Investir dans des entreprises qui développent des médicaments n’est pas sans risque
De l’élaboration à l’homologation, il peut s’écouler jusqu’à vingt ans avant qu’un nouveau médicament soit mis sur le marché. L’investisseur potentiel souhaitant miser sur des entreprises qui développent des médicaments doit faire preuve de patience. Il doit aussi être conscient qu’il risque de gaspiller son argent si le produit ne reçoit pas le feu vert des autorités d’approbation.
La semaine dernière, le géant pharmaceutique Sanofi a annoncé l’acquisition de la biotech américaine Synthorx pour 2,5 milliards de dollars. La Bourse de Bruxelles réserve également une place particulière dans son coeur pour la biotechnologie. Un grand nombre de petits investisseurs belges achètent des actions de sociétés qui développent des médicaments ou testent des traitements contre certaines maladies. Ces sociétés de biotechnologie génèrent néanmoins peu ou pas de revenus. Elles brûlent de l’argent pendant des années sans parvenir à distribuer de bénéfices à leurs actionnaires.
Certains investisseurs croient s’acheter une conscience en pensant qu’ils financent des solutions pour des maladies rares. D’autres tablent peut-être sur des profits élevés si le traitement s’avère efficace, meilleur ou moins cher que les traitements existants. Par ailleurs, le produit doit encore être vendu, ce qui n’a pas été sans difficulté dans le cas de Jetrea de ThromboGenics – désormais Oxurion – spécialisée dans les affections oculaires.
“Les études cliniques comportent trois phases. Premièrement, les entreprises testent l’innocuité du médicament sur un petit groupe de personnes. Ensuite, elles déterminent son efficacité : d’abord sur une petite population de patients, puis sur un échantillon plus conséquent”, explique Lenny Van Steenhuyse, analyste chez KBC Securities. “Les résultats de ces tests sont les principaux moteurs des cours boursiers des entreprises biotechnologiques.” Après l’échec de l’essai clinique du médicament contre les allergies aux pollens de graminées d’Asit Biotech fin novembre, son action a dégringolé.
L’indice Bel20, qui prend le pouls du marché boursier belge et regroupe les principales sociétés belges, comprend deux sociétés de biotechnologie. Galapagos a obtenu un siège au Bel20 en mars 2016, argenx en juin 2018. En outre, l’indice boursier belge compte dans ses rangs une société biopharmaceutique : UCB. Une société biopharmaceutique a déjà développé un produit que les patients peuvent acheter.
Le principal marché
Établie à Malines, la société Galapagos a signé en juillet un accord avec Gilead. Le géant pharmaceutique américain a versé 3,95 milliards d’euros et investi 1,1 milliard d’euros en actions pour un accès exclusif aux principaux produits de Galapagos. L’entreprise malinoise développe des médicaments pour les maladies inflammatoires comme les rhumatismes. “C’est le plus grand marché pour les médicaments. L’Humira d’AbbVie est le médicament le plus vendu au monde, avec des ventes annuelles avoisinant les 19 milliards de dollars. Beaucoup d’autres sociétés de biotechnologie travaillent sur des médicaments destinés à des niches dont le potentiel de vente est beaucoup plus faible”, explique Lenny Van Steenhuyse.
L’importance de l’accord avec Gilead peut changer les règles du jeu dans le secteur. “Jusqu’à présent, les actionnaires d’une société de biotechnologie pouvaient seulement espérer une reprise totale par une société pharmaceutique ou un transfert de certains médicaments. C’est la première fois qu’une société pharmaceutique et une entreprise de biotechnologie concluent une telle alliance, dans laquelle la société de biotechnologie conserve son autonomie”, déclare Lenny Van Steenhuyse. “Grâce à l’accord avec Gilead, Galapagos conservera son indépendance pendant encore au moins dix ans et continuera aussi à détenir les droits de vente de ses médicaments pour l’Europe.”
L’affaire de l’année
Avec le médicament contre les rhumatismes filgotinib, Galapagos a finalisé avec succès toutes les phases de la recherche. L’approbation a déjà été demandée en Europe et au Japon, et un dossier pourrait bien aussi être introduit assez rapidement aux États-Unis. Lenny Van Steenhuyse : “Galapagos va essayer pour la première fois en Europe de commercialiser un médicament en partenariat avec Gilead.”
Mais Gilead paie donc des milliards pour étudier les recherches sur les principaux médicaments de Galapagos et se réserve une option sur les droits de vente aux États-Unis. “Dès que l’efficacité d’un médicament a été démontrée dans la phase 2 des essais cliniques, Gilead peut prendre part à son développement ultérieur”, explique Lenny Van Steenhuyse. Gilead a également augmenté sa participation dans Galapagos de 12,3 à 25%. Ce pourcentage peut atteindre un maximum de 29,9%, ce qui décourage une offre publique d’achat hostile d’un autre géant pharmaceutique. Lenny Van Steenhuyse considère cet accord comme “l’affaire de l’année 2019”.
