L’expert fiscal Wim Wuyts: “L’idée selon laquelle les grandes entreprises ne paient quasiment pas d’impôts est obsolète”

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Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

Dans une lettre ouverte, une cinquantaine de dirigeants flamands affirment que l’optimisation fiscale ne doit plus être tolérée. Selon Wim Wuyts, CEO de WTS Global, le monde de la fiscalité a complètement changé ces cinq dernières années, mais tout le monde n’en a pas encore pris conscience.

Une de leur proposition concerne un impôt uniforme de 20%. Cela vous surprend-il?

WIM WUYTS. “Ces chefs d’entreprise disent n’importe quoi. Quand je lis qu’avec l’aide des meilleurs spécialistes, les grandes entreprises profitent via des échappatoires de la complexité du système pour bénéficier de subsides importants et payer très peu d’impôts, je me demande quelles entreprises sont visées. S’agit-il d’entreprises industrielles du Bel 20 qui exercent leurs activités dans le monde entier comme AB InBev, Solvay et Umicore ? Ces dernières années, ces entreprises font état au niveau du groupe de taux d’imposition moyens oscillant entre 22 et 28%. Cela me paraît juste.”

“Si, comme le fait le PTB, on prend une société du groupe qui s’avère être une holding, il est possible qu’elle ne paie pas ou quasiment pas d’impôts. Et à juste titre car sinon les mêmes bénéfices seraient taxés deux fois.”

Subsiste-t-il encore beaucoup d’échappatoires après la baisse et la réforme de l’impôt des sociétés de 2017 ?

WIM WUYTS. “Dans le passé, des pays comme la Belgique, les Pays-Bas, le Grand-Duché de Luxembourg, la Suisse et Singapour ont tenté d’attirer des activités spécifiques avec le dispositif des niches fiscales. Le régime fiscal belge de l’exonération des bénéfices excédentaires visait les banques internes des entreprises, les centres d’innovation ou l’activité du siège social. Mises sous la pression de l’OCDE, du G20, du G7 et de l’Europe, les niches fiscales se sont évaporées au bout de cinq ans. Il était donc crucial pour la Belgique de baisser de 34 à 25% le taux d’imposition des sociétés. C’était le minimum pour revenir dans le peloton. Dans le même temps, la base imposable a été élargie par la limitation de la déduction des intérêts et des pertes récupérables. Une taxe de sortie frappe certains transferts d’actifs vers l’étranger. Les dividendes de la filiale vers la société mère sont même imposés plus souvent qu’avant si certaines conditions ne sont pas respectées.”

Faut-il poursuivre les réformes selon vous ?

WIM WUYTS. “On pourrait envisager une nouvelle baisse du taux d’imposition. Notre pays est à la traîne par rapport aux Pays-Bas et au Royaume-Uni qui ont opéré une baisse plus rapide et plus importante de leur taux. La Belgique se situe au mieux juste dans la moyenne. Je suis convaincu que seule une législation de qualité peut restaurer ou améliorer la confiance entre le législateur et les entreprises. Et celle-ci fait défaut. On se perd de plus en plus dans les lois de réparation. Le législateur pourrait déjà commencer par supprimer toutes les anomalies, asymétries et incongruités du Code des impôts sur les revenus (CIR). Nous aurions déjà fait du chemin.”

“Mais beaucoup de choses ont changé aussi depuis les révélations dans la presse des scandales liés aux montages dans des paradis fiscaux qui pour la plupart se sont produits avant 2014. Aujourd’hui, la transparence est de mise. Les entreprises qui génèrent un chiffre d’affaires de plus de 750 millions d’euros doivent divulguer le montant des bénéfices réalisés pour chaque pays, le nombre d’actifs détenus et le personnel occupé. Elles doivent communiquer tous les rulings ou accords transfrontaliers passés avec l’administration fiscale. De plus, à partir du 1er juillet 2020, les entreprises ou leurs conseillers fiscaux seront tenus de déclarer spontanément certaines structures et transactions transfrontalières avec effet rétroactif au 25 juin 2018.”

“Cette image sur laquelle les gens se basent pour dire que les grandes entreprises ne paient quasiment pas d’impôts est obsolète et fondée sur la réalité d’il y a cinq ans. Aujourd’hui, nous vivons dans un autre monde.”

On pense aussi que les entreprises technologiques sont très peu taxées. Que pensez-vous de la digitaxe en France et de l’intention de l’UE d’instaurer une taxe de ce type?

WIM WUYTS. “Rien n’empêche d’essayer d’imposer une telle taxe aux entreprises technologiques. Il faut toutefois garder à l’esprit que dans quelques années, la majorité des entreprises répondront à la définition d’entreprise technologique. Les frontières entre analogique et numérique s’estompent. Des constructeurs automobiles jouent déjà avec l’idée d’offrir la navigation gratuite ou bon marché à leurs clients en échange de la mise à disposition de leurs données. À partir du moment où il sait où vous garez votre véhicule et où vous vous faites une halte, le constructeur peut être considéré comme une entreprise technologique. Introduire cette taxe pays par pays voire au niveau européen est aussi une mauvaise idée. L’OCDE planche sur la façon de pérenniser l’impôt des sociétés au niveau mondial. À quoi ressembleront ces entreprises dans une dizaine d’années et comment pouvons-nous taxer ces activités ? C’est la bonne manière de procéder pour éviter une lutte géopolitique.”

Les entrepreneurs signataires de la lettre ouverte réclament aussi la fin de l’optimisation fiscale. Un changement de mentalité est-il nécessaire dans le monde de l’entreprise?

WIM WUYTS. “L’impôt des sociétés est un facteur dans le processus de décision des entreprises, au même titre que les coûts salariaux et les dépenses énergétiques. Il est normal que les entreprises optimisent leur chaîne de production et cherchent quel pays leur permet de produire aux coûts les plus bas et de payer le moins d’impôts. L’obligation pour les entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse les 750 millions d’euros d’effectuer un reporting pays par pays nous permettra d’en savoir beaucoup plus.”

Traduction : virginie·dupont·sprl

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