Les valeurs de croissance ne sont plus trop chères
Suite à la réévaluation des actions de valeur et au coup de mou des actions de croissance, leurs rapports cours-bénéfice prospectifs sont quasiment équivalents. Comme c’était le cas jusqu’en 2017.
Le rapport cours-bénéfice, généralement noté P/E, est décidément une notion à prendre avec des pincettes. Elle est plutôt basique, dans le sens positif du terme, et pas inintéressante, mais elle est également fort trompeuse pour une action en particulier comme pour un marché boursier en général. On a évoqué ici, en juin dernier, le cas des actions américaines, généralement présentées comme sensiblement plus chères que les européennes. En réalité, si l’on corrige le ratio P/E par la croissance attendue des bénéfices, ce qui donne le ratio PEG, on s’aperçoit que cette cherté est une fake news! Le ratio PEG des indices américains et européens est très proche. Cette démarche n’a rien d’un artifice. Elle est au contraire d’une logique implacable: quand on achète une action, c’est pour les bénéfices futurs et non pour celui du moment.
Une approche du même genre conduit à une conclusion analogue en ce qui concerne les valeurs de croissance (dites growth), à pre- mière vue beaucoup plus chères que les actions classiques, dites value ou de valeur. Comme le démontre le graphique Croissance et valeur de concert ci-dessous, leur envol de la décennie écoulée est pleinement justifié par la croissance beaucoup plus élevée des bénéfices attendus. Quand on retient non le P/E du moment mais le P/E prospectif à cinq ans, on s’aperçoit que ce rapport cours-bénéfice fut historiquement très proche. Les valeurs de croissance ne sont devenues “trop chères” que dans le courant de l’année 2017. Et leur faiblesse récente, couplée au vigoureux sursaut des actions value depuis le mois de novembre dernier, a aujourd’hui rétabli l’équilibre.
Comparaison à moyen terme
C’est ce qu’a souligné Didier Saint-Georges, membre du comité d’investissement stratégique du gestionnaire français Carmignac, lors d’un récent point sur les marchés. “Bien entendu, certaines actions sont devenues très chères, notamment dans la technologie, parce que le déluge de liquidités a encouragé des mouvements spéculatifs, concède-t-il. Mais pour juger si ces valeurs de croissance sont chères ou pas, par rapport aux actions de valeur, il faut comparer leurs multiples de résultats à moyen terme, cinq ans par exemple, puisque c’est pour cette raison qu’on les achète et non pas pour leurs résultats de l’année dernière ou de cette année. Que voit-on alors? Qu’historiquement, les marchés étaient assez efficients, avec des valorisations à moyen terme similaires.”
C’est à partir de 2017 qu’une “prime” de croissance est apparue, observe-t-il, qui a culminé en octobre dernier. Mais depuis, la surperformance des actions de valeur a ramené les valorisations de moyen terme sur les mêmes niveaux. “Par conséquent, il nous semble clair que les valeurs de croissance sont aujourd’hui dignes d’investissement et peuvent continuer d’être des moteurs de performances”, conclut Didier Saint-Georges. Une ligne de conduite partagée par la plupart des gestionnaires même s’ils ne développent pas la même argumentation.
Renversement de tendance
Comme l’indique le graphique Une énorme différence à quatre mois d’écart, comparer les performances des actions growth et value à la fin octobre dernier et à la fin février donne une image totalement différente. C’est ce que souligne le gestionnaire britannique First Trust qui suit de près les indices américains S&P Pure Growth et Pure Value. A la fin octobre, le premier était en progrès de 23% sur 12 mois tandis que le second avait perdu 19,5%. Un monde de différence! A la fin février, l’indice Growth avait légèrement progressé à +26% tandis que l’indice Value avait effectué un fameux rattrapage, à + 8,6%. Gros écart toujours, mais beaucoup moins dramatique. Si l’on retient les seuls deux premiers mois de l’année, on arrive à de surprenants + 2,3% et + 15% respectivement. Le monde à l’envers…
La différence est évidemment beaucoup moins accentuée sur une période de 10 ans: toujours à quatre mois d’écart et toujours sur base du return (différence de cours + dividende), on est passé de + 14% et + 9,5% à + 15,1% et + 11,4% respectivement pour les actions de croissance et de valeur. Presque méprisées voici quelques mois encore, les secondes ne font finalement pas trop mauvaise figure sur une décennie. Aux Etats-Unis tout au moins.
Ce n’est pas tout ou rien
Il serait erroné d’imaginer les groupes growth et value totalement différents. Même les sous-indices américains S&P 500 Pure Value et Pure Growth, plus extrêmes que les indices simplement Value et Growth, présentent des points de convergence: il y a aussi de la technologie dans le premier et de la finance dans le second. Ainsi, l’action bancaire SVB Financial figure-t-elle en quatrième position dans le S&P 500 Pure Growth. Il est vrai que SVB signifie Silicon Valley Bank… Globalement, cet indice est composé à 41,7% de valeurs IT ( information technology) et à 19,7% d’actions liées à la santé. Mais on y relève également 5,8% de financières et 5,4% d’industrielles. De son côté, l’indice S&P Pure Value arbore en quatrième position l’entreprise Lumen Technologies… qui est en fait active dans les télécoms. Pure coïncidence: le secteur financier, le plus important, pesait également 41,7% du total au début de ce mois. Très loin devant l’énergie (9,9%), la santé (8,9%) et l’IT (5,5%).
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