Le Covid a relégué le cash pour laisser place au digital
En 2020 et 2021, les quantités de liquidités prélevées aux automates ont reculé de 30 à 40%. Une étude récente confirme cette baisse de popularité de l’argent liquide au profit des transactions numériques. Les banques belges ont retiré, ces deux dernières années, 20% de billets en moins auprès de la Banque nationale.
Si l’engouement pour les paiements électroniques n’a rien de nouveau, les impératifs d’hygiène ont fait s’envoler les transactions sans contact. En décembre 2021, près de 58% des paiements effectués dans les magasins au moyen d’une carte de débit étaient sans contact, contre 16% seulement en février 2020, a récemment révélé Febelfin, la fédération belge du secteur financier.
“Nous avons recensé en 2021 pas moins de 137 millions de paiements sans contact par Bancontact. Soit un bond de près de 70% par rapport à 2020. Les montants sont de surcroît de plus en plus élevés: 18,93 euros en moyenne en 2021, contre 17,25 euros en 2020″, constate Amaury Vanthournout, responsable Paiements chez ING Belgique.
La crise sanitaire a également donné des ailes au paiement par smartphone. “Plus de 29 millions de paiements ont été effectués au moyen d’un code QR ces six derniers mois. La hausse, par rapport à la même période un an plus tôt, frôle les 40%. Les règlements par Payconiq se sont envolés de 50% entre décembre 2020 et décembre 2021”, ajoute Ulrike Pommée, directrice de la communication chez Belfius.
Les applications de paiement d’Apple, de Google et des autres grands acteurs de la technologie sont très sollicitées également. BNP Paribas Fortis, la première banque à avoir proposé Apple Pay et Google Pay en Belgique, constate que ces outils ont fait un bond de 70% entre 2020 et 2021 (paiements par Garmin Pay et Fitbit Pay inclus). Quatre cent mille clients de la banque ont utilisé ces applications l’an passé: c’est 20% de plus qu’en 2020.
ING Belgique propose Apple Pay depuis le début août dernier. “Nous ne pouvons pas préciser le nombre de clients qui y ont recours. Mais la démarche est une réussite et les utilisateurs sont de plus en plus nombreux. Aussi étonnant que cela puisse paraître, la majorité des utilisateurs d’Apple Pay n’est pas spécialement jeune”, indique l’institution.
Mouvement européen
Il ne faut toutefois pas conclure de ce qui précède que l’utilisation des billets et des pièces aurait reculé d’autant, car le nombre total de transactions a lui aussi considérablement augmenté. La période de confinement strict a été suivie d’un vigoureux redressement économique ; les ménages ont généreusement dépensé l’épargne forcée (les budgets voyages demeurés intacts, entre autres) constituée pendant ces mois de mise sous cloche.
Reste que la chute vertigineuse des retraits aux automates et aux guichets des banques démontre à quel point cette augmentation des dépenses s’est accompagnée d’une moindre utilisation du cash. Fin 2021, Belfius a enregistré 33% de retraits et 23% de dépôts de billets en moins qu’à la fin de 2019. BNP Paribas Fortis, ING Belgique et KBC, les trois autres grandes banques, constatent un déclin similaire. Chez Crelan et Argenta, organismes de taille moyenne, le cash souffre d’un certain désamour également, mais pas dans les mêmes proportions. Crelan a noté en 2021 un recul de 17% par rapport à 2019 du nombre de retraits. Argenta évoque une tendance similaire, sans toutefois la chiffrer.
La moindre utilisation des liquidités par rapport à l’ère antérieure à la pandémie est confirmée par une étude de la Banque centrale européenne, intitulée Evolution of euro banknotes and coins in circulation. En 2020 et en 2021, les banques de la zone euro ont retiré 22% et déposé 25% de billets en moins auprès des banques centrales. La demande de pièces en euro a chuté de 27%, ajoute l’étude. D’après les experts de la Banque nationale (BNB), l’évolution, à l’échelon européen, est similaire à celle de notre pays.
L’or et les voitures d’occasion, des secteurs qui posent problème
Les paiements en liquide sont limités à 3.000 euros depuis 1997. Mais dans les secteurs de l’or et des véhicules de seconde main (surtout), ce plafond n’est pas toujours respecté. “En 2020, nos inspecteurs ont contrôlé 92 dossiers suspects, relate Etienne Mignolet, porte-parole du SPF Economie. Ces initiatives ont débouché sur cinq avertissements et 31 procès-verbaux. Les secteurs les plus contrôlés ont été ceux du diamant, du recyclage des métaux ferreux, des services sportifs et récréatifs, de la construction et de l’or. C’est dans ceux de l’or, des véhicules d’occasion et du recyclage de la ferraille que les procès-verbaux ont été dressés. Nous n’en avons pas les montants.”
Les entreprises et les consommateurs qui ne respectent pas la limite de 3.000 euros risquent une amende qui peut aller jusqu’à 10% du montant illégalement acquitté en liquide. L’amende la plus haute atteint 1,8 million d’euros.
Effet Batopin?
