Les cinq plus grosses erreurs que peut commettre un investisseur
Richard Thaler s’est vu décerner la semaine dernière le prix Nobel d’économie pour ses travaux sur les mécanismes psychologiques affectant les sciences économiques. Il est aussi un des premiers économistes à étudier les “erreurs” des investisseurs.
Jusque dans les années 1980, l’économie était principalement étudiée d’un point de vue théorique et mathématique. L’hypothèse sous-jacente était que l’homme – et donc l’investisseur – agit toujours comme un être rationnel et avisé. On croyait à la théorie des marchés efficaces et à la prise en compte dans le cours d’une action de toutes les informations publiques disponibles sur une entreprise.
En 1985, Richard Thaler et le Belge Werner De Bondt se sont demandé si un portefeuille avec les perdants des cinq années précédentes à moyen et long terme performerait mieux ou moins bien qu’un portefeuille avec les gagnants d’un récent passé. Le portefeuille des perdants réalisait un résultat de 25 % supérieur en moyenne et ce avec des risques moindres. Richard Thaler et Werner De Bondt prouvaient ainsi que les investisseurs étaient trop attachés au passé. C’est une des nombreuses erreurs d’investisseur démontrées au cours de ces 30 dernières années.
Les gros investisseurs peuvent s’armer contre les erreurs humaines en déléguant partiellement les décisions d’investissement à un modèle informatique. Notez que la logique sur laquelle se basent les décisions doit évidemment être programmée par l’être humain. Toutes les notions de finance comportementale ne peuvent d’ailleurs pas être reprises dans le modèle informatique. Les petits investisseurs doivent être conscients du risque d’erreur et établir un plan précisant les directives d’investissement à suivre en toutes circonstances. Voici quelques-unes des erreurs les plus fréquentes.
1. Projeter le succès du passé dans le futur
” Les investisseurs ont tendance à extrapoler le succès du passé pour l’avenir. Inversement, ils considèrent que les entreprises sous-performantes dans le passé continueront à sous-performer “, explique Jan Longeval. Co-CEO gestion de patrimoine institutionnel chez Degroof Petercam, il a lancé avec Philippe Denef, en 2002, un fonds d’investissement dont la gestion quantitative se fonde quasi intégralement sur les principes de finance comportementale. Jan Longeval explique que le gestionnaire n’a pas recours à ses propres prévisions de bénéfice subjectives pour les entreprises qu’il veut reprendre en portefeuille.
” A long terme, la rentabilité des entreprises revient à un niveau normal, explique Jan Longeval. Dans le cas d’une entreprise sous-performante, un changement de direction ou une restructuration peut induire un revirement. Les entreprises performantes, quant à elles, risquent de s’endormir sur leurs lauriers et d’être rattrapées, voire dépassées par la concurrence. Nous considérons donc dans nos modèles d’évaluation que ce revirement sera automatique. L’évaluation ainsi obtenue constitue le point de départ de la sélection des actions. Nous ciblons les actions bon marché en disgrâce en Bourse depuis un moment mais qui, selon le scénario du revirement, devraient revenir à la normale et présentent les meilleures perspectives d’avenir. Nous évitons les entreprises à forte évaluation. Le timing est très important. Outre l’évaluation, l’historique du cours en Bourse et les réajustements de bénéfice sont analysés. Le retour à la normale se fait à long terme tandis que les cours boursiers et les réajustements de bénéfices ont tendance à se produire à court terme. ”
Robert Shiller, récompensé du prix Nobel d’économie en 2013, a développé une méthode d’évaluation tenant compte de ce retour à la moyenne et gommant en quelque sorte les bénéfices exceptionnels. Le rapport cours/bénéfice de Shiller permet de déterminer la relative cherté des actions cotées par rapport à leur bénéfice moyen sur les 10 années précédentes, après correction de l’inflation. Plus les actions sont chères, plus le return escompté est faible.
