La BCE a amorcé un tournant: qu’est-ce que cela signifie pour les épargnants et les investisseurs?
L’adage selon lequel l’inflation est temporaire semble banal. Les gardiens du système monétaire de la zone euro adoptent une approche différente. La fin d’une ère de crédit ultra-économique est en vue, la Banque centrale européenne ayant annoncé le premier retrait progressif des mesures de relance.
L’actualité du jour. La Banque centrale européenne (BCE) fait les premiers pas prudents vers un resserrement monétaire, la voie empruntée par les banques centrales américaine et britannique, entre autres, en début de semaine. Cependant, les banquiers centraux européens sont loin d’aller aussi loin que leurs collègues américains et britanniques.
La présidente de la BCE, Christine Lagarde, a déclaré lors de la conférence de presse que l’inflation, stimulée par les prix élevés du gaz, restera au-dessus de l’objectif de la BCE pendant “la majeure partie de l’année 2022”, mais elle s’attend à une modération de l’inflation en 2022. À long terme, la BCE vise une croissance moyenne des prix d’environ 2 % par an.
Quant à l’économie, avec la quatrième vague de la pandémie et la domination de la variante Omicron qui se profile à l’horizon, il y a des nuages noirs dans le ciel. La BCE prévoit une croissance économique pour la zone euro de 5,4 % en 2021, de 4,2 % en 2022, de 2,9 % en 2023 et de 1,6 % en 2024. Il n’y a donc pas de surchauffe immédiate et la BCE n’a donc pas besoin d’éteindre un incendie.
Suppression progressive de l’aide en cas de pandémie
La BCE va réduire ses achats d’obligations dans le cadre du programme d’achat d’urgence en cas de pandémie (PEPP pour les intimes). Au premier trimestre de 2022, les responsables de la BCE prévoient moins d’achats qu’au quatrième trimestre de 2021. Aucune obligation supplémentaire ne sera ajoutée aux bilans des banques centrales de la zone euro à partir de mars. Les obligations arrivant à échéance continueront toutefois à être remplacées au moins jusqu’à la fin de 2024. La BCE fera preuve de souplesse en réinvestissant l’argent des obligations arrivées à échéance, afin de surmonter les éventuels problèmes futurs liés à la pandémie. Les gouverneurs gardent également l’esprit ouvert, affirmant qu’ils peuvent toujours acheter des obligations supplémentaires si la pandémie frappe à nouveau durement l’économie.
Constitution temporaire d’un autre soutien
Les achats mensuels d’obligations dans le cadre du programme régulier d’achat d’actifs (APP) seront portés à 40 milliards d’euros par mois au deuxième trimestre de 2022 et à 30 milliards d’euros par mois au troisième trimestre. À partir d’octobre 2022, les achats d’obligations reviendront à un rythme mensuel de 20 milliards d’euros par mois, aussi longtemps que nécessaire. Ces achats finiront par cesser complètement, peu avant que la BCE ne recommence à relever son taux directeur. Ce taux d’intérêt est maintenant de 0 %. La BCE prévoit en effet de remplacer les obligations dans son bilan pendant une très longue période, bien après la première hausse des taux, afin de garantir la liquidité des marchés.
Statu quo pour tous les taux d’intérêt
Le taux de dépôt – parfois appelé taux de pénalité des banques – restera à moins 0,5 %. Il s’agit du taux que les banques paient lorsqu’elles déposent leurs liquidités excédentaires auprès de la Banque centrale européenne en fin de journée. Les banques qui ont besoin d’un prêt d’urgence en fin de journée paieront toujours 0,25 %, soit moins que lorsqu’elles disposent de liquidités excédentaires. Le taux d’intérêt pour le financement de base, sur lequel les banques fondent très vaguement leurs taux sur les produits d’épargne, reste à 0 %.
La Banque d’Angleterre a surpris amis et ennemis avec sa première hausse de taux. La banque centrale norvégienne a relevé ses taux d’intérêt pour la deuxième fois, à 0,5 %. La Réserve fédérale américaine a annoncé trois hausses de taux en 2022 et l’arrêt des achats d’obligations à partir de mars.
