Investir dans la technologie: “La percée de l’intelligence artificielle sera plus marquée que celle de l’internet”
Forts d’une longue expérience dans le secteur, Marc Langeveld et Siddy Jobe sont à l’origine d’un fonds technologique auprès de la société de gestion d’actifs Econopolis. “Les investisseurs n’ont pas besoin de nous pour trouver un Amazon ou un Google. Mais ils ne connaissent généralement pas encore les sociétés prometteuses du subtop.”
Ces dernières années, les entreprises technologiques ont tellement brillé en Bourse que les actions stars Facebook, Apple, Amazon, Netflix et Google (officiellement Alphabet) ont été réunies sous l’abréviation FAANG. Or, elles ont aussi provoqué de vives controverses. Pensez au débat sur la vie privée et à la critique sur la position dominante d’Amazon, d’Apple et de Google. Par ailleurs, le battage médiatique concernant l’entrée en Bourse des applis très déficitaires Uber et Lyft rappelle la bulle Internet des années 2000.
Il n’y a néanmoins pas lieu d’être pessimiste selon Marc Langeveld et Siddy Jobe. Le duo s’appuie sur une longue expérience dans le secteur. Marc Langeveld a géré son propre fonds technologique – Antaurus Europe – de 2006 à 2016. Les deux gestionnaires de fonds indiquent qu’il faut regarder au-delà de ces entreprises dominantes. Ils pensent à des acteurs beaucoup plus intéressants, actifs dans les niches les plus diverses et souvent basés sur un business model bien plus durable.
“Les FAANG exercent un certain pouvoir sur la Bourse en raison de leur capitalisation boursière importante”, affirme Marc Langeveld. “Nos portefeuilles ne s’inspirent pas de ce ratio. Les investisseurs n’ont pas besoin de nous pour trouver un Amazon ou un Google. Mais ils ne connaissent généralement pas encore les sociétés prometteuses du subtop, comme les spécialistes du cloud New Relic et Elastic. Il est pertinent de sélectionner des entreprises dans cette catégorie moins connue et de constituer de cette manière un portefeuille diversifié. Leur chiffre d’affaires, leur marge bénéficiaire et leur flux de trésorerie augmentent beaucoup plus vite. Ce sont les éléments auxquels nous prêtons attention. La valorisation de ces entreprises présente souvent davantage d’intérêt que celle des noms connus.”
La percée de l’intelligence artificielle sera plus marquée que celle de l’internet, des réseaux sociaux et des smartphones – Siddy Jobe
Existe-t-il un risque de bulle technologique ?
SIDDY JOBE. “À la suite de l’introduction en Bourse d’Uber et de Lyft, il semble que tout le secteur technologique se retrouve de nouveau dans une bulle boursière. Je considère les entrées en Bourse de ce genre comme un cadeau du ciel pour expliquer à nos clients qu’ils ne doivent pas investir dans ces actions pour le moment. Uber et Lyft n’ont aucune perspective de profit durable dans les prochaines années. Pire encore : ils ne savent toujours pas comment ils vont rentrer dans leurs frais. À l’inverse, prenez une société comme Paypal qui est rentable, enregistre une croissance de 20%, n’a pas de dettes, génère un flux de trésorerie et en remet une partie aux actionnaires, et vous comprenez tout de suite la différence.”
MARC LANGEVELD. “À l’époque du boom d’Internet en 2000, trois entreprises sur quatre cotées au Nasdaq étaient déficitaires. Leur bilan était faible, leur trésorerie négative et elles ne versaient aucun dividende. Les entreprises ont été vendues sur la base d’une promesse qui n’était ni concrète ni fondée sur leurs performances. Aujourd’hui, la branche technologique est nettement plus solide. Le secteur génère beaucoup de cash, opère sur la base d’un bilan solide, verse des dividendes ou rachète ses propres actions. Des histoires telles que celles d’Uber et de Lyft suscitent beaucoup d’intérêt, mais le secteur est bien plus large. Le cas Tesla a également le don de m’énerver. On a dit beaucoup de bien à son sujet. Mais la société doit sans cesse trouver du cash pour couvrir ses pertes. Cette situation n’est pas tenable.”
Quelles sont les niches qui présentent le plus de potentiel d’après vous ?
SIDDY JOBE. “Nous avons d’abord effectué une analyse approfondie du secteur. Sur cette base, nous avons élaboré une liste de quinze sous-secteurs qui disposent selon nous d’un potentiel de croissance important : cela va des jeux et de la robotique aux semi-conducteurs et aux paiements numériques. Nous avons enfin identifié les champions dans chacun de ces domaines pour obtenir un portefeuille technologique diversifié.”
Les marges bénéficiaires pèsent lourd dans la sélection des actions. Ne risquez-vous pas de passer à côté d’une société de pointe comme Amazon ? Cette entreprise a été déficitaire pendant des années mais elle est toute-puissante aujourd’hui.
