Il n’y aura pas de miracle pour les droits d’auteur…

La réforme des droits d’auteur qui entrera en vigueur dans deux mois touche de plein fouet le secteur IT. © Getty Images

Le 1er janvier prochain, la période transitoire du nouveau régime des droits d’auteur s’arrêtera. Les entreprises actives dans l’IT ou utilisant de tels profils ne pourront plus payer certains de leurs employés en droits d’auteur. La situation économique et la compétitivité rendent la compensation compliquée.

Depuis 2008, il existe en Belgique un régime d’imposition particulier pour les revenus de droits d’auteur perçus par une personne physique. A l’époque, l’objectif était d’appliquer un régime fiscal avantageux pour les revenus perçus de manière irrégulière et aléatoire provenant d’œuvres littéraires et artistiques.

L’an dernier, sous la houlette du ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V), le gouvernement fédéral, après des discussions houleuses, a réformé cette législation au regard de ce que certains considéraient comme des abus. Des architectes, des profils IT, des développeurs de jeux vidéo et bien d’autres ont ainsi bénéficié, à tort ou au raison, pendant des années de ces droits. Cette réforme recadre le nombre de professionnels qui peuvent recevoir des droits d’auteur. En plus d’une redéfinition des exemptions ONSS, elle impose aussi de nouvelles règles fiscales: maximum 50% des revenus totaux en 2023, 40% en 2024 et 30% en 2025. En outre, ces droits d’auteur ne pourront pas dépasser un plafond fixé à 70.220 euros pour 2023.

L’interprétation plus stricte par le SPF Finances du champ d’application de la loi fait une victime principale: les entreprises IT. Le premier ruling rendu, le 3 octobre dernier, par le service des décisions anticipées (SDA) du SPF Finances le confirme: le SDA a rejeté la demande d’une société active dans l’ingénierie informatique et spécialisée dans les solutions de lutte contre la fraude financière. Elle estimait que cinq profils créatifs réalisaient des œuvres auxquelles le régime de rémunération des droits d’auteur pouvait s’appliquer.

Quel impact?

Cette relecture plus stricte fait toujours l’objet d’un recours devant la Cour constitutionnelle. Sur la base d’une analyse juridique poussée qui estime que la loi laisse la porte ouverte aux développeurs de logiciels, sept entreprises IT et 70 développeurs indépendants veulent faire annuler la loi. En attendant une décision de la Cour, le sentiment qui prévaut dans le secteur IT est une profonde résignation.

A l’issue du régime transitoire prévu pour cette année, il devra faire sans droits d’auteur pour l’extrême majorité des profils concernés. Quelle est la situation dans notre pays à deux mois de la date couperet? Chaque année, Hudson, le cabinet de conseil en ressources humaines désormais membre du groupe Randstad, publie une étude sur les salaires dans la tech belge. La livraison 2023, sortie il y a quelques jours, fait logiquement la part belle à la question des droits d’auteur. Sur les 129 entreprises représentatives interrogées, 23% offrent des droits d’auteur. Il s’agit de sociétés de tailles très diverses, actives dans le software et la consultance IT. Elles proposent majoritairement ces droits à des profils actifs dans le développement de logiciels (développeur, analyste, consultant, ingénieur, etc.). Selon Hudson, l’indemnité médiane issue de ces droits d’auteur s’élève à 640 euros brut par mois. Dans une étude supplémentaire où 19 entreprises (sur les 30 participantes) utilisent les droits d’auteur, Hudson s’est penché sur leur stratégie pour 2024.

