Le marché de l’or en plein brouillard

Alors que le cours de l’or a atteint de nouveaux sommets dans le sillage de vives tensions géopolitiques et économiques, le marché aurifère n’échappe pas aux incertitudes.
L’impact de l’administration Trump sur les marchés boursiers a été pour le moins radical, comme en témoignent les résultats de l’enquête mensuelle de Bank of America auprès des gestionnaires de fonds mondiaux. En décembre, 36% d’entre eux surpondéraient les actions américaines en net, c’est-à-dire après déduction de ceux ayant une sous-pondération. Trois mois plus tard, cette proportion a chuté de 59 points de pourcentage à une part nette de 23% sous-pondérant Wall Street. Cette évolution a profité aux actions de la zone euro, la classe d’actifs la plus plébiscitée par les gestionnaires de fonds en mars. L’or en a également profité comme en témoigne la hausse du cours de l’once à plus de 3.000 dollars.
Risque de stagflation
Un sommet historique qui reflète avant tout les vives tensions géopolitiques, dont l’or raffole en tant que valeur refuge. Sans dresser une liste exhaustive, on peut citer la guerre en Ukraine, les ambitions de Pékin sur Taïwan, la situation au Moyen-Orient ainsi qu’un président américain autoritaire envisageant de transformer la bande de Gaza en destination touristique huppée ou cherchant à s’approprier des territoires alliés, comme le canal de Panama, le Canada ou encore le Groenland.
À ces tensions géopolitiques exacerbées s’ajoutent les incertitudes économiques liées à la valse des droits de douane imposés par les États-Unis. Ces derniers inquiètent non seulement en raison de leur impact sur la croissance, mais aussi sur l’inflation, les entreprises importatrices répercutant ces taxes sur leurs prix de vente.
Ainsi, plus de sept investisseurs sur dix interrogés par Bank of America en mars redoutent une stagflation au cours des 12 prochains mois. Ce scénario redouté, qui combine une faible croissance (voire une récession) et une inflation élevée, rappelle les années 1970. À l’époque, la stagflation avait été causée par les chocs pétroliers, dont l’effet est similaire à celui des barrières tarifaires : une hausse des prix dans un contexte de demande atone.
Retour des investisseurs
Considéré comme un rempart contre l’inflation, notamment en raison de sa disponibilité limitée sur Terre, l’or s’est particulièrement illustré dans les années 1970. Après que le président Richard Nixon a mis fin à la convertibilité du dollar en or le 15 août 1971, l’once de métal jaune a littéralement flambé, passant de 40 dollars à plus de 600 dollars en 1980.
Ce précédent a visiblement inspiré les investisseurs, qui se sont rués sur les ETF adossés à l’or, ces fonds cotés en Bourse permettant d’investir facilement dans l’or physique. Chaque part d’un ETF représentant une fraction de métal précieux, les gestionnaires de ces fonds doivent en acquérir davantage lorsque la demande
s’intensifie.
Selon les données de l’agence Bloomberg au 25 mars, les ETF sur l’or ont ainsi accumulé 154 tonnes depuis le début de l’année, marquant un net redressement après quatre ans de baisse des avoirs.
Demande des banques centrales
Au total, les ETF s’étaient délestés de 550 tonnes d’or entre 2021 et 2024, selon le World Gold Council, l’association mondiale du secteur aurifère. La hausse du cours du métal jaune en 2023 et 2024 a donc été portée par d’autres facteurs.
Durant le même laps de temps, les achats mondiaux de pièces et de lingots à des fins d’investissement ont reculé de 3% en deux ans, atteignant 1.186 tonnes en 2024. La demande industrielle (nouvelles technologies, dentisterie, etc.) se maintient pour sa part légèrement au-dessus de 300 tonnes par an.
Quant à la bijouterie, premier débouché de l’or, la flambée des prix commence à peser : la demande a chuté de 2.230 tonnes en 2021 à 2.003 tonnes en 2024, son plus bas niveau depuis 2010, hors 2020.
Le principal moteur de la demande – et de la hausse des prix – semble ainsi être les banques centrales mondiales. Elles ont acquis plus de 1.000 tonnes d’or par an au cours des trois dernières années, marquant une rupture avec la période 2010-2021, où les achats annuels s’élevaient en moyenne à 473 tonnes.
Dans le détail, ce sont surtout les banques centrales asiatiques (menées par la Chine et l’Inde) et celles d’Europe de l’Est qui ont alimenté cette tendance. Ces dernières ont renforcé leurs achats depuis le début de l’invasion de l’Ukraine. La Narodowy Bank Polski, la banque centrale polonaise, a ainsi acquis 90 tonnes d’or achetées l’an dernier, dépassant toutes ses homologues.
Le mystère OTC
L’appétit des banques centrales n’a toutefois pas suffi à empêcher un léger repli des achats totaux d’or ces deux dernières années, comme l’illustre le graphique ci-contre. Parallèlement, l’offre a légèrement augmenté, atteignant près de 5.000 tonnes l’an dernier, portée par une production minière record de 3.661 tonnes.
Dans ce contexte, la hausse des cours peut sembler paradoxale, les dynamiques d’offre et de demande laissant plutôt présager une baisse des prix du métal jaune. L’explication réside dans la rubrique “OTC et autres”, que le World Gold Council utilise pour équilibrer l’offre et la demande.
Ce résidu statistique s’est envolé ces deux dernières années, passant de 53 tonnes en 2022 à 450 tonnes en 2023, puis 421 tonnes en 2024. Il englobe notamment l’intense activité sur le marché de gré à gré (over the counter ou OTC), un marché opaque prisé des investisseurs très fortunés, des fonds souverains et des hedge funds.

