“Les investisseurs ne doivent pas espérer des taux d’intérêt plus élevés”
Pascal Blanqué, Chief Investment Officer groupe chez Amundi, un des plus importants investisseurs européens, fait voler en éclat les rêves de rendements plus élevés. “L’hypothèse à la base de tous nos investissements est que les taux resteront extrêmement faibles. L’investisseur ne doit pas espérer. Nous n’assisterons pas à une normalisation des taux d’intérêt.” (Ilse De witte, Jasper Vekeman)
Après le Brexit, Paris se verrait bien devenir le coeur financier de l’Europe en lieu et place de Londres. Mais la Ville lumière a dans ce cas intérêt à être accessible aisément. Notre tentative d’atteindre le quartier général d’Amundi, le plus important gestionnaire de fortune européen, a échoué la semaine dernière suite à une panne de courant à deux kilomètres de la destination finale du train à grande vitesse, la Gare du Nord à Paris.
Avec un jour de retard, nous parvenons tout de même à parler à Pascal Blanqué. L’économiste et historien financier supervise 1.000 milliards d’euros de placements chez Amundi, né de la fusion entre la branche patrimoniale du Crédit Agricole et la Société Générale. Le patrimoine géré par le Français rivalise presque avec l’importance de l’économie espagnole, ce qui en fait l’un des investisseurs les plus influents sur les marchés financiers. Mais si les trains sont à l’arrêt et le trafic en pagaille, il est aussi impuissant que le pauvre accompagnateur de train qui doit être capable d’apaiser des centaines de passagers inquiets pendant des heures. Ou pas ? “Il y a clairement l’espace pour investir dans les pays occidentaux”, dit-il d’emblée.
Trends-Tendances: Investir dans les infrastructures est donc un thème important pour vous en 2017?
Pascal Blanqué: Absolument. Ecoutez, si vous croyez comme nous – et ceci est la base de toutes nos hypothèses – que les taux d’intérêt resteront extrêmement faibles dans un avenir proche, cela a des conséquences pour tous les investissements. Si les taux restent faibles, cela signifie qu’il y a de l’espace pour investir plus d’argent dans des actifs plus risqués. Ceux-ci peuvent être des investissements plutôt classiques, comme des actions ou des obligations à haut rendement. Mais aussi des investissements plus illiquides comme l’immobilier, les fonds privés (private equity) et les infrastructures.
Pour un petit investisseur, ce n’est pas facile, car il n’y a pas tellement de manières d’investir dans les infrastructures.
C’est exact. Mais j’observe un changement. Non seulement la demande pour les investissements en infrastructures augmente, car ceux-ci offrent un rendement plus élevé. Mais l’offre croît également du fait de la prise de conscience que nous devons investir pour relancer l’économie.
Même les autorités planifient à nouveau d’investir davantage.
À travers le monde, les autorités prêtent une plus grande attention aux dépenses publiques susceptibles de donner un coup de pouce à la croissance. Investir dans les infrastructures est une bonne manière de soutenir la croissance à long terme. Il y a aussi des initiatives pour aider à financer plus facilement les PME. L’économie mondiale croît de manière stable de quelque 3%, mais la structure de cette croissance a changé. Le commerce mondial diminue et à la place, la croissance est de plus en plus motivée par des facteurs internes comme les services, la consommation, et maintenant aussi les investissements en infrastructures. C’est un changement énorme. Ce n’est pas que la globalisation soit arrêtée. Mais les pays croissent toutefois plus par leurs propres moyens.
Les pays comptent davantage sur eux-mêmes. En politique, cela se traduit par un réflexe nationaliste, qui jouera un rôle important l’an prochain lors des élections aux Pays-Bas, en France et en Allemagne.
Nous sommes habitués à prendre en compte la grande incertitude politique dans les pays émergents, mais c’est un phénomène nouveau en Europe. Pour l’investisseur, il lui faudra tout de même un peu de temps pour s’y habituer et les conséquences sont souvent difficiles à estimer. Il n’y a pas de référence historique pour des événements comme le Brexit. Les marchés ont trimé pour trouver la prime de risque appropriée. Comme nous ne ressentirons les conséquences de tels événements politiques qu’à long terme, les marchés ont alors simplement adopté le point de vue qu’il n’y a en fait rien de changé. Il y a uniquement eu une sanction de la livre sterling pour le Brexit et du peso pour les élections aux États-Unis.