LANGEVELD. “Le business model de l’entreprise doit toujours être déterminant dans la décision d’acheter des actions. Ainsi Warren Buffett se morfond d’avoir raté Amazon. Pendant des années, Amazon a injecté tout son cash dans la croissance, mais elle affiche depuis trois ans déjà un cashflow positif malgré de lourds investissements. Cela doit être détecté à un stade précoce. Nous devons avoir l’oeil constamment sur les entreprises qui ont atteint ce point critique. Du côté des entreprises de commerce électronique chinoises, tout le monde pense à Alibaba, mais JD.com par exemple est également intéressante. Elle investit tous azimuts – des entrepôts à l’intelligence artificielle – à un rythme effréné, comme si les opportunités allaient disparaître du jour au lendemain.”
Nous ne sommes pas convaincus du business model de Zalando. Je pense que nous connaissons tous quelqu’un dans notre entourage qui renvoie massivement ses colis – Marc Langeveld
“Nous souhaitons identifier deux à trois de ces gagnants par segment. Les fondamentaux doivent être bien présents. JD.com est plus intéressante que Zalando en raison de son cashflow. Il s’agit d’une belle entreprise en croissance, mais elle ne génère quasi aucun cash. De plus, nous ne sommes pas convaincus de son business model. Je pense que nous connaissons tous quelqu’un dans notre entourage qui renvoie massivement ses colis.”
La technologie n’est-elle pas devenue un secteur mature avec une croissance plus faible ?
SIDDY JOBE. “Non, nous considérons le secteur technologique comme un univers qui ne cesse de grandir. De nouvelles opportunités se présentent chaque jour. Nous pensons donc que la percée de l’intelligence artificielle sera plus marquée que celle de l’internet, des réseaux sociaux et des smartphones. Le secteur technologique aura encore plus d’impact sur la société. En même temps, le pouvoir d’achat des Millennials, la première génération qui a grandi avec l’internet et les smartphones, augmente. Ceux-ci arrivent progressivement dans les sociétés où ils occupent des postes qui leur permettent de peser sur les décisions d’investissement. Cela se traduit par un nombre encore plus élevé d’opportunités pour le secteur technologique, partant pour les investisseurs. Mieux encore : ne pas investir dans la technologie constitue presque une erreur en raison de son importance croissante dans le monde réel.”
“Le secteur technologique a déjà effectué un beau parcours et son potentiel reste important, même dans des niches qui semblent déjà très matures. Un premier glissement du cash vers les paiements électroniques s’est par exemple produit. Toutefois, nous constatons qu’à peine 15% des dépenses dans les magasins passent par le numérique. L’investisseur a plusieurs possibilités pour répondre à cette tendance. Il choisit Mastercard ou Visa s’il se veut défensif, mais il peut tout aussi bien opter pour Paypal, Adyen, Square ou Lightspeed POS. Lightspeed POS est Canadien, mais il possède un lien belge. Il a repris Posios (un logiciel de caisse établi en Belgique, NDLR).”
Parmi tous ces noms, un seul est Européen. Ceux qui veulent investir dans la technologie doivent-ils regarder du côté des États-Unis ?
MARC LANGEVELD. “L’Europe ne compte pas beaucoup d’acteurs innovants dans le domaine de la technologie à l’échelle mondiale. Outre Ayden, il y a le service de streaming Spotify ou le fabricant de puces ASML, mais c’est à peu près tout. La plupart des actions technologiques prometteuses sont américaines ou asiatiques.”
Les start-up peuvent-elles représenter un placement intéressant pour votre fonds ?
JOBE. “Dans cette phase, nous nous concentrons sur les sociétés cotées en Bourse. Investir dans des start-up requiert une toute autre approche et ne permet pas de se diversifier. Un investisseur en capital d’amorçage ne peut pas investir dans trente-six entreprises, étant donné que la gestion quotidienne des sociétés de son portefeuille lui prend énormément de temps. De plus, nous optons sciemment pour des entreprises qui ont déjà un parcours derrière elles, ce qui réduit le risque pour l’investisseur. On ne remporte pas un championnat de football en gagnant une fois 10 – 0 et en perdant les autres matchs.”
Les États-Unis attaquent sans ménagement les entreprises technologiques chinoises. Quelles conséquences peut-on craindre ?
LANGEVELD. “Ces conflits commerciaux sont en grande partie un jeu à somme nulle. Si un Huawei ne peut plus opérer quelque part, la concurrence va combler ce vide et l’investisseur peut anticiper cette situation. Je recommande de faire attention aux actions technologiques chinoises, mais c’est surtout l’impact mondial qui me préoccupe. Les États-Unis espèrent enrayer la percée de la Chine en la coupant des technologies critiques. Deux blocs distincts peuvent ainsi apparaître. Or, le monde a besoin d’innovation et celle-ci se développe mieux quand les connaissances peuvent circuler librement.”
Traduction : virginie·dupont·sprl
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