Ce que promet la nouvelle DLU 5

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Sébastien Buron
Sébastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Nouveau cadeau aux fraudeurs ou pas, l’accord du gouvernement Arizona prévoit l’instauration d’une nouvelle procédure d’amnistie fiscale et pénale. Voici ce qu’il faut retenir de cette DLU 5, fort attendue.

Sept mois après le scrutin fédéral de juin dernier, la Belgique dispose donc enfin d’un gouvernement. Si les négociations entre les formations politiques pressenties pour faire partie de la coalition Arizona ont pris bien plus de temps que prévu, c’est notamment à cause de la volonté affichée des futurs partenaires d’accoucher d’un accord de gouvernement détaillé comprenant, entre autres, l’instauration d’une nouvelle “déclaration libératoire unique” (DLU).

“En concertation avec les Régions, une nouvelle régularisation (para)fiscale permanente, plus stricte, est élaborée avec une augmentation des taux à 30% et 45%, sauf pour les contribuables pouvant démontrer leur bonne foi”, prévoit ainsi noir sur blanc la déclaration gouvernementale du nouvel attelage fédéral. Et ce, alors que de nombreux partis du gouvernement Vivaldi, dont certains se retrouvent dans la coalition Arizona, s’opposaient encore fermement à l’instauration d’un nouveau grand pardon fiscal : les fraudeurs ayant, à leurs yeux, déjà suffisamment eu l’occasion de faire leur mea culpa sous l’ère des vagues de DLU précédentes.

Sécurité juridique

Que retenir dès lors de cette nouvelle régularisation fiscale issue d’un marchandage politique ? Pour l’avocat spécialisé en droit fiscal Grégory Homans (Dekeyser & Associés) la réponse est claire : “La mesure ne manquera pas d’apporter de la sécurité juridique et d’offrir une issue légale et transparente à de nombreuses personnes qui se retrouvent aujourd’hui dans l’impossibilité de rapatrier leurs avoirs à l’étranger”.

L’introduction d’une nouvelle régularisation fiscale permanente offrira en effet une solution à tous les détenteurs de capitaux non déclarés. Comme le dit Denis-Emmanuel Philippe (Bloom Law), ces derniers se trouvent dans une “situation kafkaïenne” depuis le 1er janvier 2024. “Depuis la fin de cette quatrième DLU, les parquets, de même que l’ISI (Inspection spéciale des impôts, ndlr), refusent en effet de traiter les dossiers de régularisation, explique l’avocat fiscaliste. La nouvelle DLU leur offrira une immunité fiscale et pénale, ce qui signifie que le fisc ne pourra plus venir taxer les revenus régularisés, et que le contribuable qui se sera repenti bénéficiera d’une exonération de poursuites pénales pour fraude fiscale, faux fiscal et blanchiment des avantages tirés de ces infractions. Ce sésame permettra notamment à tous ceux qui ont des avoirs non déclarés dans des banques étrangères de les rapatrier dans des banques belges”, estime Denis-Emmanuel Philippe.

Le nouveau pardon fiscal ravit également les banquiers spécialisés dans la gestion de patrimoine. “Cette loi de régularisation permanente est fort attendue par les praticiens auxquels de nombreux contribuables font appel pour régulariser de manière spontanée leur situation fiscale, abonde François Parisis, ingénieur patrimonial (Banque Transatlantique Belgium). Parmi ceux-ci, se trouvent des citoyens qui, sans intention frauduleuse mais par méconnaissance de leurs obligations fiscales, ont omis de déclarer leurs revenus mobiliers à l’étranger. Les investisseurs en cryptomonnaies sont aussi concernés vu l’incertitude qui règne sur le régime de taxation des gains dans ces actifs.”

Quel prix à payer?

