périphériques (webcams, claviers, etc.) ont aussi décollé, comme l’illustre la croissance de 85% des ventes du groupe suisse Logitech.

Parallèlement, l’accélération du déploiement de la 5G au niveau mondial a aussi accentué la demande de semi-conducteurs pour les infrastructures et les appareils. Le boom des cryptomonnaies a incité les “mineurs” à investir dans davantage de matériel. Enfin, nous pouvons épingler le conflit commercial sino-américain qui a convaincu le géant chinois Huawei de gonfler ses stocks de semi-conducteurs pour faire face aux sanctions.

Pas d’amélioration rapide

Selon les spécialistes, cette pénurie risque d’empirer avant de se résorber. “Nous prévoyons que les contraintes de l’industrie des semi-conducteurs ne s’atténueront que partiellement au cours du second semestre 2021 et que certains problèmes d’approvisionnement (informatique, puces 5G) se prolongeront jusqu’en 2022”, estiment ainsi les analystes de Bank of America.

Il n’y a en effet pas de solution à court terme, les capacités étant pleinement utilisées. Et en développer de nouvelles prend du temps. Par ailleurs, le marché de la production de semi-conducteurs est extrêmement concentré. De nombreux acteurs sont dits fabless ( fabrication less, sans unité de production), concevant des semi-conducteurs qu’ils font fabriquer par des fonderies.

Marché concentré

Selon le cabinet IC Insight, Samsung et TSMC représentent 27,8% de la capacité mondiale de wafers, ces petites galettes de silicium transformées en puces électroniques par photolithographie. Et le top 5, incluant aussi Micron, SK Hynix et Kioxia, atteint 53,8% de parts de marché pour un produit essentiel à tous nos ustensiles et réseaux modernes. Une importance qui explique les interventions des présidents Emmanuel Macron ou Joe Biden depuis le début de la pénurie.

Cette concentration résulte surtout des investissements et de l’expertise nécessaires. Par exemple, seuls Samsung et TSMC sont capables de produire des puces avec une gravure de cinq nanomètres (nm), 10.000 fois plus fin qu’un cheveu. Pour ce faire, TSMC a construit sa Fab 18, un giga-labo qui a nécessité 17 milliards de dollars d’investissements, notamment dans les équipements et les salles blanches.

Plus la technologie avance, plus elle est complexe et coûteuse. Selon IC Insight, la Chine ne parviendra par exemple qu’à produire 19,4% de ses besoins en 2025, très loin de son objectif initial de 70%.

Hausses de prix

Une demande forte, une offre limitée et des producteurs peu nombreux débouchent forcément sur des hausses de prix. Selon Nikkei Asia, TSMC relève ainsi ses prix de 15% pour les semi-conducteurs automobiles. Les analystes de TrendForce prévoient une hausse de jusqu’à 20% des prix des contrôleurs intégrés.

Cependant, le marché des semi-conducteurs n’est pas uniforme. Si la tendance est à la hausse des prix, Samsung s’inquiète de ses ventes de puces mémoire. La pénurie de semi-conducteurs risque en effet de freiner la production de smartphones et tablettes, grands consommateurs de ce type de puces.

D’autres évoquent le risque d’un excédent de production d’ici deux à trois ans en raison du développement des capacités. C’est en effet un scénario assez classique dans le secteur des semi-conducteurs mais dont les creux ont tendance à devenir de plus en plus courts en raison des besoins colossaux de ce “pétrole du 21e siècle”.

Selon Deloitte, le coût des semi-conducteurs dans une voiture devrait ainsi atteindre 600 dollars en 2022, contre 312 dollars en 2013. Allied Market Research estime que le marché des puces pour l’intelligence artificielle devrait croître de 6,6 milliards de dollars en 2018 à 91,2 milliards en 2025. On pourrait ajouter la 5G, l’internet des objets, les serveurs (pour l’e-commerce, par exemple), etc.

Sélections d’actions

Dans ce contexte, les actions suivantes sont considérées comme profitant de la pénurie actuelle tout en étant bien positionnées à long terme.

  • TSMC: le fondeur taïwanais est assurément le mieux positionné, il peut produire tous les types de semi-conducteurs et est le fournisseur privilégié des entreprises fabless. A court terme, cela lui permet de relever ses prix. Fin 2020, il a par exemple supprimé sa ristourne (qui pouvait aller jusqu’à 3%) pour ses clients importants. Cela se reflète dans ses derniers résultats: au quatrième trimestre 2020, son chiffre d’affaires a bondi de 22% et son bénéfice net de 31%, à 5 milliards de dollars. En tant que leader technologique, il est aussi en première ligne pour répondre aux besoins des nouvelles applications comme la 5G, l’intelligence artificielle ou l’internet des objets. En Bourse, le titre coté sur le Nasdaq ( ticker: TSM) vaut actuellement 570 milliards de dollars, ce qui en fait la dixième capitalisation boursière mondiale. Après une hausse de 140% en un an, le titre n’est toutefois plus bon marché, à 32 fois le bénéfice prévu pour cette année, la majorité des analystes ayant adopté dans la foulée un avis “neutre/conserver”.
L’accélération du déploiement de la 5G dans le monde a aussi accentué la demande de semi-conducteurs pour les infrastructures et les appareils.

