La Belgique est-elle encore fiscalement attrayante? “La progressivité de l’impôt est effrayante”

Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Taxe sur les plus-values, taxe sur les comptes-titres, cotisations sociales et impôts sur les personnes physiques les plus élevés au monde, etc. Notre pays présente l’image d’un enfer fiscal. Pourtant, il conserve encore des atouts.

Dans le domaine fiscal, la Belgique n’a pas une bonne image. La cause essentielle réside dans la hauteur des charges sociales et fiscales sur le travail. Selon l’OCDE, notre pays a le “coin fiscal” – c’est-à-dire l’écart entre le coût total du travail pour l’employeur et le salaire net perçu par le salarié – le plus élevé des pays industrialisés. Ce coin fiscal atteignait l’an dernier 52,6% pour un travailleur célibataire sans enfant qui perçoit un salaire moyen, soit la pression la plus forte de tous les pays considérés.

“La Belgique détient la médaille d’or en matière de taxation, abonde Pierre-François Coppens, fiscaliste et président de l’ADFPC (Académie de droit fiscal et commercial Pierre Coppens). Pourtant, elle offre des niches extraordinaires pour certains secteurs et certaines activités”, ajoute le fiscaliste qui vient de publier un ouvrage sur les 20 plus belles optimisations fiscales (*).

Des niches fiscales très intéressantes subsistent.” – Pierre-François Coppens

Ces mesures fiscales attrayantes, Pierre-François Coppens les classe en trois catégories. “Il y a d’abord les incitants, qui ont pour vocation de soutenir l’innovation, la recherche, les impatriés (ce que l’on appelait anciennement chez nous les expats). Vous avez ensuite des constructions fiscales historiques, inventées par quelques ingénieurs fiscaux. Telles que les constructions usufruit ou l’utilisation d’un bureau à domicile. Et puis il y a des mesures qui se situent entre les deux, et qui connaissent parfois un énorme succès, comme la fiscalité sur les droits d’auteur ou sur les sociétés de management.” On verra toutefois plus tard que l’administration fiscale cherche à réduire le champ d’application de ces dispositions.

Des atouts pour les PME

Mais revenons sur ces atouts. Prenons l’exemple d’une petite entreprise. Quelles sont les mesures fiscales qui peuvent être intéressantes ? “Pour une PME, ce qui d’emblée est le plus attrayant est de pouvoir bénéficier d’un taux de dividende à 15 %, soit via la réserve de liquidation, soit via le système VVPR-bis”, répond Pierre-François Coppens. Le régime VVPR-bis permet en effet aux petites entreprises d’abaisser le taux du précompte mobilier sur les dividendes, qui est normalement de 30%, et de le réduire à 20, puis 15%.

Quant à la réserve de liquidation, elle permet également aux PME de bénéficier d’un taux de précompte réduit sur ses dividendes. Lorsqu’une société constitue une réserve de liquidation, elle paie une cotisation spéciale de 10% sur les bénéfices après impôt, qui sont transférés dans cette réserve. Cette cotisation permet par la suite de bénéficier d’un taux de précompte réduit lors de la distribution de dividende. Si la réserve est utilisée après une période de cinq ans, le précompte mobilier est réduit à 5%.

Engagement individuel de pension

Un autre élément intéressant est l’engagement individuel de pension (EIP). “Pour compléter sa maigre pension légale, un indépendant peut utiliser sa PME pour réaliser un EIP. Mais dans les limites légales, fortement calibrées d’ailleurs.” Cet EIP est une assurance individuelle souscrite par la PME pour son dirigeant. Mais dont les primes ne sont déductibles fiscalement que dans la limite de 80 %. “Vous avez la possibilité d’avoir un capital qui, à l’expiration, est taxé à un peu plus de 10 % (car au taux de 10% certaines petites taxes s’ajoutent encore).”

Et puis, un autre atout dont bénéficient les PME est le régime de déduction pour investissement entré en vigueur au début de cette année. La déduction pour investissement ordinaire passe à 10%, pour les PME et les indépendants, et elle passe même à 20% pour les investissements numériques. “Les PME qui investissent dans la facturation électronique bénéficieront donc de 20 % de déduction”, souligne Pierre-François Coppens.

Droits d’auteur, mais pas pour tous

Ajoutons le fameux régime des droits d’auteur, qui offre un régime fiscal avantageux aux créateurs. Ces revenus sont considérés comme des revenus mobiliers bénéficiant d’un taux réduit de 15%. “Les personnes éligibles sont les journalistes et les créatifs dans le marketing, le graphisme, la conception de scénarios. En revanche, poursuit Pierre-François Coppens, les architectes, en sont totalement exclus, pour une raison qui m’a toujours paru problématique. C’est le fait que l’œuvre doit être communiquée au public. Vous pourriez rétorquer qu’une maison ou un bâtiment sont dans l’espace public. Mais on ne parle pas de la construction, on parle des plans, maquettes, croquis dont l’architecte cède les droits au maître d’ouvrage.” Et ces œuvres ne sont pas considérées comme étant communiquées au public.

Les concepteurs de logiciels, un moment exclus par le fisc, peuvent-ils à nouveau bénéficier de ce régime ? “Tout le monde le croit, mais nous aurons des surprises, répond Pierre-François Coppens. L’administration dit : attention, il faut que les logiciels soient vraiment originaux. Et surtout qu’il soient créés dans la perspective d’une utilisation publique. Si vous êtes un consultant qui développe un programme en interne pour une entreprise, ce n’est pas éligible parce qu’il n’y a pas de communication publique.”

