Patrick Artus sur la crise des retraites en France: “Il aurait fallu faire confiance aux partenaires sociaux”

Patrick Artus © belgaimage
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Patrick Artus est conseiller économique de la banque Natixis et professeur associé à l’École d’économie de Paris. Il vient de corédiger, avec l’économiste Olivier Pastré, un essai sur le bouleversement économique de ces dernières années (1). Au détour d’un entretien, nous lui avons demandé son sentiment sur la crise actuelle des retraites en France.

Cette crise est-elle une conséquence directe de la thématique de votre livre, à savoir une réaction à la pénurie de main d’œuvre ?

Oui, c’est directement lié. Le vieillissement est à l’œuvre. Il y avait 4 actifs pour un retraité au début des années septante. Nous avons aujourd’hui 1,7 actifs par retraité et en 2050 il y en aura 1,3. Nous ne savons plus équilibrer un système de retraite par répartition quand il y a de moins en moins de cotisants. Mais il y a également la question du besoin de dépenses publiques : pour l’éducation, la santé, la recherche, les dépenses militaires … Cela a mené le chef de l’Etat à penser que l’argent serait mieux employé pour financer le système éducatif, le système de santé ou la recherche-développement que de l’utiliser pour financer le système de retraite. Il essaie donc de faire monter le taux d’emploi pour réduire le poids du système de retraite dans l’ensemble des dépenses publiques.

Vu de l’étranger, on est étonné par deux choses. La première est que la population est vent debout contre le report de l’âge de la retraite à 64 ans, alors que cette limite est déjà dépassée dans beaucoup de pays européens (Allemagne, Belgique, Pays-Bas…).

Les salariés ont clairement une perception du marché du travail en France, tous métiers confondus, que l’on ne trouve pas à l’étranger. Des enquêtes montrent une majorité de salariés disant être en souffrance au travail. Le rejet du report de l’âge légal de la retraite est donc beaucoup plus fort en France. Mais attention : si dans certains pays l’âge légal de la retraite est à 65 ou 67 ans, l’âge effectif de prise de la retraite reste toujours inférieur. On n’arrive pas en général à faire travailler les salariés au-delà de 64 ans ou 64 ans et demi.

L’autre étonnement est la manière plutôt autoritaire du Président Emmanuel Macron de faire passer cette mesure, en contournant le Parlement.

La technique suivie par Emmanuel Macron est très bizarre. Le gouvernement aurait pu dire aux partenaires sociaux : « vous patronat et syndicats, vous devez prendre des mesures pour rééquilibrer financièrement le système de retraite, mais vous êtes libres de prendre les mesures que vous souhaitez ». Le gouvernement aurait ainsi pu exiger d’aboutir à 15 milliards d’euros d’économie sur les dépenses de retraite à l’horizon 2030, mais en laissant les partenaires sociaux libres des moyens d’y parvenir. Il aurait pu leur donner six mois, et n’intervenir que si les négociations débouchaient sur un échec.

Mais y a-t-il des exemples en France où les partenaires sociaux se sont déjà mis d’accord sur ce type de problématique ?

Nous avons en France un système de retraite complémentaire qui s’appelle Agirc-Arrco qui gère les retraites complémentaires de 27 millions de salariés. Ce système est très bien géré. Il est géré paritairement, il est en équilibre et pour y arriver il a dû parfois prendre des mesures assez dures (des sous-indexations, des allongements de durée de cotisation…) mais cela s’est fait sans conflit. Le gouvernement n’a pas fait cette fois confiance aux partenaires. C’est dommage. Il aurait évité une crise. Je ne comprends pas.

(1) De l’économie de l’abondance à l’économie de la rareté, Odile Jacob, 18,9 euros

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