Les marchés ont plus d’une fois réagi comme si rien ne s’était passé, encore dernièrement après le référendum italien. Cela signifie-t-il que les investisseurs pourront joyeusement ignorer toutes ces élections l’an prochain ?
Il y a bien une sorte d’autosatisfaction sur le marché, mais jusqu’après les élections en Allemagne, nous connaîtrons tout de même des moments volatiles et incertains. Les actions et obligations européennes sont attrayantes. Mais avant que ce potentiel se traduise par des cours plus élevés, nous devrons probablement d’abord traverser ce cycle d’élections.
Le grand risque lié à ces événements politiques se situe au niveau de l’incertitude. Prenons le Brexit, par exemple. Comment un investisseur doit-il déterminer le niveau de rendement qu’il peut prévoir sur des investissements au Royaume-Uni ? Les négociations dureront sans doute encore au moins deux ans. Les conséquences économiques ne se feront également sentir qu’encore plus tard. Il est donc impossible de calculer le risque correct. Cela ne causera pas forcément des chocs importants. Le marché pourrait aussi aller à la recherche de la prime de risque correcte de manière ordonnée, au rythme des nouvelles concernant les négociations. Mais on pourrait bien sûr aussi avoir des surprises.
Donald Trump à la Maison-Blanche, est-ce un grand risque pour vous ?
(Résolu) Le monde n’a pas radicalement changé du fait de l’élection de Trump. Les marchés sont toujours enclins à exagérer et à vouloir croire que nous nous trouvons au début d’une nouvelle ère. Les bourses anticipent maintenant une croissance plus forte du fait de la perspective d’une baisse des impôts et d’une augmentation des investissements. Ce n’est pas injustifié. Il y aura un impact positif modéré sur la croissance.
Le marché se base aussi sur un dérapage des dépenses aux États-Unis, mais je pense que les républicains au Congrès rechercheront un compromis afin de limiter les dépenses. Les investisseurs croient aussi en une forte grimpée de l’inflation. Et ils ont l’idée que les taux augmenteront, ce qui inversement mènerait à une importante diminution des cours obligataires. Je n’y crois pas vraiment.
Vous souscrivez clairement à la thèse selon laquelle nous nous trouvons dans une secular stagnation, une longue période de croissance faible et d’inflation limitée.
Je vois énormément de caractéristiques d’une telle secular stagnation. L’élection de Trump ne change également rien aux caractéristiques démographiques des pays occidentaux. Les forces déflationnistes persistent par exemple, tout comme le vieillissement. Cela va de pair avec une diminution de la productivité. Dans beaucoup d’économies, les investissements restent sous-dimensionnés et elles sont encore occupées à rembourser les dettes. Le danger de déflation n’est pas écarté.
Que faut-il pour faire augmenter les taux de manière significative ?
Beaucoup de choses que je ne saurais imaginer à court terme. Beaucoup plus de croissance par exemple. Le prix du pétrole devrait également prendre de l’ampleur, de telle sorte que les prévisions d’inflation augmentent. Et nous devrions voir une interaction entre les prix et les salaires qui se propulsent réciproquement vers haut. Ce n’est absolument pas dans les plans. Même pas aux États-Unis.
Si une ascension des taux d’intérêt intervient, ce sera alors temporaire. Une augmentation du taux aurait un impact négatif sur la croissance économique, alors que la relance est encore très fragile et que les dettes sont encore élevées. Le marché commencerait en conséquence à intégrer un ralentissement de la croissance. Et chaque augmentation de taux se détruirait ainsi à nouveau elle-même.
La banque centrale américaine planifie de relever progressivement son taux directeur en 2017. Cela ne pourrait-il tout de même pas faire évoluer le taux vers le haut au second semestre ?
(Décidé) Non. Je ne prévois pas de taux d’intérêt structurellement plus élevé. Je ne prévois pas de normalisation des taux. L’idée d’une normalisation est un leurre. Nous sommes coincés dans une autre sorte d’environnement avec des causes profondes pour les taux faibles. Il y a des forces économiques à l’oeuvre, profondément enracinées, qui ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Cela ne signifie pas que les taux d’intérêt ne bougeront pas. Ils peuvent connaître une plus grande volatilité.
