Matières premières: la revanche de la vieille économie
Argent, blé, platine, cuivre…, l, etc. Les matières premières ont le vent en poupe ces derniers mois, une tendance qui pourrait s’ancrer sur le long terme. Toutes les matières premières ne sont toutefois pas logées à la même enseigne et il convient de demeurer attentif à tous les paramètres avant d’investir.
Sur le marché, l’un des principaux baromètres du cours des matières premières est l’indice S&P GSCI Commodities, lancé par Goldman Sachs en 1991 et repris par Standard & Poor’s en 2007. Le principal atout de cet indice est qu’il rassemble tous les types de matières premières: énergie, métaux précieux ou non, denrées agricoles et bétail. Le graphique est sans appel, le marché des matières premières ne s’est globalement jamais véritablement remis de la crise de 2008. Depuis le creux d’avril, l’indice a toutefois rebondi et atteint un nouveau plus haut depuis six ans. Pour de nombreux observateurs, c’est le signal d’un retournement structurel du marché.
Tout les marchés des matières premières sont aujourd’hui déficitaires à l’exception du blé.”
Jeffrey Currie (Goldman Sachs)
Nouveau marché haussier
Jeffrey Currie, responsable de la recherche sur les matières premières chez Goldman Sachs, en est convaincu: “le redressement actuel est le point de départ d’un marché haussier structurel beaucoup plus long” qui marquera “la revanche de la vieille économie”. Il épingle tout particulièrement “un sous-investissement structurel dans l’offre” avec comme conséquence que “tous les marchés des matières premières sont aujourd’hui déficitaires à l’exception du blé”. Le gourou de Goldman Sachs n’est pas le seul à tabler sur un nouveau marché haussier pour les matières premières.
Dwight Anderson, fondateur d’Ospraie, prévoit ainsi des rendements de 100 à 300% au cours des 18 à 36 prochains mois. “En l’absence de vastes projets de développement de l’offre, contrairement à la situation en 2009, et avec des mesures de relance budgétaire et monétaire maximales, le contexte actuel devrait engendrer l’un des meilleurs cycles haussiers de l’histoire des matières premières”. Ce qui nous ramène aux périodes de gloire des marchés des matières premières comme entre 2001 et 2008 quand l’indice S&P GSCI Commodities a quintuplé. D’autres analystes évoquent encore d’autres soutiens pour les prix des matières premières comme la nécessité d’accroître les stocks dans un monde marqué par les ruptures de chaîne d’approvisionnement durant la pandémie, d’importantes tensions commerciales et d’innombrables restrictions d’exportation.
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Premier exportateur mondial de blé, la Russie a, par exemple, décidé de doubler la taxe sur ces exportations à 50 euros par tonne à partir du 1er mars afin de réduire la pression sur les prix locaux. L’année dernière, l’Indonésie a interdit l’exportation de minerai de nickel, dont elle est le premier producteur mondial afin d’encourager le développement de l’industrie de la transformation locale. La Chine agite régulièrement le spectre d’une interdiction d’exportation de terres rares. Le Congo a interdit en 2013 l’exportation de minerai de cobalt, crucial pour les batteries. L’Opep et la Russie ont mis en place des quotas de production de pétrole stricts pour faire remonter les prix. Et l’on pourrait multiplier les exemples, l’OCDE recensant plusieurs milliers de restrictions (quotas, interdictions, licences, taxes, etc.) dans le monde.
Attention aux “futures”
Pour l’investisseur, la principale interrogation est de traduire ces bonnes perspectives pour les matiè-res premières en investissements concrets. Instinctivement, on serait tenté de miser directement sur le marché des matières premières. Mais c’est un pari risqué qui impli-que un timing parfait. En effet, lorsque vous achetez un investissement sur les matières premières, vous n’achetez pas du blé, du pétrole ou du nickel, le coût du stockage serait prohibitif, mais des contrats pour livraison à terme (ou futures en anglais) de ces produits. Chaque mois, l’émetteur de l’investissement roule ses contrats pour une échéance ultérieure (“rouler une position” signifie vendre un con-trat à terme qui arive à échéance pour acheter le m^me contrat mais avec une échéance plus éloignée). Ce qui comporte deux inconvénients. Le premier, ce sont les frais de roulement liés à cette opération, le second est que lorsque les marchés anticipent un marché plus tendu, les contrats pour livraison ultérieure ont tendance à être plus chers, ce qu’on appelle une situation de “contango”. L’impact peut être élevé en cas de pénurie attendue ou de saisonnalité. Sur les marchés américains, le contrat pour livraison de gaz en janvier affiche ainsi une prime de 14% par rapport à celui d’avril. L’impact global peut être colossal. L’indice S&P GSCI Commodities tenant uniquement compte du prix facial des matières premières se traite ainsi au plus haut depuis six ans. Par contre, le S&P GSCI Commodities Total Return qui inclut l’impact du roulement des contrats à terme affiche une perte de 55%!
En d’autres termes, miser sur le prix des matières premières est uniquement à conseiller pour des placements spéculatifs de court terme, tout l’inverse d’un investissement destiné à profiter d’un nouveau marché haussier structurel. La seule exception concerne les métaux précieux, étant donné qu’il existe des fonds de type ETF dits physiques. C’est-à-dire qu’ils ne renferment pas des contrats à terme, mais détiennent de l’or ou de l’argent physique conservé dans des coffres.