Chez Vector Asset Management également, l’argent investi est géré selon un modèle informatique. ” Notre modèle tient compte à 25 % de la finance comportementale, assure le fondateur et gestionnaire Werner Smets. Nous étudions, par exemple, les performances de l’an passé et celles des trois dernières années. A résultats égaux, nous donnons toujours la préférence à l’entreprise qui a moins bien performé. Ce ne sont là que deux des 40 facteurs de notre modèle. Chaque décision d’achat est contrôlée par l’homme. Il y a des régions comme la Turquie où nous préférons ne pas nous engager pour des raisons politiques. Certains facteurs ne peuvent être pris en compte dans le modèle, comme une action en justice pour un brevet, par exemple. Si nous décidons de ne pas investir dans une entreprise pour des raisons fondamentales, nous nous rabattons sur l’entreprise suivante reprise sur la liste d’achat générée par l’ordinateur. Pour ce qui est des décisions de vente, nous suivons toujours le modèle informatique. ”
Les spécialistes de Degroof Petercam font le choix d’investir dans tous les secteurs, une façon de mieux répartir les risques. ” Nous sélectionnons les entreprises les moins chères dans chaque secteur et donnons au secteur dans notre portefeuille le même poids que dans les indices “, indique Jan Longeval. L’ordinateur prend les décisions d’investir. L’histoire individuelle de l’entreprise importe peu, selon le co-CEO. ” L’approche est purement top-down, dit-il. A ne pas mélanger avec une approche bottom-up. Le gestionnaire n’intervient que dans des cas très exceptionnels. Il arrive peut-être une fois par an qu’il choisit une autre action que l’ordinateur et là encore, ce sera la deuxième action la moins chère selon le modèle informatique. ”
Degroof Petercam a aussi prévu quelques filtres supplémentaires pour éviter de reprendre en portefeuille des entreprises pour ainsi dire en faillite. ” Quand une action est bon marché, ce n’est pas forcément exagéré, le marché a peut-être raison “, ajoute encore Jan Longeval.
2. Considérer les infos relatives à une entreprise à travers des lunettes roses
” Il n’est pas rare qu’une obligation plonge après une mauvaise nouvelle, explique Michael De Man, spécialiste des obligations chez Econopolis. Les investisseurs partent du principe que le cours a pris la mauvaise nouvelle en compte. Il est pourtant sage de vendre cette obligation, même si plusieurs jours se sont déjà écoulés depuis la publication de la mauvaise nouvelle. ” Après avoir publié sa thèse sur la finance comportementale et les fonds de placement en 2005, Michael De Man s’efforce constamment d’appliquer les notions de psychologie des investisseurs dans la pratique. ” La réaction à une nouvelle est mitigée à court terme et exagérée à moyen et long termes. ”
Vendre dès l’annonce de la mauvaise nouvelle est souvent la meilleure chose à faire. ” Quand les dernières informations ne cadrent pas avec l’idée que se font les investisseurs, elles n’induisent qu’une très légère hausse ou baisse des cours, ajoute Jan Longeval. Les mauvaises nouvelles, c’est comme les cafards. Quand on voit un cafard, on peut se douter qu’il y en a encore bien d’autres. Un avertissement sur résultats est souvent suivi d’autres mauvaises nouvelles. ”
” On se fait une certaine idée d’une entreprise et on ne retient que les informations conformes à cette idée, détaille Michael De Man. On cherche à la confirmer et on n’est plus réceptif aux informations contradictoires. Prenez l’exemple de Tesla, l’entreprise d’Elon Musk qui produit des voitures électriques. Le flux d’informations a longtemps été exclusivement positif. Comme si les investisseurs niaient toute information négative. ”
Autre exemple bien de chez nous : IBA, le spécialiste de la protonthérapie pour le traitement du cancer. Les investisseurs ont longtemps cru que la forte croissance enregistrée par IBA ces dernières années se poursuivrait, mais l’entreprise a lancé plusieurs avertissements sur résultats cette année. L’investisseur qui a vendu ses actions IBA le 7 mai, à l’annonce du premier avertissement, a échappé à une perte supplémentaire de près de 30 %.