Sur le plan des modalités, on notera que cette DLU 5, qui est donc le fruit d’un compromis à l’échelon fédéral, ne couvre de ce fait pas les impôts relevant de la compétence des Régions, comme les droits de succession et les droits d’enregistrement. “C’est la raison pour laquelle l’accord gouvernemental prévoit de se concerter avec les Régions, poursuit François Parisis, ce qui permettra d’élargir le champ de la régularisation aux impôts régionaux tels que les droits de succession.”

Bonne nouvelle, appuie Grégory Homans, soulignant que cette nouvelle DLU est aussi annoncée comme permanente, à l’instar de la DLU quater : “Pour mémoire, la DLU quater était également permanente lors de son adoption en 2016 jusqu’à ce que ‘politiquement’ un caractère temporaire lui soit redonné par l’adoption d’un nouveau texte de loi”, rappelle l’avocat fiscaliste.

Quid bien évidemment aussi du prix à payer pour se refaire une virginité fiscale ? Certes, la pénalité sera plus élevée que dans la précédente DLU. Il est question d’un taux de 30% pour les revenus non prescrits et d’un taux de 45% pour les capitaux fiscalement prescrits. Mais une exception est prévue pour les contribuables qui peuvent montrer patte blanche. Le gouvernement laisse ouverte la possibilité d’un taux préférentiel dans certaines situations et ce, en précisant que ces taux ne s’appliqueront pas ‘pour les contribuables pouvant démontrer leur bonne foi’.

Mais encore ? “Il reste en effet à déterminer la manière dont cette bonne foi sera définie ainsi que la portée de cette exception”, se demande Grégory Homans. Selon lui, cette bonne foi pourrait viser la situation de certains héritiers découvrant, au décès de leurs parents, les avoirs non déclarés par ceux-ci.

Exception de la bonne foi

De fait, “on ne sait pas encore comment sera interprétée concrètement cette exception de la bonne foi, acquiesce Denis-Emmanuel Philippe. Mais, ajoute-t-il, on peut à mon avis raisonnablement concevoir que cette exception devrait permettre à des héritiers d’éviter le prélèvement fort lourd de 45%, applicable aux capitaux fiscalement prescrits, dans un grand nombre de cas de figure, notamment lorsque les héritiers ne sont pas en mesure de prouver ‘noir sur blanc’ que les capitaux hérités sont tout à fait ‘clean’ sur le plan fiscal. Souvent, lorsque les avoirs recueillis dans le cadre de la succession sont fort anciens, prouver la conformité fiscale des fonds relève de la gageure : par exemple, un compte ouvert il y a 20 ou 30 ans au Luxembourg ou en Suisse. Les héritiers ont alors le plus grand mal du monde à retracer l’historique fiscal des capitaux en pareille situation, faute de preuves : extraits bancaires, etc. L’exception de la bonne foi devrait faire leur bonheur. S’ils peuvent démontrer que les capitaux fiscalement prescrits ont très vraisemblablement, mais donc pas avec certitude, subi leur régime d’imposition, ils devraient sans doute pouvoir échapper au prélèvement de 45%, lequel s’apparente parfois à un véritable châtiment”.

“Les héritiers ont parfois du mal à retracer l’historique fiscal des capitaux, faute de preuves. L’exception de la bonne foi devrait faire leur bonheur.” – Denis-Emmanuel Philippe (Bloom Law)

Selon Denis-Emmanuel Philippe, la question est explosive et ne manquera pas d’être vivement débattue au sein de la majorité Arizona : “Y aura-t-il un prélèvement de régularisation à payer si la bonne foi est avérée, ou bien échappera-t-on tout simplement à tout prélèvement de régularisation? Et s’il y a bien un prélèvement, s’élèvera-t-il à l’ancien taux de 40% (DLU quater) ou à un taux plus faible encore, pour amadouer les derniers récalcitrants à passer par la case DLU ? Ce qui devrait permettre par la même occasion de renflouer les caisses de l’État”.

Manière de dire que l’analyse des textes qui seront déposés au Parlement ne manquera pas d’intérêt.

Denis-Emmanuel Philippe (Bloom Law)

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