En marge d’une note sur l’évolution du pouvoir d’achat des Belges, Eric Dor, économiste à l’IESEG School of Management à Lille, confirme ce dont beaucoup se doutaient : les épargnants belges n’ont été pas gâtés par les taux d’intérêt des banques ces dernières années.
Sur les 25 dernières années, le pouvoir d’achat des Belges a moins augmenté que dans tous les pays voisins. Et seuls trois pays font pire que nous dans toute la zone euro. Parmi les multiples raisons évoquées, il y a la baisse de 55,8% des revenus réels d’intérêts des ménages par habitant, contre une baisse limitée de 15,9% aux Pays-Bas et même une hausse de 144% en France.
Pour l’expliquer, il faut revenir entre autres à la période inflationniste entre 2022 et 2024. Cette période, on s’en souvient, a contraint la BCE à augmenter ses taux directeurs. “Mais les banques belges ont beaucoup moins répercuté ces hausses sur les comptes épargne qu’à l’étranger. Et les Belges ont beaucoup d’argent sur leurs comptes épargne, l’impact est donc important”, nous détaillait Eric Doe, mardi.
Les Belges pas vernis
Entretemps, l’économiste a refait les comptes de l’évolution des taux d’intérêt sur les comptes d’épargne réglementés. Pour rappel, en Belgique, le taux minimum pour de tels comptes est fixé à 0,11%, alors que le taux plancher est par exemple à 0,5% en France.
Le constat est clair : les Belges ne sont pas bien lotis dans la hiérarchie du taux d’intérêt moyen sur les comptes d’épargne. “Les banques des différents pays de la zone euro ont appliqué des politiques très différentes à l’égard de leurs clients épargnants, lors de l’augmentation des taux directeurs par la BCE pour lutter contre l’inflation, et puis lors du reflux de ces taux directeurs lorsque l’inflation a diminué”, explique Eric Dor.
Les épargnants du Luxembourg et de l’Autriche ont été les mieux traités, selon les données de la BCE. “En Belgique, les épargnants ont été très défavorisés par les banques. Le marché de l’épargne reste très fragmenté en zone euro”, conclut l’économiste.

C’est aussi la faute des épargnants
Ce graphique n’est pas vraiment une surprise. À la demande du précédent gouvernement, en 2023, l’Autorité belge de la concurrence avait déjà dressé une série de constats et de recommandations. Si l’ABC ne constatait pas d’entente illégale, elle indiquait que l’oligopole du marché bancaire belge, avec ses quatre grandes banques, les poussait de facto à ne pas agir. “Si l’une augmente ses taux, les trois autres bougeraient également, et toutes seraient perdantes. Donc, les banques sont satisfaites du statu quo“, poursuit l’économiste.
Par leur immobilisme, la responsabilité des épargnants est aussi engagée. “Une grande majorité de Belges laissent simplement dormir leur argent sans chercher de meilleurs rendements, alors qu’il existe des banques plus agressives, notamment en ligne, qui offrent davantage. Ce manque de réactivité joue clairement contre eux”, avance Eric Dor.
Ce qui est moins le cas en France, par exemple : “En France, les épargnants sont un peu plus dynamiques : beaucoup transfèrent leur argent du livret A vers d’autres produits, comme l’assurance-vie, dès qu’ils peuvent obtenir de meilleurs taux. En Belgique, cette mobilité reste très limitée, ce qui permet aux banques de maintenir des taux faibles”, poursuit le directeur des Études économiques.

C’est un problème connu, mais peu évoqué par l’Arizona
Le précédent gouvernement avait tenté de mettre la pression sur le secteur bancaire. Tout le monde se souvient du fameux bon d’Etat qui avait permis de récolter plus de 20 milliards d’euros, du jamais vu. S’en était d’ailleurs suivie une bataille des banques pour récupérer le magot, en lançant surtout des offres alléchantes via les comptes à terme. “Leur stratégie a été très claire : pousser les clients vers les comptes à terme, là où les montants sont plus faibles et où la concurrence est plus facile à gérer, plutôt que d’augmenter les taux sur la masse colossale des comptes d’épargne réglementés”, ajoute l’économiste.
La Vivaldi voulait aussi suivre la recommandation visant à supprimer la prime de fidélité, qui empêche la mobilité des clients. Pour la jumeler avec le taux de base et en faire un taux unique. Mais la mesure n’a finalement pas abouti. Seule une limitation de l’offre a été mise sur la table pour réduire le nombre de comptes d’épargne et ainsi améliorer la lisibilité auprès de l’épargnant. Mais cette règle était non contraignante. Certains partenaires, comme le PS ou Ecolo, avaient également évoqué de fixer un taux plancher ou d’obliger les banques à lier leur taux à celui de la BCE, mais là encore, cela n’a pas été conclu.
Tous les partis politiques s’accordent à dire que le marché bancaire belge devrait être plus ouvert à la concurrence. Mais l’accord du gouvernement Arizona reste muet sur le sujet. “Introduire la portabilité des comptes bancaires, à l’image de ce qui existe pour les fournisseurs d’énergie ou de télécoms, permettrait aux clients de changer de banque sans tracas”, estime pourtant Éric Dor.
Le sujet est évidemment moins prégnant, aujourd’hui, avec la baisse des taux, mais faut-il attendre la prochaine crise inflationniste ?