“Septante-quatre pour cent d’entre elles ne vont plus en proposer du tout, explique Paul-Etienne Siegrist, senior manager chez Hudson Benelux. Le solde va continuer à offrir, suivant des ratios propres, des droits d’auteur à certains postes comme développeur de jeux, technical writer et designer ainsi qu’à des profils marketing. Il faut savoir que trois quarts des entreprises interrogées dans cette enquête supplémentaire proposaient des droits d’auteur à plus de 40% de leurs employés. Cette indemnité correspondait dans 62% des cas à au moins 20% du salaire de base. L’impact de la disparition des droits d’auteur du package salarial est donc énorme. Parmi celles qui cesseront d’utiliser ces droits, 11% ne compenseront pas du tout. Parmi les autres entreprises, environ la moitié vont compenser complètement la perte de salaire, et l’autre moitié partiellement.”

La moitié de celles qui compenseront n’ont pas encore de plan définitif (47% des cas). Parmi celles qui ont décidé, il y aura une combinaison de plusieurs éléments: augmentation du salaire brut (32%), compensation via un budget mobilité (16%), via les frais propres à l’employeur (16%), dans le cadre du plan cafétéria (16%), sous forme de warrants (5%), de chèques-repas (5%), etc.

Et en Wallonie?

Basée à Nivelles, Easi est devenue au fil d’une jolie croissance soutenue l’un des solides acteurs de l’IT en Belgique. Elle propose aux entreprises des applications de gestion, des solutions professionnelles de cloud et de sécurité ainsi que des services d’infrastructure informatique. Elle occupe désormais 508 employés. Deux tiers d’entre eux sont concernés par la suppression des droits d’auteur!

“Le sujet est hyper-bouillant chez nous, confie Jean-François Herremans, co-CEO avec Thomas Van Eeckhout. Nous nous y sommes mis tardivement en 2021, sous la pression, il faut bien l’avouer, de nos employés. Via un ruling obtenu auprès du SPF Finances, nous octroyons aux bénéficiaires 250 euros nets par mois en moyenne. Compenser dans le salaire brut ce qui est un sur-bonus au-delà du salaire et des primes nous coûterait entre 2,5 et 3 millions d’euros par an. C’est évidemment impossible, tant financièrement qu’en termes de compétitivité sur le marché. Nous avions prévenu en 2021 qu’on ne compenserait pas si ces droits d’auteur venaient à disparaître. Aujourd’hui, cette décision passe mal et je comprends. C’est une somme importante qu’ils perdent.”

Chez N-Side, la scale-up en pleine croissance basée à Louvain- la-Neuve qui utilise maths appliquées et technologies logicielles pour optimiser les secteurs de la pharma et de l’énergie, la situation est tout aussi prégnante. Sur les 180 personnes (sur 220) employées en Belgique, quasiment 130 reçoivent des droits d’auteur. En moyenne, 301 euros nets par mois.

Maud Larochette (N-Side)
© michel houet

“Est-ce que les politiques se sont rendu compte que les profils touchés sont des talents dont le métier est facilement exportable partout en Europe?” Maud Larochette (N-Side)

“Nous n’allons pas non plus compenser via le salaire brut, confie Maud Larochette, CFO et people & business organisation director. Nous avons décidé de booster deux éléments que nous jugeons importants chez nous: la mobilité et la formation. Et un peu augmenter les frais de représentation qui étaient assez bas. J’ai bien conscience que ce n’est pas cela qui va payer les factures mais notre marge de manœuvre est assez étroite. Cette réforme de Vincent Van Peteghem induit une perte de pouvoir d’achat pour des employés belges! Mais ce ne sera pas un gain pour la Belgique, j’en suis quasi certaine. Est-ce que les politiques se sont rendu compte que les profils touchés sont des talents dont le métier est facilement exportable partout en Europe où, vu la hauteur des coûts salariaux belges, ils n’auront aucun souci à gagner des salaires nets plus élevés? Dans l’optique de la guerre des talents qui règne dans notre secteur, cette réforme n’est pas la plus intelligente qu’on ait connue. Je suis persuadée que les effets indirects induits ne permettront pas d’atteindre l’objectif financier prévu.”