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Matières premières et producteurs
Dans l’ensemble, investir sur les producteurs/équipementiers est plus intéressant. D’une part, vous échappez ainsi au mécanisme du roulement des contrats à terme. D’autre part, vous pouvez profiter d’un levier opérationnel. Imaginons qu’une entreprise dépense 3 dollars pour produire une livre de cuivre. En la vendant au cours actuel de 3,75 dollars, son bénéfice est de 0,75 dollars. Si le cours grimpe de 20% à 4,50 dollars, sa marge par livre double à 1,50 dollar. Nous faisons le point par type de matière première.
Lorsque vous achetez un investissement sur les matières premières, vous n’achetez pas du blé, du pétrole ou du nickel, le coût du stockage serait prohibitif, mais des contrats pour livraison à terme de ces produits.
Denrées agricoles. Doug King, gestionnaire de fonds spécialisé chez RCMA, pointe des niveaux de stocks assez bas pour les céréales et une demande soutenue d’oléagineux. Ce que confirme globalement le rapport de réfé-rence WASDE de l’administration américaine qui table, pour la saison 2020-2021, sur une baisse des stocks mondiaux de blé, de maïs, d’oléagineux et de coton. Evidem- ment, ces prévisions restent soumises aux aléas météorologiques. Quoiqu’il en soit, Doug King affirme que les investisseurs montrent de plus en plus d’intérêt pour les denrées agricoles. Ce qui se reflète en Bourse. Les producteurs d’engrais comme Mosaic, Nutrien et K+S ont nettement rebondi en Bourse malgré de piètres résultats. Les sociétés immobilières américaines spécialisées dans les terres agricoles, comme Farmland Partners et Gladstone Land, ont aussi le vent en poupe, surtout depuis l’annonce mi- janvier que Bill Gates détenait au total près de 100.000 hectares de terres agricoles. Un soufflet qui pourrait retomber et offrir des opportunités. Les équipementiers ont décollé dans le sillage du leader Deere qui s’échange à 36 fois les bénéfices réalisés. L’américain Agco (17 fois les profits prévus en 2021) et l’italien CNH Industrial (16 fois) offrent ainsi davantage de potentiel aux cours actuels.
Métaux. Certainement le segment de marché offrant le plus de potentiel même si les perspectives varient d’un métal à l’autre. Pour le minerai de fer, les avis sont partagés, allant d’une légère hausse par rapport aux niveaux élevés actuels à une sensible rechute. Les perspectives pour le cuivre sont par contre au beau fixe: les stocks sont bas et la demande soutenue par la transition énergétique, le métal rouge étant utilisé notamment dans les batteries et les réseaux électriques nécessaires pour raccorder les énergies renouvelables. Le développement de la voiture électrique devrait aussi booster la demande de nickel. Parmi les principaux groupes miniers qui devraient en profiter, on retrouve BHP Billiton et Rio Tinto, cotés à Londres. A un peu plus de 10 fois les bénéfices, leur valorisation tient déjà compte d’une rechute du prix du minerai de fer (pre- mière source de profits) et laisse une marge d’amélioration pour d’autres productions. Freeport McMoran présente une valorisation un peu plus élevée mais le groupe américain est spécialisé dans le cuivre, plus prometteur. Le géant suisse du négoce et des métaux Glencore présente une valorisation plus élevée mais a les faveurs des analystes car il peut fortement profiter de marchés plus tendus.
Métaux précieux. Sans aborder l’or qui représente une classe d’actifs à lui seul, les perspectives des autres métaux précieux sont disparates. Actuellement, la demande de platine et de palladium est forte pour les catalyseurs de voiture mais les voitures électriques n’en contiennent pas. Le platine est toutefois nécessaire pour les piles à combustible (hydrogène) dont le développement demeure assez lointain. L’argent apparaît ainsi profiter d’une demande plus soutenue à court et moyen terme étant notamment utilisé pour les équipements 5G, les composants électroniques automobiles ou les panneaux photovoltaïques. L’Invesco Physical Silver ETC (Bourse de Londres ; IE00B43VDT70) permet d’investir directement dans l’argent et le groupe canadien PanAmerican Silver est le producteur de référence sur les marchés avec des bénéfices en nette hausse depuis deux ans.
Energie. Le marché pétrolier est partagé par deux grands courants. D’une part, ceux qui évoquent une pénurie de pétrole faute d’investissements ces dernières années. D’autre part, les partisans de la thèse d’un pic de la demande avec l’arrivée à maturité des voitures électriques et l’impact des taxes carbone. De plus, l’équilibre à court terme du marché dépend du pacte scellé entre les deux meilleurs ennemis, la Russie et l’Arabie saoudite. Dans ce contexte, il semble plus sûr de miser sur le secteur pétrolier via des groupes énergétiques plus diversifiés (gaz, renouvelables, services, etc.) comme Total ou Royal Dutch Shell. Ces derniers ne sont toutefois pas actifs dans l’uranium dont les perspectives à long terme s’améliorent avec une série de pays (Royaume-Uni, Pays-Bas, Chine, Inde, Japon, Etats-Unis, etc.) misant à nouveau sur l’énergie atomique. Ce qui pourrait profiter au groupe minier canadien Cameco, spécialiste de l’uranium, et à BWX Technologies, producteur américain de combustible nucléaire notamment.
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