Pensions: ‘Notre culture politique rend toute réforme en profondeur impossible’
L’âge effectif de la pension dans notre pays se situe en dessous de la moyenne de l’OCDE, ressort-il d’un récent rapport de l’organisation. Nous nous sommes entretenus à ce sujet avec Frank Vandenbroucke, ancien ministre des Pensions, membre de la Commission des réformes des pensions et professeur à l’Université d’Amsterdam.
Comparés à d’autres pays de l’OCDE, les gens partent tôt à la pension en Belgique. À quoi est-ce dû ?
FRANK VANDENBROUCKE: Il y a deux facteurs explicatifs. Tout d’abord, pour les travailleurs de plus de 50 ans, le marché belge du travail se trouve dans un cercle vicieux. Dans notre pays règne une culture où les gens veulent partir à la pension relativement tôt. En conséquence, les employeurs sont réticents à engager des travailleurs plus âgés. Ils craignent que la main-d’oeuvre de la catégorie d’âge 55+ s’en aille rapidement.
Les recruteurs donnent dès lors systématiquement leur préférence à des personnes plus jeunes, avec la conséquence que les travailleurs plus âgés ont toujours plus l’impression de ne plus être appréciés à leur juste valeur ou de ne quasi plus pouvoir contribuer. De ce fait, ils sont effectivement impatients d’être à la pension, ce qui confirme dès lors à nouveau l’image négative concernant leur dynamisme.
Le marché belge du travail, en ce qui concerne les travailleurs de plus de 50 ans, se trouve dans un cercle vicieux
Le problème de ce cercle vicieux est aggravé par la nature de notre système des pensions. En particulier le premier pilier, la pension légale, pêche par manque de ce qu’on appelle des corrections dans le jargon actuariel. Ce sont des adaptations qui augmentent la pension légale pour les personnes qui continuent à travailler plus longtemps et la diminuent pour ceux qui mettent fin à leur carrière plus tôt. De telles mesures incitatives existent pourtant chez nous, mais elles ne sont pas suffisamment importantes pour provoquer un changement de comportement. Dans d’autres pays, le système des pensions est beaucoup plus efficient sur ce plan.
L’emploi auprès de la population active plus âgée augmente toutefois progressivement. C’est une bonne nouvelle en soi, mais l’augmentation est encore trop modeste.
Quelles solutions voyez-vous à ces deux problèmes ?
En ce qui concerne ce cercle vicieux, cela consisterait à rompre les anticipations réciproques négatives sur différents fronts. Cela doit notamment se faire en investissant dans les compétences des travailleurs plus âgés. On a beaucoup trop peu investi à ce niveau par le passé, ce qui fait qu’en Belgique, le départ anticipé du marché du travail a acquis trop de succès et est trop profondément ancré.
Ensuite, nous devons réformer le système des pensions en profondeur dans notre pays. Au vu de l’espérance de vie plus élevée, le fait que les gens doivent progressivement travailler en moyenne plus longtemps est inévitable. Cela ne signifie toutefois pas qu’une réforme ne puisse pas être équitable et juste.
La durée de la carrière doit être au centre du nouveau système des pensions
La durée de la carrière doit se trouver au centre du nouveau système des pensions. Les personnes qui travaillent plus longtemps doivent être récompensées par une pension plus élevée, alors que l’arrêt anticipé doit être découragé. En même temps, n’oublions pas que tout le monde ne commence pas à travailler au même âge. Si l’on veut effectivement augmenter l’âge de la pension, une approche uniforme est en conséquence exclue: il faut autoriser des choix, sur base de la longueur de la carrière.
Le système des pensions doit donc prévoir la flexibilité et la liberté de choix nécessaires, et les gens doivent être correctement informés sur les conséquences de leurs choix sur leur pension. Enfin, le régime des pensions réformé devra aussi être capable de s’auto-adapter à l’évolution de l’espérance de vie. Dans le cas contraire, une réforme s’imposera périodiquement, ce qui entraînera une perte de confiance des gens dans les pouvoirs publics.
En 2014, la Commission des réformes des pensions a fait une proposition cohérente pour arriver à un système des pensions où tous ces éléments apparaissaient. À ma grande déception, rien n’en a été fait jusqu’à présent.