“La tendance au paiement numérique, au détriment du cash, va se poursuivre, estiment les banques. Enormément de gens ont découvert le côté pratique de ces outils, dont ils ne veulent plus se passer. L’essor du commerce virtuel est un autre frein à l’utilisation des liquidités.”
L’intention exprimée par les grandes banques de réduire considérablement le nombre de distributeurs ces prochaines années n’est pas non plus de nature à réconcilier la population avec le cash. BNP Paribas Fortis, KBC, Belfius et ING ont chargé la joint-venture Batopin (Belgian ATM Optimisation Initiative) d’installer, d’ici à la fin de 2024, un réseau neutre de 2.240 automates, dans 750 endroits du pays. Appelés points CASH, ces distributeurs remplaceront ceux des grandes banques.
“Nous voulons, par ce biais, garantir l’accès à l’argent liquide en fonction des besoins réels, annonce Vincent Bayer, chief communication officer chez Batopin. L’identification des sites où seront installés les points CASH tient compte de facteurs fondamentaux comme la démographie, la nature résidentielle ou professionnelle des quartiers et les habitudes de déplacement, qui tous diffèrent considérablement selon que l’on est en ville ou à la campagne. Nous cherchons également à être proches des endroits où les gens paient en liquide (horeca, shopping, tourisme, etc.).”
D’après Febelfin, 6.411 distributeurs étaient disponibles en 2020 dont, estime-t-elle, 75% (4.800 environ) appartenaient aux grandes banques. Un parc qui sera donc, avec le passage au réseau neutre, divisé par deux dans peu de temps.
Crelan, Axa Bank Belgium, Argenta, VDK et bpost ont elles aussi créé une joint-venture, baptisée Jofico. “Son objectif n’est toutefois pas de fermer des distributeurs, mais de les gérer d’une manière plus rentable”, soulignent Argenta et Crelan.
“Les paiements électroniques restent chers”
Forte de 80.000 membres, l’Unizo, la fédération flamande, de défense des PME et des professions libérales, applaudit à la nouvelle loi, qui obligera les commerçants à accepter, à partir du 1er juillet, une forme au moins de paiement numérique. “C’est plus sûr, moins cher et plus efficace que le cash, se réjouit Lieven Cloots, juriste au sein du service d’études d’Unizo. Il faut toutefois savoir qu’aussi pratiques que sont les paiements électroniques, ils ne sont pas efficacement organisés en Belgique: chaque transaction coûte environ 0,12 euro au commerçant, contre la moitié en Scandinavie et aux Pays-Bas. Cela explique que le nombre d’opérations électroniques y est beaucoup plus élevé que chez nous.”
L’Unizo rappelle toutefois que les paiements par Payconiq sont beaucoup moins chers pour les commerçants que ceux par carte. “L’unique inconvénient est que le client doit encoder lui-même le montant. Cela prend un peu de temps… Espérons qu’à l’avenir, Payconiq devienne plus facile à utiliser ; peut-être l’émergence de concurrents va-t-elle provoquer un déclic”, raisonne Lieven Cloots. L’expert estime à 7% le nombre de commerçants membres d’Unizo chez qui les paiements virtuels ne sont pas encore possibles. Il constate à l’inverse que 8 à 9% des membres n’autorisent plus les paiements en liquide.
“Nous n’avons pas de chiffres récents au sujet du nombre de commerçants qui n’autorisent pas encore les paiements numériques”, annonce Ann Van Doren, porte-parole du Syndicat neutre pour indépendants (SNI), qui revendique 40.000 membres. Le SNI plaide en faveur d’une plus grande transparence du coût des transactions électroniques. “Nous souhaitons que soit mise en place une plate-forme comparative, comme il en existe pour les prix de l’énergie, qui permettrait d’identifier, en fonction du nombre de transactions effectuées et de la valeur du panier, le fournisseur le moins cher.”
“Il n’est par ailleurs pas admissible que les indépendants soient les seuls à supporter les frais de transaction, s’insurge Ann Van Doren. Les paiements électroniques permettent aux banques d’économiser énormément. Nous sommes heureux que le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V) assortisse l’introduction de la nouvelle loi d’une déduction majorée pour l’achat ou la location de terminaux, de même que pour les frais d’abonnement et de transaction. Mais tout n’est pas encore fait, et la mesure pourrait n’être que provisoire.”
Moins drastique qu’en Scandinavie
D’une manière ou d’une autre, les paiements numériques vont donc continuer à prendre le pas sur les règlements en liquide. “Nous allons vers une société dans laquelle le cash sera de moins en moins utilisé, confirme Ulrike Pommée. Ceci étant, une société totalement sans liquide, comme c’est le cas dans plusieurs pays scandinaves, n’est pas pour demain.” “Les initiatives arrêtées en Belgique ne sont pas aussi drastiques que là-bas, confirme Argenta. Dans ces pays, par exemple, les commerçants qui optent pour les paiements électroniques – entièrement traçables, donc – bénéficient d’une réduction d’impôt. Cette décision a provoqué un raz-de-marée.” “Nous ne pensons pas que le cash soit appelé à disparaître dans les années qui viennent, confirme Hilde Junius, porte-parole de BNP Paribas Fortis. Il sera moins utilisé, mais pas abandonné.”
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