Autre condition : le montant des droits d’auteur ne pourra pas dépasser 30% de la rémunération totale. “Je peux vous assurer que l’administration fiscale sera inflexible sur ces conditions : l’originalité, le niveau des montants (pour 2026, le fisc ne pourra pas requalifier les droits d’auteur en revenus professionnels en dessous de 75.360 euros, ndlr) ou de la proportionnalité par rapport au salaire, et cette fameuse condition de circulation de communication publique.”

“La Belgique détient la médaille d’or en matière de taxation. Pourtant, elle offre des niches extraordinaires pour certains secteurs et certaines activités.” – Pierre-François Coppens

Rigidité administrative

On le voit, si la mesure est positive, sa mise en place sera très contrôlée. “Ce qui me frappe est que les contrôleurs voient souvent cette mesure comme une optimisation pure et dure, s’étonne Pierre-François Coppens. Ils vous sortent cet argument : vous n’en aviez pas besoin auparavant, pourquoi l’utilisez-vous maintenant ?”

Cette rigidité administrative dépasse d’ailleurs les droits d’auteur et caractérise de plus en plus les relations entre contribuables et administration. Est-ce une spécificité belge ?

“Nous sommes plutôt dans la moyenne, répond Pierre-François Coppens. Si vous êtes au Grand-Duché de Luxembourg, les fonctionnaires sont pleinement coopératifs. J’ai eu l’occasion de m’en rendre compte. Ils vous indiquent l’existence de tel ou tel système fiscal. Mais dans d’autres pays, notamment en France, les relations avec l’administration sont assez dures. En Belgique, nous avions encore cette tradition du compromis avec le contrôleur.”

Néfaste pour les contribuables

© BELPRESS

“Cependant, poursuit-il elle se perd avec l’apparition des nouvelles générations de fonctionnaires. Il n’y a plus cette envie de finaliser un dossier avec un accord. C’est dommage parce que cela casse l’image de l’administration. De plus, cela effraie de nombreux contribuables qui préfèrent peut-être aller travailler pour l’État, hésitant à prendre un risque entrepreneurial en raison de ces contrôles fiscaux. Je ne suis pas certain qu’une telle attitude soit rentable pour l’État. Car une affaire portée devant les tribunaux ou un contentieux qui dure 10 ans lui coûte cher.”

Cette situation est également néfaste pour les contribuables. “L’encours des contentieux judiciaires est déjà très lourd. Et l’encours des contentieux administratifs grossit car la grande nouveauté est qu’une réclamation n’est plus traitée dans les six à dix mois, mais plus facilement dans les deux à cinq ans. Si vous êtes un contribuable, allez-vous vous battre pour un problème de rente alimentaire ou un problème de taxation des droits d’auteur, si vous savez que vous en avez peut-être pour dix ans ? C’est triste parce que ce sont souvent les gens les moins fortunés. Ceux qui n’ont pas d’assurance fiscale, qui vont laisser tomber, même s’ils sont dans leur droit”, déplore le fiscaliste.

Une progressivité effrayante

À côté de cette sévérité de l’administration, le mal principal dont souffre notre système fiscal est la rapidité de la progressivité de l’impôt, ajoute Pierre-François Coppens. “La principale mesure que je prendrais si j’étais aux Finances serait tout simplement de réduire cette progressivité, qui est effrayante. Les mécanismes qui sont mis en place et qui sont parfaitement acceptés, puisqu’ils sont contrôlés et vérifiés, ne sont que des réactions par rapport à cette effrayante progressivité. Évidemment, nous savons que chaque geste qui serait réalisé pour réduire la progressivité coûte une fortune. Néanmoins, on peut escompter un effet retour.”

“Si j’étais aux Finances, je réduirais tout simplement la progressivité de l’impôt, qui est effrayante.” – Pierre-François Coppens

S’attaquer aux sociétés de management

Pierre-François Coppens poursuit  : “On veut par exemple, c’est dans l’actualité, s’attaquer aux sociétés de management. Mais contrairement aux idées reçues, les sociétés de management sont terriblement contrôlées. Notamment pour ce qui concerne la réalité des prestations. De plus, il faudrait éclairer le débat. Vise-t-on les sociétés qui effectuent des prestations de gestion (les sociétés de management au sens premier) ou les sociétés unipersonnelles ? Parce que j’ai l’impression que c’est plutôt ce dernier cas qui titille le gouvernement.

Admettons dès lors que les sociétés de management unipersonnelles ne soient plus admises. Et que ces contribuables restent soumis à l’impôt des personnes physiques. Il faut alors qu’ils puissent bénéficier d’une couverture sociale et d’une possibilité d’avoir des incitants en matière de pensions. Car s’ils se sont mis en société de management, c’est peut-être parce que la fiscalité à l’IPP est écrasante. Qu’elle ne leur assure aucune couverture sociale, ni aucune garantie de pension. C’est dès lors presque une mesure de légitime défense fiscale d’utiliser une société de management”.

Et Pierre-François Coppens conclut. “C’est cela qui est, je crois, le plus mal vécu par les clients que je reçois. C’est l’idée qu’on ne sait pas de quoi demain sera fait. Souvent, certains préconisent d’aller au Luxembourg, non pas pour une raison d’attractivité fiscale, mais parce qu’on sait que dans ce pays, cela ne bougera pas. Cette stabilité est essentielle”.

(*) Pierre-François Coppens, “Les 20 plus belles optimisations fiscales à la loupe“,
édité par l’ADFPC, 2025, 276 p., 30 euros (ebook) ou 45 euros (papier).

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