Pour la confiance dans les pouvoirs publics, le Fonds du vieillissement, créé alors que vous étiez ministre des Pensions, a également fait plus de tort que de bien. L’an dernier, le fonds a été officiellement démantelé et depuis lors, on attend toujours une solution structurelle. Pourquoi le Fonds du vieillissement n’a-t-il pas été un succès ?
Ce Fonds s’inscrivait dans la vision selon laquelle on devait anticiper le vieillissement par la constitution d’énormes buffers. Dans les années nonante et au début de ce siècle, tous les partis politiques appuyaient cette stratégie. L’objectif était d’alimenter le fonds des pensions avec les surplus budgétaires. Lorsque, chemin faisant, il s’est avéré que les gouvernements successifs ne réalisaient pas de surplus, mais au contraire des déficits, il est devenu clair que le Fonds du vieillissement ne fonctionnerait pas.
Au fil des années 2000, je suis devenu de plus en plus sceptique envers l’idée sur laquelle reposait le Fonds du vieillissement. Un contrat pension robuste est un système auto-entretenu et il ne peut pas dépendre d’éventuels surplus budgétaires.
La création du Fonds du vieillissement en 2001 montre néanmoins que l’on a vu venir la problématique depuis longtemps. D’autres pays de l’OCDE ont-ils, eux, anticipé à temps ?
Il y a en effet des pays qui ont mieux réagi aux tendances démographiques. Je pense à la Suède, l’Allemagne, le Danemark et aux Pays-Bas. Dans ces pays, on a commencé beaucoup plus tôt le démantèlement de la retraite anticipée. La culture politique néerlandaise se prête aussi davantage à de grandes réformes.
Que voulez-vous dire par là ?
La différence d’approche du gouvernement Michel et du gouvernement Rutte III est à cet égard révélatrice. Aux Pays-Bas, on se rend compte de la nécessité d’une grande adhésion pour un dossier de l’importance des pensions. Le gouvernement Rutte III, certes difficilement qualifiable de gauche, a invité les syndicats et les employeurs à venir eux-mêmes avec des propositions de réforme, sur base des études approfondies auxquelles les partenaires ont en outre contribué eux-mêmes. Cette attitude crée beaucoup plus de bonne volonté et conduit à un comportement plus constructif.
Quand des réformes en profondeur sont nécessaires, la culture politique actuelle en Belgique est désespérément inefficace.
En Belgique par contre, on a opté pour une approche spectaculaire en décidant rapidement de relever l’âge de la pension à 66 ou 67 ans. Ce faisant, le gouvernement veut paraître déterminé, mais avec cette mesure isolée, il a compliqué la concertation sociale liée à une réforme structurelle.
Pour être clair, j’estime que les partenaires sociaux adoptent une attitude beaucoup trop défensive, mais c’est en partie dû au manque de concertation sur le relèvement de l’âge de la pension. Cela peut paraître dur, mais quand des réformes profondes sont nécessaires, la culture politique actuelle en Belgique est désespérément inefficace.
Pour finir, il ressort du rapport de l’OCDE que le revenu des 65+ en Belgique est financé à 84% par les moyens publics. La Hongrie est le seul pays où ce pourcentage est plus élevé. Le Belge doit-il davantage veiller lui-même à sa pension ?
Permettez-moi à nouveau de faire une comparaison avec les Pays-Bas. Le système des pensions complémentaires y est obligatoire pour les employés et les fonctionnaires. Il constitue un complément très important à la pension de base que les pouvoirs publics financent directement.
En Belgique, les pensions complémentaires jouent un rôle beaucoup moins important. Avec la Loi relative aux pensions complémentaires de 2003, j’ai essayé de donner une diffusion beaucoup plus large aux pensions complémentaires. Il s’agit bien, dans ce contexte, des plans de pension collectifs par secteur d’activité ou par société et non de la pension complémentaire individuelle. Entre-temps, de plus en plus d’employés se sont effectivement affiliés à un tel plan de pension, mais la couverture est néanmoins loin d’être totale.
C’est la raison pour laquelle, avec notre Commission, nous plaidons pour une plus grande généralisation. Sans obliger les gens à faire quoi que ce soit, le gouvernement devrait faire en sorte que les partenaires sociaux donnent une plus grande priorité à cette problématique dans leur négociation salariale.
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