La planification successorale au pilori

Une récente circulaire du fisc dresse la liste (attendue) des montages qualifiables ou non d’abus fiscaux. Bien qu’à la surprise générale, l’achat scindé précédé d’une donation relève désormais de la fraude fiscale, il demeure encore possible de transmettre son patrimoine de manière fiscalement avantageuse.

Parmi les techniques de planification successorale, il en est une que l’on ne présente plus : le don manuel ou bancaire d’argent ou d’un portefeuille d’investissement par les parents à leurs enfants. Ce type de donation, largement répandu, peut être réalisé sans paiement de droits de donation. Cela dit, il existe de nombreuses autres techniques permettant de planifier sa succession, toutes plus complexes les unes que les autres.

Extension de la disposition anti-abus

Tout contribuable a le droit de choisir la voie la moins imposable. A cette fin, il utilise dans la pratique une série de montages fiscaux échafaudés par des fiscalistes rivalisant de créativité. Pour lutter contre ces montages et enrayer la fraude fiscale, l’administration fiscale peut invoquer la disposition anti-abus, comme déterminé dans l'(ancien) article 344, § 1 du Code de l’impôt sur les revenus. Plus simplement dit, cela signifie qu’un montage mis sur pied par un contribuable ne peut avoir pour seul objectif d’éluder l’impôt, mais doit également être inspiré par un besoin légitime financier ou économique. Il revient alors à l’Administration de prouver le contraire. Une lourde charge de preuve par laquelle elle est souvent battue en brèche dès lors que la contestation est portée devant le tribunal. L’ancienne disposition anti-abus, qui figure pourtant depuis 1993 dans notre code fiscal, ne s’est pas avérée capable de tracer une ligne de démarcation claire entre évasion fiscale licite et illicite.

Dans sa croisade contre la fraude fiscale, le gouvernement Di Rupo I a réécrit la disposition anti-abus, tant pour l’impôt sur les revenus que pour les droits d’enregistrement et de succession. Et ce, au travers de la Loi programme du 29 mars 2012. Pour chaque montage fiscal, il vous faudra désormais être en mesure d’invoquer un motif non fiscal. Ceci n’est pas seulement vrai en matière d’impôt sur le revenu, mais aussi de droits d’enregistrement et de succession. Si vous réalisez par exemple une donation devant un notaire néerlandais, vous devrez expliquer à l’administration fiscale que cette démarche n’a pas pour seul but d’éluder les droits de donation. L’autre raison invoquée peut résider dans les honoraires du notaire néerlandais, inférieurs à ceux pratiqués par ses confrères belges. Dès lors que le motif est purement fiscal, l’Administration peut sanctionner ce qu’elle considérera comme une fraude.

Charge de la preuve au fisc

C’est au fisc qu’il revient de démontrer la fraude fiscale. S’il y parvient, le contribuable devra prouver que son choix était motivé par d’autres raisons que l’évasion fiscale. Dans le cas contraire, un impôt sera appliqué. Dès lors que le contribuable prouve l’existence de ces motifs autres que fiscaux, la disposition anti-abus ne peut plus trouver application. Dans la pratique, il n’est cependant pas facile d’échapper à cette disposition car la loi est plus stricte qu’à première vue.

L’administration clarifie

Jusqu’à récemment, nul ne savait avec précision quelles techniques de planification successorale seraient réellement visées par l’administration fiscale à partir du 1er juin 2012. Dans sa circulaire du 19 juillet 2012, le fisc fournit une liste de montages pouvant être qualifiés de fraudes. L’Administration précise toutefois qu’il ne s’agit pas d’une liste exhaustive. Chaque montage devra être examiné au cas par cas, selon le contexte et les modalités.

Werner Niemegeers et Johan Steenackers

La liste

Ne sont pas considérées comme fraudes fiscales…

… pour autant que ces opérations ne s’inscrivent pas dans un montage combiné :

– la donation manuelle ou bancaire

Il demeure possible de transmettre votre patrimoine mobilier à la génération suivante sans devoir payer de droits de donation ni éventuellement de droits de succession. Assurez-vous cependant de conserver les documents de preuve nécessaires (courriers recommandés, lettre de remerciement, extraits de compte).

– la donation devant notaire étranger

L’avantage du notaire étranger (et plus particulièrement néerlandais) réside dans l’absence de droits de donation applicables en Belgique. Le contribuable s’acquittera uniquement des honoraires, qui s’élèvent à près de 1500 euros. Si le donateur ne décède pas dans un délai de trois ans, les héritiers ne devront pas payer de droits de succession sur les biens donnés.