3. Vendre les gagnants et garder les perdants
Les investisseurs préfèrent vendre les actions qui enregistrent 50 % de bénéfices que les actions accusant 50 % de perte. ” Les investisseurs ont du mal à encaisser un revers, constate Michael De Man. Ils gardent parfois en portefeuille des entreprises qu’ils ne rachèteraient pas si c’était à recommencer. Autrement dit, les gagnants sont souvent vendus trop tôt et les perdants conservés trop longtemps. ”
Rares sont les investisseurs qui se souviennent du prix d’achat d’une action ou du cours le plus élevé jamais atteint. A en croire Werner Smets, les investisseurs attachent trop d’importance au prix d’achat. ” Les investisseurs ont tendance à confronter chaque position au prix d’achat, dit-il. Si la Bourse augmente de 20 % et une action de 5 %, pas de problème, même si l’action sous-performe. Pourquoi la conserver ? Il faut pouvoir admettre qu’on a tort. Inversement, les investisseurs ont tendance à revendre trop vite les actions qui ont augmenté d’autant de pour cent par rapport au prix d’achat. ”
Les gagnants sont souvent vendus trop tôt et les perdants conservés trop longtemps.” – Michael De Man (Econopolis)
Michael De Man souligne une autre erreur typique des investisseurs : ils se souviennent plus facilement de leurs succès que de leurs échecs. ” Les investisseurs ont trop confiance en eux et s’attribuent tous les mérites d’un bon placement, assure-t-il. Par contre, si leur décision s’avère malheureuse, ils en reportent la faute sur le marché ou les conseils d’autrui. ”
Les gestionnaires professionnels doivent faire face à une sorte de conflit d’intérêts qui ne relève pas de la finance comportementale, selon Jan Longeval. D’après Werner Smets, le phénomène de windowdressing en décembre est indéniable. ” En fin d’année, les gestionnaires se débarrassent volontiers des perdants, relate-t-il. Même s’ils affichent un excellent rendement annuel, si le portefeuille contient des gros perdants, il ne sera question que de cela dans la conversation avec les clients. ” A contrario, les échecs sont souvent récupérés en janvier, dixit Werner Smets. Michael De Man explique que certains gestionnaires ont peur des réactions négatives de leurs clients si les entreprises les moins performantes figurent dans le rapport. ” Ils préfèrent présenter un portefeuille irréprochable “, estime-t-il.
4. Appliquer les règles plutôt que faire son devoir
” L’appréciation d’une action est un processus complexe, avance Jan Longeval. Rares sont les investisseurs qui font l’effort d’analyser une entreprise en profondeur avant d’investir. La plupart décident sur base de règles superficielles ou d’impulsions inconscientes qui permettent de survivre mais pas de prendre les bonnes décisions. Ils privilégient les investissements qui les confortent. Il est alors difficile pour le gestionnaire d’expliquer au client qu’il reproduit dans son portefeuille les mêmes ratés que les années précédentes. ”
Quand vous avez établi un bon plan, suivez-le. ” L’investisseur doit procéder de façon systématique, poursuit le co-CEO gestion de patrimoine institutionnel chez Degroof Petercam. Développez un plan systématique, vérifiez si ce plan a donné de bons résultats dans le passé, dans différentes régions, différents secteurs. Quand vous êtes sûr de votre coup, tenez-vous-en à votre plan. ”
5. Instinct grégaire
Les investisseurs professionnels tombent dans le même piège que les investisseurs amateurs. ” Une erreur paraît plus acceptable quand tout le monde a fait la même erreur, clame Michael De Man. Il est plus difficile d’accepter une erreur quand on est le seul à penser différemment. On vous fait alors des remarques du genre : ‘Comment as-tu pu être aussi stupide ? On te l’avait pourtant bien dit, etc.’ Dans un environnement professionnel, la pression est encore plus forte. Un gestionnaire ne sera pas licencié pour une erreur que tout le monde à faite. Par contre, il risque sa place s’il est le seul à l’avoir faite. ”
Jan Longeval s’intéresse lui aussi à la neurofinance. Il veut comprendre comment fonctionne le cerveau humain pour pouvoir expliquer telle ou telle réaction. ” Le fait de suivre le troupeau et de reprendre en portefeuille des actions glamour au trackrecord attractif procure un certain bien-être à l’investisseur, explique Jan Longeval. Le cerveau produit plus de dopamine et ce neurotransmetteur procure une sensation de bien-être. Celui qui reprend en portefeuille les losers des années précédentes et va à l’encontre de l’avis général, voit son taux de sérotonine baisser dans le cerveau, d’où une sensation de mal-être. Il est donc normal de chercher à se débarrasser des perdants. On choisit des actions qui renforcent notre impression de confort. Celui qui investit contre l’avis général, devra donc subir l’effet de ces puissants neurotransmetteurs. Ceci dit, investir à contre-courant ne signifie pas nécessairement prendre aveuglément la direction opposée du troupeau car le troupeau a parfois raison et peut vous piétiner. ”
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