Guerre en Ukraine
Difficile toutefois de ne pas établir un lien entre l’essor du marché OTC et la guerre en Ukraine, les volumes ayant bondi dans le sillage des sanctions visant la Russie. Le boom du marché OTC coïncide ainsi avec une forte demande pour des solutions de stockage privées d’or, notamment à Singapour, premier centre financier d’Asie.
L’or permet ainsi à des personnes fortunées (russes ou non) de préserver une partie de leur patrimoine en dehors du système bancaire occidental et à l’abri de potentielles sanctions. Par ailleurs, la Russie, en tant que grand producteur d’or, a exploité cette ressource pour générer des revenus et se procurer des devises en période de guerre.
Marché flou
Loin des données trimestrielles limpides du World Gold Council, le marché de l’or semble au contraire plongé dans un épais brouillard, alimenté par de nombreuses incertitudes.
La guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie ont joué un rôle clé dans la demande d’or. Un éventuel accord de cessez-le-feu et un allégement des sanctions envisagé par Washington pourraient ainsi freiner la demande.
A contrario, la politique isolationniste de l’administration Trump pourrait inciter les banques nationales à diversifier leurs réserves de change, en réduisant leur exposition au dollar. L’or fait alors partie des alternatives.
Ventes des banques centrales
Sur le Vieux Continent, cette politique américaine a incité l’Union européenne à réinvestir massivement dans la défense, avec un plan de 800 milliards d’euros. Parmi les options envisagées pour financer cet effort, la Belgique envisage notamment de vendre une partie de ses réserves d’or. Ce ne serait pas une première, les banques centrales ayant été des vendeurs nets jusqu’en 2009.
En 1999, la Banque nationale suisse et la Banque d’Angleterre avaient annoncé quasi simultanément leur intention de céder plus de la moitié de leurs réserves d’or, soit un total de 1.700 tonnes. Pour éviter un effondrement du marché aurifère, les grandes banques centrales occidentales s’étaient coordonnées afin de limiter leurs ventes annuelles à 400 tonnes. Ce seuil avait ensuite été relevé à 500 tonnes, soit l’équivalent de 45 milliards d’euros au cours actuel.

Comment investir ?
Dans cet environnement indécis, la plupart des stratégistes spécialisés, notamment de Citigroup, UBS ou Goldman Sachs, se montrent prudemment optimistes avec des objectifs de 3.100 à 3.300 dollars l’once d’ici la fin de l’année. Ce qui témoigne d’un potentiel limité aux niveaux actuels et du risque de courir après des prix déjà bien gonflés.
Conserver une position de diversification demeure toutefois justifié dans le contexte actuel. Selon une étude du World Gold Council, l’allocation idéale en or pour un portefeuille largement diversifié est de 4%, permettant de maximiser le rendement par rapport au risque (volatilité).
Pour y investir, les ETF et trackers physiques sont l’option la moins coûteuse tout en offrant une exposition directe. Chaque part d’ETF est couverte par de l’or physique. L’un des plus populaires auprès des investisseurs européens est le Gold Bullion Securities du spécialiste des trackers WisdomTree. Il est coté sur Euronext Paris sous le code ISIN GB00B00FHZ82. Les frais sont de 0,4% par an.
Les puristes privilégient toutefois une autre option : l’achat de lingots et de pièces d’or (Krugerrand, Eagle américain, Napoléon, etc.). Vous ne dépendez alors d’aucune contrepartie. Vous devez uniquement vous assurer de vous adresser à un intermédiaire de confiance pour l’achat comme Gold & Forex International. Vous devrez toutefois compter des frais et une prime (de plusieurs pour cent) sur le cours officiel à l’achat comme à la revente. L’achat d’or physique est donc destiné à un investissement à très long terme et comme protection extrême.
Les banques centrales ont acquis plus de 1.000 tonnes d’or par an au cours des trois dernières années, pour une moyenne de 473 tonnes durant la période 2010-2021.
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