Pas trop brusque pour les investisseurs
Les marchés financiers s’attendaient plus ou moins au virage de la Banque centrale européenne. Il n’y a eu pratiquement aucun impact sur les marchés boursiers européens. Le baromètre Bel-20 de la bourse belge et l’indice européen Stoxx600, plus large, ont clôturé avec des gains de plus de 1 % au compteur. La BCE a clairement indiqué qu’elle ne souhaitait pas rendre la transition trop brutale en compensant la suppression progressive du programme d’urgence par le programme d’achat APP de longue durée. La BCE a commencé à acheter des obligations dans le passé parce que les taux d’intérêt étaient déjà à zéro et qu’elle voulait donner un coup de pouce à l’économie et aux entreprises en proposant des crédits encore moins chers. Mme Lagarde a également précisé que les banques centrales peuvent encore augmenter leurs achats dans le cadre du programme PEPP de manière très ciblée, par exemple pour soutenir l’économie grecque. De cette manière, la BCE a encore les mains quelque peu libres.
Dans tous les cas, c’est principalement la banque centrale américaine qui dicte le sens de la marche sur les marchés boursiers mondiaux. La hausse des taux d’intérêt est parfois considérée comme une menace pour le boom des actions. Un crédit plus cher peut rendre la vie difficile aux entreprises très endettées. La hausse des taux d’intérêt peut également mettre des bâtons dans les roues des entreprises en croissance, généralement des entreprises technologiques, pour lesquelles les investisseurs comptent sur des bénéfices futurs élevés. Si les taux d’intérêt augmentent, la valeur actuelle de ces bénéfices futurs diminue.
Mercredi, Wall Street a encore réagi positivement aux messages de la Fed. Jeudi, la bourse des technologies Nasdaq a perdu 2,5 % en fin de séance. Des poids lourds comme Apple, Microsoft et Amazon ont perdu respectivement 3,9, 2,9 et 2,75 %. Le fournisseur de jeux et de mines de bitcoins Nvidia a même baissé de plus de 7 %. Le Russell 2000, qui prend le pouls des petites entreprises américaines, a également chuté de près de 2 %.
Les épargnants doivent être encore plus patients
Mme Lagarde a rapidement souligné qu’une hausse des taux en 2022 était peu probable. Les banques commerciales de la zone euro basent leurs taux d’intérêt – de manière assez large – sur le taux directeur de la BCE. Les banques telles qu’ING Belgique, qui répercutent le taux punitif de la BCE de moins 0,5 % sur leurs clients s’ils laissent plus de 250 000 euros sur un compte d’épargne, n’auront guère de raison de changer d’orientation après cette réunion de la BCE. Il n’y a guère d’amélioration sur le front des taux d’intérêt, mais sur le front de l’inflation aussi, il reste à voir comment les prix vont évoluer dans les mois à venir.
En novembre, l’inflation belge était de 5,64 %, soit 6 % arrondis. Si les prix continuent d’augmenter à ce rythme, et avec un taux d’épargne actuel historiquement bas de 0,11 %, les épargnants verront leur pouvoir d’achat divisé par deux dans environ 12 ans. Dans l’état actuel des choses, il semble qu’il faudra des années avant que le taux d’intérêt sur un compte d’épargne puisse remonter. La Banque centrale européenne est encore loin de relever les taux d’intérêt, il est donc très peu probable que les taux d’intérêt des produits d’épargne augmentent également.
Carsten Brzeski, économiste en chef d’ING, estime que la BCE ne peut pas faire grand-chose contre cette inflation. “Tant que l’inflation est alimentée par des facteurs ponctuels, souvent liés à la pandémie, et tant que la BCE estime qu’il s’agit de facteurs ponctuels, la banque centrale ne peut pas faire grand-chose. Aucune action de la BCE ne peut garantir que les conteneurs voyagent plus rapidement de la Chine vers l’Europe, que la production de puces électroniques double soudainement ou que les prix de l’énergie restent sous contrôle. Dans le même temps, la BCE a peu d’arguments en faveur de mesures d’urgence et d’une politique monétaire ultra-douce. Il est donc logique que la BCE procède à une réduction prudente de ses dépenses.”
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