Les obligations “retail” végètent… pour mieux redémarrer ?
Ces dernières années, les émissions d’obligations destinées aux petits investisseurs se comptaient sur les doigts de la main. Les taux demeurant à un niveau très bas, d’autres sources de financement s’avèrent plus attrayantes. Pourtant, les experts prévoient que les entreprises finiront par revenir frapper à la porte de l’épargnant belge.
A la fin du mois dernier, le promoteur immobilier Atenor a récolté 50 millions d’euros avec des obligations libellées par petites coupures de 1.000 euros. Ce tarif de souscription relativement bas a permis au petit investisseur de souscrire à une obligation émise par une entreprise belge. Une autre occasion lui avait été donnée en 2015, lorsque le producteur de profilés PVC Deceuninck s’était adressé directement à l’investisseur particulier belge. Mais à part cela, pour l’investisseur, il y a peu à se mettre sous la dent en obligations d’entreprises en petites coupures.
Pourquoi cette longue traversée du désert ? La faute aux taux bas, clament en choeur les spécialistes. Ces taux rendent les obligations retail moins attrayantes. Les chiffres en disent long : il y a quelques années, une obligation émise par une entreprise de qualité procurait facilement un rendement de 3 à 4 %. Aujourd’hui, nous n’en sommes plus qu’à 1 ou 2 %. cent. ” Les investisseurs particuliers ne sont pas souvent disposés à bloquer leur argent pendant cinq à sept ans pour un si maigre rendement brut “, estime Kris Devos, responsable des émissions d’obligations chez ING.
Selon Katherine Dior, responsable des obligations d’entreprises chez BNP Paribas Fortis, ce n’est pas tellement la demande qui fait défaut, mais l’offre : ” Les investisseurs sont toujours demandeurs de ces obligations, mais pour les entreprises, elles sont aujourd’hui plus chères que d’autres sources de financement “.
Un crédit semi-obligataire
C’est ainsi que le Schuldschein est arrivé. ” Il s’agit d’une forme de prêt avec placement privé qui nous vient d’Allemagne et qui se situe à mi-chemin entre un prêt et une obligation. Ce prêt est consenti par plusieurs banques, assureurs et gestionnaires de fonds allemands mais aussi internationaux “, explique Kris Devos. De son côté, Katherine Dior confirme le succès du Schuldschein. ” Il s’agit d’un financement qui est en fait un prêt bancaire, précise-t-elle, mais qui est vendu comme une obligation sur le marché institutionnel, avec des coûts moins élevés pour l’emprunteur parce que, entre autres choses, aucun prospectus n’est requis. ”
Ce ne sont pas les obligations d’entreprises qui manquent, mais celles en petites coupures.
Par ailleurs, il reste toujours un grand nombre d’entreprises qui émettent des obligations. Les groupes immobiliers WDP et Montea ainsi que l’exploitant de cinémas Kinepolis, entre autres, ont récemment émis des obligations afin de financer leur expansion. ” Le marché européen des obligations d’entreprises croît chaque année et constitue de plus en plus une alternative stable aux emprunts bancaires classiques, commente l’expert ING. Il est de plus en plus fréquent que les entreprises scindent leur financement total pour le répartir entre des emprunts bancaires et des obligations. ”
Le géant de la bière AB InBev en est un bon exemple. Il a financé près de la moitié de la spectaculaire acquisition de son concurrent SABMiller (plus de 100 milliards de dollars) en émettant des obligations. ” De nombreuses reprises de taille sont financées par les marchés obligataires, étant donné qu’au vu du climat actuel, ils permettent un financement attractif sur le long terme à des taux historiquement bas “, ajoute Kris Devos.
Changer les règles liées au prospectus ?
Ce ne sont donc pas les obligations d’entreprises qui manquent, mais bien celles en petites coupures. Les obligations émises actuellement ont en général une valeur nominale de 100.000 euros. Ces énormes montants ne posent pas de problème pour les costauds comme les gestionnaires de patrimoine, les fonds de pension et les assureurs. ” Ces derniers peuvent accepter un rendement de l’ordre de 1 à 2 %, étant donné que ces chiffres sont conformes à ceux des marchés obligataires internationaux “, explique Kris Devos.
D’autres facteurs entrent aussi en jeu. Il faut savoir que celui qui émet de grosses coupures qui ne sont pas destinées au grand public belge ne doit pas rédiger de prospectus contenant toutes les informations relatives aux conditions et aux risques. Ce prospectus est un document volumineux et son approbation par l’organe de contrôle nécessite de suivre une procédure lourde. Ce qui représente un coût qui doit être supporté par l’émetteur. Ceci étant, Katherine Dior se montre prudente : ” Les règles pour l’émission d’obligations retail n’ont pas été modifiées ces dernières années. Ce ne peut donc pas être la principale raison pour laquelle on émet moins aujourd’hui. ”
Le monde politique a déjà souvent envisagé d’alléger les obligations liées au prospectus. Le secrétaire d’Etat Philippe De Backer (Open VLD), notamment, qui siégeait à l’époque au Parlement européen, a plaidé en faveur d’une simplification afin d’ouvrir la voie vers l’épargnant aux entreprises développant des projets intéressants. Cependant, tout le monde n’est pas convaincu qu’il faille lâcher du lest. ” Les règles s’appliquant aux obligations à destination des investisseurs particuliers sont plus strictes que celles s’appliquant aux obligations institutionnelles, mais leur instauration est le fruit d’un choix délibéré et justifié dans le but de protéger l’investisseur retail “, estime Kris Devos.
Un phénomène belge
On avance aussi fréquemment l’idée qu’un marché unique des capitaux au niveau européen pourrait changer la donne. Ce terrain de jeu commun à l’ensemble des Etats membres de l’Union est en projet et devrait permettre, par exemple, qu’une entreprise allemande puisse sans la moindre difficulté solliciter le concours de l’investisseur belge, et inversement. La spécialiste de BNP Paribas Fortis reste toutefois réservée : ” Je ne pense pas que le marché du retail va se développer en Europe par le simple fait de l’harmonisation des règles sur le marché des capitaux “.
Selon elle, les obligations destinées au grand public sont tout simplement un phénomène typiquement belge. ” Elles datent encore du temps où le petit indépendant prenait le train pour Luxembourg avec ses coupons pour échapper au précompte mobilier. C’est désormais devenu impossible. En Belgique, la demande en obligations retail se maintient pourtant. Elles font partie de notre culture. Mais il y a très peu d’autres pays qui connaissent ce genre d’obligations . Ailleurs, il est très naturel d’investir dans des obligations d’entreprises via des fonds. ”
L’obligation libellée en petites coupures est pratiquement morte depuis un certain temps déjà. Mais est-elle vouée à disparaître complètement ? ” Lorsque les taux remonteront, nous verrons si les obligations retail retrouveront leur statut de source de financement intéressante pour les entreprises “, poursuit Katherine Dior. Kris Devos est davantage confiant : ” Il est certain que les obligations retail auront encore un rôle à jouer à l’avenir, lorsque les taux remonteront ou lorsque les formes de financement alternatives redeviendront plus onéreuses pour les entreprises. Elles restent une forme de financement intéressante et unique qui permet aux entreprises locales d’attirer l’épargne belge. ”
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