Au bazooka

Le sentiment qui prévaut dans le secteur en Wallonie (où ceux que nous avons contactés n’ont pas tous souhaité s’exprimer publiquement), c’est que cette réforme a non seulement été faite pour des cacahuètes (une petite centaine de millions escomptés par le fisc en 2023), pas garanties du tout, mais qu’en plus, elle frappe un secteur crucial pour l’économie wallonne et son innovation.

“Nous avons tout fait dans les règles de l’art, assène Maud Larochette. Nous avons obtenu des rulings du SPF Finances. Pourquoi les accepter alors? Pourquoi aujourd’hui tirer au bazooka sur tout ce qui bouge et frapper tout le monde de la même manière, même ceux qui ont profondément droit à ces droits d’auteur? N’était-il pas plus judicieux de revoir et d’auditer les rulings accordés pour chasser les abus? Il était prévu dans le cadre de la réforme fiscale d’augmenter le net au départ du brut. Cela eût permis d’adoucir la perte de pouvoir d’achat. Mais elle n’a pas eu lieu. Résultat, la réforme des droits d’auteur est un acte isolé. Alors oui, en tant que DRH, la situation m’inquiète au niveau de la rétention des talents. Nous verrons fin janvier. Heureusement que nous payons au benchmark et que notre raison d’être est attractive et forte.”

Jean-François Herremans (Easi)
© pg

“Nous jouons un rôle majeur dans le futur de la Wallonie. Et que fait le politique? Il nous freine.” Jean-François Herremans (Easi)

“Nous avons dans le secteur IT de jolies boîtes qui performent bien, renchérit Jean-François Herremans. Nous jouons un rôle majeur dans le futur de la Wallonie. Et que fait le politique? Il nous freine. C’est incompréhensible et décevant. En plus de cela, l’Etat nous met beaucoup de pression. Easi n’a historiquement jamais été autant contrôlée qu’en 2023. Nous avons tout eu: fisc, TVA, ONSS, etc. Etrange, non? Alors oui, je m’interroge sur un possible exode de nos talents ou sur la possibilité d’encore engager des étrangers. Pour l’an prochain, nous nous sommes engagés auprès de nos employés à octroyer des augmentations salariales si Easi n’est plus performante en comparaison du benchmark.”

B12-Consulting développe au départ de Bruxelles et de Louvain-la-Neuve des solutions logicielles et des applications créatives en intelligence artificielle. Un secteur hautement stratégique à l’heure actuelle. L’entreprise, qui travaille notamment pour la Stib, Recupel et IBA, n’a pas encore arrêté de plan définitif pour compenser, au moins partiellement, la perte du bonus droits d’auteur octroyé à la très vaste majorité des employés. Si elle n’a pas eu trop de mal à recruter sans les droits d’auteur cette année, B12-Consulting voit l’étranger comme une source nécessaire de croissance.

Caroline Vandenplas (B12-Consulting)
© pg

“Nous sommes fiers d’être belges et le centre nerveux de l’entreprise restera ici, mais si l’on veut gagner de la croissance, il va falloir ouvrir à l’étranger.” Caroline Vandenplas (B12-Consulting)

“Réaliser de la croissance uniquement en Belgique, cela va être difficile, confie Caroline Vandenplas, managing partner. Alors oui, nous envisageons d’ouvrir des bureaux subsidiaires à l’étranger. Cette stratégie n’a pas été dictée par l’arrêt des droits d’auteur mais elle s’en est trouvée renforcée. Nous avons déjà perdu des contrats européens face à des entreprises tout aussi européennes à cause des coûts salariaux belges. Nous sommes fiers d’être belges et le centre nerveux de l’entreprise restera ici, mais si l’on veut gagner de la croissance, il va falloir ouvrir à l’étranger. Attaquer l’Afrique depuis la Belgique, c’est peine perdue vu nos prix. Franchement, je suis persuadée qu’avec cette perte des droits d’auteur, le secteur engagera moins l’an prochain.”

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