Votre épargne, enjeu d’une bataille majeure

Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Tout le monde a besoin de votre épargne. Les Etats-Unis pour financer leur dette, l’Europe pour financer son économie. Qui l’emportera ?

La situation actuelle est étrange. Aux Etats-Unis, officiellement on aimerait bien  assister à une baisse des taux. Mais en pratique, il n’est pas certain que baisser la rentabilité des actifs en dollars soit dans l’intérêt de Washington.

La théorie économique, et souvent aussi la pratique, nous montrent qu’une baisse des taux favorise les investissements. C’est normal, si on peut emprunter moins cher, on peut voir plus grand. C’est valable pour les entreprises, mais aussi pour les ménages, dont le gros investissement est celui qui leur permet de devenir propriétaire de leur logement. Plus les taux sont bas, plus il est, en théorie du moins, facile de trouver un toit. De plus, abaisser les taux est aussi une bonne chose pour les consommateurs qui dépensent à  crédit.

Mais pour emprunter, il faut, c’est l’autre versant de la question,  des « fonds prêtables ». Autrement dit des gens qui veulent bien prêter. Une partie de l’argent nécessaire peut provenir de la création monétaire, celle que les banques produisent quand elles acceptent d’octroyer un prêt. Mais  celle-ci est canalisée par les banques centrales, qui ne sont plus très chaudes, aujourd’hui, pour gonfler encore leur bilan. Une autre partie provient des dépôts des épargnants. Et il existe un vaste montant d’épargne qui demande à s’investir.

8.000 milliards de dollars

Une grande partie de cette épargne se situe en Asie et en Europe, mais elle part aux Etats-Unis.   Si l’on a la curiosité d’aller farfouiller dans les statistiques du Département du Trésor américain, on tombe d’ailleurs sur un chiffre effarant : l’étranger détient 8.000 milliards de dollars de bons du Trésor américain. Le Japon, à lui seul ,en abrite 1.100 milliards. La portion de la Chine a fortement baissé, puisque l’empire du milieu n’en possède plus que 1000 milliards environ (en tenant compte de ce qui se trouve en Chine continentale et à Hong Kong), soit la moitié de ce que Pékin possédait voici quelques années. La démondialisation, les problèmes internes à l’économie chinoise et les tensions géopolitiques ne sont pas étrangers à ce retournement de tendance. Et ce sont les Européens qui, ensemble,  détiennent le plus grand montant de dette américaine: près de 2.500 milliards d’obligations du Trésir US sont logés sur le vieux continent,  pour moitié en dehors de l’Union (en Suisse, au Royaume-Uni et en  Norvège), et pour moitié dans les pays de l‘Union, et surtout en Belgique (grâce à Euroclear), en Irlande, au Luxembourg, en France et en Allemagne.  Pour voir ces stats, c’est ici (https://ticdata.treasury.gov/resource-center/data-chart-center/tic/Documents/slt_table5.html)

Les Etats-Unis se financent donc en grande partie grâce à l’épargne européenne. Cela peut s’expliquer parce que les agents économiques européens sont moins dispendieux que les agents américains, mais aussi parce que les obligations américaines offrent un rapport qualité-prix intéressant. Ce sont des instruments hyper liquides, qui offrent des rendements relativement généreux. Alors que le taux allemand à 10 ans procure  au moment d’écrire ces lignes un taux de 2,55%, le taux américain pour la même échéance affiche 4,62%. C’est plus que la dette belge (3,05%), et même que la dette italienne (3,88%).

Un problème latent

Les Etats-Unis se trouvent toutefois confrontés à un problème latent :  que se passerait-il si les taux américains venaient à baisser et si un placement en dollar procurait moins, par exemple, qu’un placement dans une obligation allemande ? Les États-Unis se trouveraient alors face à un os, car ils devraient financer leur endettement tout seul.

Heureusement, ce n’est pas le cas et le dollar est depuis des décennies plus rémunérateur que l’euro. Cependant, les grands bouleversements pourraient changer la donne. On est en train de plancher en Europe, sur des solutions pour réorienter cette épargne européenne baladeuse vers des investissements européens. Cela pour permettre de financer tout ce dont nous avons besoin (la défense, la transition énergétique, la digitalisation, les retraites et les soins de santé). Rien ne dit que ces plans pour rendre le marché des capitaux européen compétitif seront couronnés de succès.  Mais s’ils parviennent à faire bouger les lignes, il y aura moins d’épargne disponible pour financer la dette américaine, à un moment où, ailleurs,  et plus spécialement la Chine, on rechigne à acheter encore la dette de l‘Oncle Sam.

Risque de crise

Si le marché du dollar et de la dette publique américaine devait trembler, on assisterait à une secousse tellurique mondiale. Aujourd’hui, le système financier international repose en effet en grande partie sur le fait que le dollar est la monnaie de réserve ainsi que la devise de transaction la plus utilisée dans les échanges internationaux… Que se passerait-il si la devise américaine perdait ce double statut ?

L’épargne européenne est donc convoitée des deux côtés de l’Atlantique. Si elle reste aux Etats-Unis, la capacité d’améliorer la compétitivité européenne en pâtira. Mais si elle quitte les Etats-Unis, le risque d’une crise n’est pas à écarter.

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