Que réserve 2020 ?
Galapagos est la société de biotechnologie la plus mature sur la Bourse de Bruxelles, avec un large portefeuille de produits pharmaceutiques. Quant au groupe biopharmaceutique UCB, divers accords avec des investisseurs sont également à l’ordre du jour, alors que 2020 pourrait aussi être l’année de la maturité pour argenx.
“Nous attendons dans le courant du deuxième semestre les résultats de la phase 3 de l’étude sur l’efgartigimod, médicament destiné aux patients atteints de myasthénie grave, une maladie auto-immune dont les symptômes sont la faiblesse musculaire et la fatigue”, souligne Lenny Van Steenhuyse. “Si ces résultats sont positifs, il est plus probable que le médicament puisse également déclencher des effets bénéfiques dans le cadre d’autres syndromes.”
D’autres sociétés de biotechnologie belges comme Celyad, Bone Therapeutics, Oxurion et Sequana Medical sont encore bien loin de la phase de commercialisation. Par exemple, fin 2019 ou début 2020, Oxurion présentera les données de la phase 1 ou de la phase 2 des études cliniques pour un médicament contre les maladies oculaires diabétiques. “Oxurion est aujourd’hui une entreprise très différente de celle de 2014, à l’époque où ThromboGenics allait lancer son premier produit qui suscitait de grandes attentes”, explique Lenny Van Steenhuyse.
D’après l’analyste, investir dans des entreprises dont les produits ne sont qu’en phase 1 ou 2 n’est pas forcément une bonne idée pour les investisseurs privés. “Il est déjà très difficile pour les investisseurs professionnels d’évaluer le potentiel et les chances de succès des médicaments.”
L’esprit de clocher
Rudi Van den Eynde, qui gère depuis 2000 un fonds de biotechnologie prospère pour le compte de Candriam, va encore plus loin. “Je déconseille aux petits acteurs d’investir dans des sociétés de biotechnologie individuelles. Ils auront plus de chances sur le marché par l’intermédiaire de trackers ou de fonds d’investissement”, dit-il. Chez Galapagos, les choses se sont bien passées pour ceux qui ont investi leur argent dès l’introduction en Bourse, mais pour chaque réussite dans le monde de la biotechnologie, on dénombre plusieurs échecs retentissants. “Pour faire la différence, il faut des connaissances très spécifiques, ainsi qu’une aptitude à conserver et interpréter correctement toutes les données”, explique le gestionnaire de Candriam Equities L Biotechnology.
En outre, les investisseurs recherchent souvent des gagnants potentiels sur leurs terres. Or, de nombreuses sociétés de biotechnologie introduisent déjà une demande d’admission à la cote d’Euronext Brussels au moment où les médicaments sont encore en phase de développement ou de tests préliminaires. Le nombre d’entreprises un peu plus matures cotées sur le Nasdaq est supérieur. “C’est aussi la raison pour laquelle près de 90% des actions dans lesquelles nous investissons avec notre fonds sont des actions américaines. Même si nous possédons également plusieurs sociétés européennes et japonaises propspères dans notre portefeuille”, déclare Rudi Van den Eynde. Cela dit, Theranos a réussi à tromper les investisseurs pendant un long moment. L’heure du clap de fin est venue il y a plus d’un an pour cette entreprise américaine de biotechnologie après la révélation de l’arnaque.
Lenny Van den Eynde reconnaît que les sociétés de biotechnologie ne surfent pas toujours sur les vagues des marchés boursiers. “Les entreprises individuelles réagissent aux résultats des tests. S’il y a un flux positif de nouvelles, une entreprise de biotechnologie peut inverser la tendance sur les marchés boursiers, ou vice versa. Cela reste des actions qui peuvent chuter si le sentiment boursier se dégrade.”
Sur le long terme, l’ensemble des sociétés de biotechnologie pourrait produire un rendement supérieur à celui de toutes les autres actions confondues. Il s’agit d’entreprises en croissance, qui ont parfois le potentiel de fabriquer des produits qui rapporteront des milliards de dollars. Rudi Van den Eynde prévient cependant que tout dépend du moment de l’entrée en Bourse. “Ceux qui ont acheté un panier diversifié d’actions de biotechnologie en 2015 étaient moins bien lotis que ceux qui ont fait l’acquisition d’actions ordinaires”, affirme-t-il. “Si vous commencez à comparer les performances sur une période de dix, quinze ou vingt ans, l’indice de biotechnologie du Nasdaq obtient de meilleurs résultats.”
Traduction : virginie·dupont·sprl
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