– la donation échelonnée de biens immobiliers avec période intermédiaire de trois ans

Il est possible de transmettre un bien immobilier de manière fiscalement avantageuse en cassant le principe de la progressivité des droits de donation, par exemple en léguant le bien en plusieurs tranches de manière à bénéficier du taux le plus bas de 3 %. Pour cela, il conviendra toutefois de respecter un intervalle de trois ans entre chaque donation.

– la donation avec charge (d’intérêts)

Une donation peut toujours être associée à une obligation ou une charge. Souvent, il s’agit d’une charge d’intérêts, à savoir l’obligation, pour le bénéficiaire, de verser périodiquement une somme déterminée au donateur.

– la donation sous condition résolutoire

Les donateurs peuvent ajouter une condition résolutoire à leur donation, par exemple le prédécès du bénéficiaire : si cette condition s’avère, la donation sera considérée comme n’ayant jamais eu lieu.

– la donation sous réserve d’usufruit ou autre droit perpétuel

Grand classique de la planification successorale, cette technique prévoit que les parents donnent la nue-propriété -par exemple celle d’un appartement ou d’un portefeuille d’investissement- et conservent l’usufruit de la donation (revenus locatifs, dividendes ou intérêts). Si les parents décèdent, l’usufruit s’éteint et les enfants ne doivent en principe pas s’acquitter de droits de succession. Les donateurs peuvent également se réserver un autre droit perpétuel, notamment le droit d’occupation.

– la donation soumise à un droit d’enregistrement réduit

Les biens mobiliers, les sociétés familiales et les terrains à bâtir peuvent, du moins en Région flamande, être légués moyennant taux réduit devant notaire belge. Pour les biens mobiliers, le taux applicable s’élève à 3 % (pour les donations en ligne directe, entre époux et cohabitants légaux) ou 7 % (pour les donations aux autres personnes) en Région flamande, 3,3 % (pour les donations en ligne directe, entre époux et cohabitants légaux), 5,5 % (pour les donations entre frères et soeurs, nièces et neveux, oncles et tantes) et 7,7 % (pour les donations aux autres personnes). Il est logique que ce type de donation ne constitue pas une fraude fiscale.

– les clauses de tontine et d’accroissement

Les cohabitants ont souvent recours à la tontine ou à la clause d’accroissement de propriété lorsqu’ils achètent la maison familiale. Au décès du premier, l’immeuble ne tombe pas dans la succession : le survivant devient seul propriétaire de l’ensemble de l’immeuble. Il doit cependant s’acquitter de 12,5 % de droits d’enregistrement à Bruxelles et en Wallonie (et de 10 % en Flandre) sur la valeur de sa part au moment du décès.

– le testament “generation skipping”

Grâce à cette technique, les grands-parents peuvent, par testament, léguer directement (une partie de) leur patrimoine à leurs petits-enfants. Ils sautent donc une génération. Grâce à cet artifice, le défunt peut éviter que des droits de succession soient payés deux fois sur le même patrimoine : une première fois lorsque celui-ci est légué aux enfants, une seconde fois lorsqu’il revient aux petits-enfants par l’intermédiaire de leurs parents. Par ailleurs, si les petits-enfants sont plus nombreux que les enfants, la succession sera répartie en un plus grand nombre de personnes, ce qui constitue un second avantage car les droits sont alors réduits.

– le testament “célibataire sans enfants”

L’objectif de ce testament est de payer moins de droits de succession dans l’hypothèse où une personne n’est pas mariée et n’a pas d’enfants mais compte uniquement des parents et des frères ou soeurs parmi ses héritiers légaux. Lors de son décès, son héritage est dévolu à 25 % à chaque parent encore en vie et à 50 % aux frères ou soeurs si aucun testament n’a été rédigé. Le défunt peut cependant établir un testament prévoyant que l’intégralité de son patrimoine revienne à ses parents. Les droits de succession seront moindres, le cas échéant, dans la mesure où les tarifs appliqués aux parents sont inférieurs à ceux des frères et soeurs.

– le legs en duo

Quiconque souhaite léguer son patrimoine à une personne éloignée (neveu ou nièce, tierce personne) qui devra dès lors s’acquitter de droits de succession élevés, peut alléger sa facture en léguant une partie de ses biens à une ASBL. Dans son testament, il mentionnera deux légataires. Alors que normalement, chacun paie des droits de succession sur la part qu’il reçoit, avec le legs en duo, c’est le légataire universel (par exemple Médecins sans frontières) qui paiera les droits de succession sur le legs particulier à une nièce, par exemple.