  • Samsung: les investissements dans ses fonderies et les circuits logiques du leader des puces mémoire portent leurs fruits. A court terme, celui-ci profite toutefois nettement moins de la pénurie actuelle. Mais technologiquement, le géant coréen s’impose comme un leader mondial des semi-conducteurs, ce qu’il était déjà dans les écrans (fournissant même son meilleur ennemi Apple). En termes de résultats, la dynamique était clairement favorable en 2020 avec un bond de 29% de son profit opérationnel grâce aux activités semi-conducteurs (+36%) et à l’amélioration de la rentabilité de ses smartphones et tablettes. Egalement coté en Bourse de Londres ( ticker : SMSN), Samsung affiche désormais une capitalisation de 450 milliards de dollars. Trente-six des 38 analystes qui suivent le titre sont à “acheter/accumuler” alors qu’à 16 fois le bénéfice prévu, Samsung est bien moins cher que ses principaux concurrents que sont Apple et TSMC cotant tous deux plus de 30 fois leurs profits.
  • Tower Semiconductor: dans le top 5 des fonderies non intégrées mondiales et n° 2 hors Est asiatique derrière l’américain GlobalFoundries détenu par le holding émirati Mudabala, ce groupe israélien exploite sept implantations en Israël, aux Etats-Unis et au Japon. S’il ne dispose pas des technologies les plus avancées (gravure < 10 nm), il est spécialisé dans les circuits analogiques, notamment à destination des marchés de l'industrie, de l'électronique grand public, de l'automobile, des infrastructures, du médical, de l'aérospatiale et de la défense. Dépendant davantage des secteurs industriels, il a plus souffert que d'autres en 2020 avant de connaître une forte accélération en fin d'année (croissance organique 17% au 4e trimestre). Les analystes sont d'ailleurs confiants pour 2021, tablant sur une hausse de 80% de son bénéfice par action, à 1,36 dollar. Sur cette base, la valorisation reste raisonnable, à 22 fois les bénéfices, et les perspectives de croissance demeurent solides pour les années suivantes, justifiant que quasiment tous les analystes sont à l'achat. Le titre est coté à Tel-Aviv et sur le Nasdaq ( ticker: TSEM).

SALLE BLANCHE La fabrication de semi- conducteurs requiert la construction de giga-labos. Le dernier élaboré par le géant taiwanais TSMC a nécessité 17 milliards de dollars d'investissements.
SALLE BLANCHE La fabrication de semi- conducteurs requiert la construction de giga-labos. Le dernier élaboré par le géant taiwanais TSMC a nécessité 17 milliards de dollars d’investissements.© GETTY IMAGES

  • X-Fab: coté sur Euronext Paris ( ticker : XFAB), ce fondeur contrôlé par Roland Duchâtelet via le holding Xtrion se développe depuis plusieurs années dans les semi-conducteurs pour l’industrie et surtout l’automobile, afin d’approvisionner sa société soeur Melexis. Si la transition des puces pour l’électronique grand public vers l’automobile a mis du temps à se refléter sur les résultats, la tendance s’est nettement accélérée au cours de l’année dernière. Un quatrième trimestre canon lui a permis d’être rentable en 2020 (bénéfice par action de 0,10 dollar). La tendance devrait se confirmer en 2021: Michael Roeg, de Degroof Petercam, table par exemple sur un bénéfice par action de 0,423 dollar en 2021 et 0,42 dollar en 2022. Le titre a pris un peu d’avance, ayant plus que triplé depuis le plus bas de mars 2020. Mais le potentiel à court terme (automobile) et à long terme (forte croissance dans le médical) demeure intéressant.
  • ASML: le groupe néerlandais est le leader mondial des équipements de photolithographie avec un monopole de fait dans la technologie la plus pointue, l’ultraviolet extrême permettant des gravures de moins de 10 nm. Il est aussi la première société technologique européenne avec une capitalisation de près de 200 milliards d’euros sur Euronext Amsterdam ( ticker: ASML). Avec les investissements actuels dans le développement des capacités de production, ses résultats connaissent un nouveau coup d’accélérateur qui devrait lui permettre de plus que doubler son bénéfice par action entre 2019 et 2022. La grande majorité des analystes restent ainsi à l’achat.
  • Be Semicondutor et ASM International: ces autres équipementiers néerlandais profitent du développement actuel des capacités et sont plébiscités par les analystes, quasiment tous à l’achat, les valorisations plus tendues étant composées par des perspectives de croissance extrêmement solides.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content