Les investisseurs doivent-ils revoir leurs prévisions de rendements à la baisse ?
Oui. Une ère de rendements diminués et encore diminués est amorcée. Les personnes doivent s’y adapter. Les rendements des cinq dernières années, nous ne les reverrons pas au cours des cinq prochaines années. Prenons un portefeuille composé de moitié en obligations et l’autre moitié en actions. Le rendement sur le volet en actions dépend des dividendes et de l’évolution du bénéfice, ainsi que de la valorisation des actions. Comptez sur un rendement en dividende de 2%, une augmentation du bénéfice de 5% et des valorisations stables. C’est sur quoi je me base pour établir une prévision de rendement de 7% par an à l’échelle mondiale pour les actions dans les prochaines années. Pour le volet obligations, vous ne devez certainement pas compter sur plus de 2%. Avec votre portefeuille diversifié, vous obtiendrez dans ce cas un rendement moyen de 4,5%. Auparavant, c’était 9%. Et c’est en outre avant la soustraction de tous les frais et impôts.
Vous devez adapter cette répartition égale entre obligations et actions. Nous remplaçons une partie des obligations par des investissements illiquides et des investissements non cotés en bourse comme des prêts privés ou des fonds privés (private equity). Vous devez jouer avec des options qui peuvent rapporter plus de rendement.
Les obligations d’État ont-elles encore une fonction dans un portefeuille, au vu de la faiblesse des taux ?
Le profil de risque des obligations d’État des pays clés de l’Union européenne, comme l’Allemagne, a structurellement changé. Leur fonction dans un portefeuille doit être réexaminée. Il est encore utile de prendre des obligations d’États des pays clés de l’UE ou des obligations américaines en portefeuille du fait de leur liquidité. Et certains investisseurs, comme les assureurs ou les fonds de pension, ne peuvent pas faire autrement que de couvrir certains engagements avec des obligations d’État du fait de la législation. Mais du rendement, on ne peut pas en obtenir.
Auparavant, les obligations d’État étaient un matelas, une protection pour la partie du portefeuille avec laquelle vous preniez des risques. Mais aujourd’hui, elles sont bien moins sûres. La chance que vous récupériez votre mise est particulièrement faible. Leur rôle dans un portefeuille diversifié n’a pas complètement disparu, mais il est redéfini. Elles sont simplement remplacées, partiellement en général, par des obligations d’entreprises avec un haut degré de solvabilité.
Les investisseurs n’ont donc pas encore suffisamment fait ce déclic ?
Il y a encore des investisseurs qui pensent, espèrent et prient pour une normalisation des taux d’intérêt. Il suffit de regarder l’enthousiaste rebond des taux après l’élection de Trump. Mais je crains de devoir les décevoir: les taux d’intérêt ne dépasseront pas ce niveau.
Les pays émergents sont attrayants
Pascal Blanqué est persuadé que les investisseurs doivent davantage investir dans les économies émergentes.
Pourquoi ?
Nous voyons suffisamment de raisons de penser que les taux d’intérêt resteront faibles et vous avez alors peu d’autres choix que d’agrandir votre univers d’investissement. Les investisseurs dans les pays émergents ont été déçus pendant quatre ans. Mais beaucoup de marchés émergents sont très attrayants sur base des valorisations. Cela vaut tant pour les actions que pour les obligations. Les rendements couvrent largement assez le risque de change.
2016 a commencé avec des soucis concernant la Chine. Ne craignez-vous pas une répétition de ce scénario ?
Ces soucis étaient disproportionnés. Cela ne veut pas dire que l’économie chinoise n’est plus fragile. Tout tourne autour de la crédibilité. Croyez-vous que la Chine a la réforme de son économie sous contrôle ? Nous, oui.
Et quid si le président Donald Trump prend des mesures protectionnistes ?
La crainte des investisseurs que Trump fasse dérailler les pays émergents est exagérée. Je ne le vois pas se réaliser, à moins que le dollar gagne les sommets et que le commerce s’arrête complètement. Les investisseurs doivent cependant être conscients que les marchés émergents n’existent pas. Vous devez être très sélectifs et ne pas approcher les pays émergents comme un bloc monolithique. Il y a encore toujours des pays émergents qui empirent, mais la plupart d’entre eux ont mis de l’ordre dans leurs affaires.
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