Sur le projet de Daniel Bacquelaine d’instaurer une pension à mi-temps: “N’agissons pas dans la précipitation”
Le ministre des Pensions Daniel Bacquelaine (MR) espère instaurer, entre juillet 2019 et janvier 2020, un système de pension à mi-temps. Plusieurs spécialistes estiment toutefois qu’il met la charrue avant les boeufs et qu’une réforme plus profonde des pensions s’impose dans un premier temps.
Daniel Bacquelaine a d’ores et déjà décroché un accord de principe. Si tout se passe bien, les travailleurs qui satisfont aux conditions de la pension anticipée pourront dès 2020 combiner travail à mi-temps et retraite à mi-temps ; ils percevront donc une retraite partielle, tout en continuant à constituer, pour le solde, des droits de pension.
Pour Marjan Maes (KU Leuven), conseillère en matière de pensions du ministre de l’Intérieur Jan Jambon, la pension à mi-temps répond à la demande ” du nombre croissant de travailleurs qui préféreraient mettre une fin progressive, et non plus abrupte, à leur carrière “. ” La pension à mi-temps, prise entre 60 et 63 ans, constituera un progrès pour autant que l’on se débarrasse dans la foulée de la myriade de régimes de départ anticipé qui perdurent en Belgique, explique-t-elle. Le secteur privé s’emploie à relever l’âge du départ au chômage avec complément d’entreprise, le système qui remplace l’ancienne prépension. Le secteur public, lui, recense toujours plus de 50 régimes de départ anticipé, comme le travail à mi-temps à partir de 55 ou 50 ans et les emplois de fin de carrière à 55 ans, qui comptent pour la constitution des droits de pension comme si l’on travaillait à temps plein. ”
Bonus-malus
Jean Hindriks, membre du Conseil académique des pensions, estime que si ses intentions sont louables, le ministre met la charrue avant les boeufs. ” Le gouvernement doit commencer par réinstaurer un système de bonus-malus, qui consistera à récompenser, par une retraite plus élevée, le maintien au travail après la fin de la carrière, et à pénaliser les départs précoces “, affirme-t-il. Il suffirait d’appliquer ce que l’on appelle une correction actuarielle, qui revient à ajuster à la baisse le montant de la pension des personnes qui ne cumuleraient pas une carrière complète. Les autres, celles qui auraient travaillé plus d’une carrière complète, bénéficieraient d’une correction positive. Le gouvernement a supprimé l’ultime reliquat du système de bonus-malus belge : le bonus de pension, qui permettait d’augmenter la pension légale des travailleurs demeurés actifs au-delà de 62 ans.
” Si elle est trop avantageuse, la pension à temps partiel aura l’effet inverse de ce qui est recherché, avertit Jean Hindriks. Le but est de responsabiliser, d’encourager les gens à rester plus longtemps au travail. La pension à mi-temps n’a pas pour objet d’inciter les travailleurs à partir. Le ministre a plus ou moins abandonné l’idée de voir la pension à points adoptée sous cette législature encore. La concertation à propos de la liste des métiers et fonctions pénibles a capoté. Il est donc inutile d’espérer une réforme structurelle avant les élections. La pension à temps partiel serait pour lui une petite victoire, réaliste – le sujet est moins sensible. Il estime pouvoir obtenir l’accord des syndicats. Il faut toutefois veiller à ne pas agir dans la précipitation. Sans correction actuarielle, le régime n’aura pas l’effet escompté, au contraire : il raccourcira la carrière au lieu de l’allonger. C’est ce qui s’est passé en Suède, où il a dû être remanié. ”
Budgétairement neutre
Marjan Maes veut elle aussi à tout prix éviter d’encourager les départs. ” Le système doit être budgétairement neutre pour l’Etat et pour la sécurité sociale, ajoute-t-elle. Les corrections actuarielles, applicables à la hausse ou à la baisse, garantiront automatiquement cette neutralité. ” Notre experte précise qu’une étude scientifique a d’ores et déjà démontré qu’en allouant mal les incitants financiers, le système des emplois de fin de carrière précipitait les départs. ” Alors que dans le régime de la pension à mi-temps, les actifs ne constitueront des droits à la pension qu’aussi longtemps qu’ils continueront à travailler, ce qui est plus proche du principe d’assurance de la retraite “, conclut-elle.
Le but est de responsabiliser, d’encourager les gens à rester plus longtemps au travail. La pension à mi-temps n’a pas pour objet d’inciter les travailleurs à partir. ” Jean Hindriks (Conseil académique des pensions)
Le rapport de la Commission de réforme des pensions 2020-2040, à la rédaction duquel a participé Jean Hindriks, met lui aussi en avant la pension à temps partiel. Pourquoi l’expert appuie-t-il maintenant sur la pédale de frein ? ” L’idée de la pension à temps partiel est inscrite depuis la fin des années 1990 dans le régime des pensions des salariés et des indépendants, révèle-t-il. Si elle n’a pas abouti jusqu’ici, c’est que l’on ignorait si, et comment, les périodes travaillées allaient contribuer à la constitution des droits. On pensait que la pension à temps partiel ne pourrait être instaurée qu’après la pension à points – pour rappel : chaque année travaillée donne droit à un point, voire à plus, pour les professions pénibles ; une correction actuarielle est prévue là aussi. ”
Marjan Maes estime inutile de faire précéder l’instauration de la pension à temps partiel de celle de la pension à points. ” La pension à temps partiel peut parfaitement être mise en oeuvre indépendamment du régime à points. N’oublions pas que la Belgique a toujours opéré une correction actuarielle de 5 % par année de retraite prise avant l’âge de 65 ans. Le gouvernement a malheureusement aboli ce principe d’assurance en 1991. Ce fut une décision particulièrement regrettable car la Belgique est devenue le seul pays au monde à ne pratiquer aucune correction actuarielle. Elle est, de surcroît, le pays de l’OCDE où l’âge effectif du départ à la pension est le plus bas. ”
Exemples nordiques
Marjan Maes applaudit à l’exemple norvégien : ” La Norvège permet depuis 2011 de partir à la retraite entre 62 et 75 ans. Le calcul actuariel donnant un résultat satisfaisant, il n’est pas nécessaire d’imposer des restrictions en matière de revenus complémentaires. La Suède et la Finlande se sont elles aussi dotées d’un système à temps partiel. Il est tout à fait possible d’instaurer un régime à mi-temps qui ne présente pas nécessairement toutes les caractéristiques du système à points. Il est naturellement impératif que la pension à temps partiel n’incite pas à raccourcir la carrière. D’après le Bureau fédéral du Plan, les récentes réformes ont permis de diviser par deux le coût du vieillissement : il faut veiller à ce qu’il ne remonte pas. C’est vital ! ”
Faute de connaître les intentions précises de Daniel Bacquelaine, l’ancien ministre des Pensions Frank Vandenbroucke, aujourd’hui professeur à l’université d’Amsterdam, ne souhaite pas se prononcer sur la pension à temps partiel. Il évoque le rapport sur les métiers pénibles, publié en avril 2015 par le Conseil académique des pensions : ” Nous avons, dans le cadre de la Commission de réforme des pensions 2020-2040, résolument plaidé en faveur d’une formule à temps partiel, tout en insistant sur le fait que de sa consistance et de sa cohérence dépendrait la pérennité du système “.
Le rapport, qui traite à partir de la page 27 de la pension à temps partiel et des métiers pénibles, est accessible via ce lien : www.conseilacademiquepensions.be/docs/fr/rapport-042015-fr.pdf
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