Le legs en duo est souvent utilisé pour une donation à une association caritative. Les droits de succession s’élèvent alors à 8,8 % en Flandre et à 7 % en Wallonie. A Bruxelles, il faut compter 12,5 %, à la condition que l’ASBL puisse percevoir des donations fiscalement déductibles. Dans le cas contraire, le taux s’élève à 25 %.

Sont considérés comme fraudes fiscales

… à moins que le contribuable ne démontre que le choix posé a été dicté par un motif autre que fiscal :

– l’acquisition scindée précédée d’une donation

Dans la pratique, cette technique est souvent utilisée par des parents et leurs enfants : les parents acquièrent l’usufruit, les enfants la nue-propriété. Les parents peuvent occuper et louer le bien tout au long de leur vie. Lorsqu’ils décèdent, l’usufruit s’éteint et le bien revient aux enfants sans être grevé de droits de succession. Les parents comme les enfants doivent prouver qu’ils ont payé respectivement l’usufruit et la nue-propriété à partir de leurs fonds propres. Dans la mesure où les enfants ne disposent généralement pas des fonds suffisants au moment de l’achat, les parents procèdent à une donation avant le passage de l’acte notarié.

Cette technique figure désormais sur la liste noire de l’administration fiscale : l’achat scindé d’un bien intervenu après le 1er juin 2012 sera imposé comme si ce bien avait toujours figuré en pleine propriété dans le patrimoine des parents. Vous ne pourrez y échapper qu’à la condition de démontrer que l’achat n’est pas inspiré par des considérations fiscales, ce qui est presque impossible.

Notez que l’achat scindé d’un immeuble par une société (usufruit) et le gérant de l’entreprise (nue-propriété) n’est pas visé.

– la construction de la maison mortuaire

Cette technique est une variante de la clause “au survivant tous les biens”. Imaginons que vous soyez marié sous le régime de la communauté des biens (par exemple le régime légal sans contrat de mariage) et que vous décédiez avant votre épouse. Celle-ci hérite alors de la moitié du patrimoine commun en pleine propriété et de l’autre moitié (la vôtre) en usufruit. Vos enfants héritent quant à eux de la nue-propriété de votre moitié. Cela dit, si vous souhaitez que le survivant ne manque de rien après votre décès, il est préférable de lui léguer la pleine propriété de la communauté. Avec la construction de la maison mortuaire, ce souhait est rendu possible. Il doit donc y avoir un patrimoine commun.

Mais ce montage court-circuite l’article 5 du Code des droits de succession : l’attribution de la communauté a lieu sans droits de succession. Depuis le 1er juin 2012, cela n’est plus possible.

– le testament de grand-père

Cette technique vise à répartir la succession entre les enfants et les petits-enfants : un grand-parent désigne dans son testament ses enfants comme légataires universels, en y associant la charge de verser un montant déterminé à leurs propres enfants. Les petits-enfants héritent dès lors d’une créance de leur grand-parent, qu’ils peuvent répercuter sur leurs parents. Cette obligation (charge) peut être déduite de l’héritage au titre de passif et donc réduire les droits de succession dus par les parents.

– la construction emphytéotique

La société A établit un bail emphytéotique sur un bien immeuble et paie des droits d’enregistrement de seulement 0,2%. Ce bien est ensuite vendu à une société B associée et des droits d’enregistrement de 12,5 % (Bruxelles et Wallonie) ou 10 % (Flandre) sont acquittés. Dans la mesure où l’emphytéose a une valeur nettement inférieure, moins de droits d’enregistrement doivent être payés en l’occurrence par rapport à ce qui prévaudrait sur une vente directe de A à B.

– l’apport dans la communauté matrimoniale

Un époux apporte un bien à la communauté matrimoniale en échange du paiement d’un droit d’enregistrement fixe inférieur. Ensuite; ce bien (généralement immeuble) est donné par les deux parents aux enfants. Il s’agit de deux donations : les droits de donation (progressifs) sont réduits.

– la sortie de la communauté matrimoniale

Un époux sort un bien mobilier de la communauté matrimoniale. S’ensuit une donation réciproque entre les époux. Par ce truchement, les droits de succession entre époux sont réduits.

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