Votre argent les intéresse

QUI SONT au juste les gestionnaires de patrimoine qui se proposent de faire fructifier votre argent? © GETTY IMAGES

Les professionnels sont nombreux à vous proposer de gérer votre argent. Et le statut de certains est fort mal connu. De qui et de quoi s’agit-il exactement?

On pense en premier lieu à la banque privée, qu’il s’agisse du département ad hoc d’une banque universelle ou d’un établissement spécialisé comme Degroof Petercam ou Delen. La banque privée est en quelque sorte une appellation commerciale et non un statut particulier, précise René Havaux, ancien CEO de Delen. Elle met l’accent sur le fait que l’institution est dédiée à la gestion de patrimoine et ne pratique, par exemple, le crédit qu’à titre très accessoire. L’identité d’un tel établissement est dès lors assez bien perçue du public.

De la BNB à la FSMA

Il n’en va pas nécessairement de même pour une société de Bourse, statut qui a remplacé celui d’agent de change. Beaucoup, en grandissant, ont voulu devenir banque, mais pas toutes. La maison Petercam s’y est toujours refusé et il en existe aujourd’hui une douzaine, dont CapitalAtWork, KBC Securities ou TreeTop. Sans oublier Leleux Associated Brokers, dont le statut coule de source pour une maison qui a fédéré une bonne vingtaine d’agents de change.

Bien qu’opérant sous le contrôle de la Banque nationale, comme les banques commerciales, une société de Bourse en est très différente sur un point important: elle doit déposer les avoirs de ses clients auprès d’une banque dépositaire, titres comme espèces, souligne Olivier Leleux, président de la société éponyme. L’approche de la maison est toutefois particulière car les liquidités sont déposées… à la BCE, les bons d’Etat à la Banque nationale, etc. Pas d’intermédiaires!

Certains courtiers belges, pour faire chic, se parent du titre de “family office”, un statut qui n’existe pas dans notre pays.

Il faut savoir qu’une institution financière peut travailler avec des intermédiaires de divers statuts. Il y a les “apporteurs de clients”, rémunérés au coup par coup et qui restent complètement étrangers à l’institution bénéficiant de leur apport. Très différent est le statut des “agents liés” à une maison et rémunérés de manière récurrente, qui doivent être enregistrés auprès de la FSMA, l’autorité belge de contrôle des services et marchés financiers. Ils sont actuellement 3.500 environ et il s’agit notamment de gérants indépendants d’agences bancaires.

On n’oubliera pas que les intermédiaires les plus nombreux sont les courtiers en assurance, qui doivent être agréés et sont surveillés par la FSMA. Certains, pour faire chic, se parent du titre de family office, un statut qui n’existe pas dans notre pays.

Les indépendants belges…

Assez marginaux en Belgique face aux banques, contrairement à ce qu’on observe au Luxembourg et surtout en Suisse, ceux qu’on appelle les gestionnaires indépendants ont en fait le statut de “société de gestion de portefeuille et de conseil en investissement” (SGPCI) et doivent être agréés par la FSMA. On en compte moins de 20 ayant la nationalité belge et le plus important, Mercier Vanderlinden, a été racheté par la banque néerlandaise Van Lanschot en 2021.

Fonds propres, identité des dirigeants et organisation interne: les exigences sont nombreuses. En ce qui concerne la relation avec le client, on retient qu’elle ne peut recevoir des fonds ni détenir des titres: un gestionnaire indépendant travaille avec plusieurs banques dépositaires, dont elle propose le choix au client, à l’instar d’une société de Bourse.

Etant donné leur envergure limitée, ces SGPCI peuvent sous-traiter diverses tâches. Non seulement l’administration (back office) ou l’informatique, mais également la délicate fonction de compliance officer, la personne qui vérifie la conformité de l’entreprise aux lois et à la réglementation. Avocat ou consultant, cette personne doit être agréée par la FSMA.

… et les luxembourgeois

Une dizaine de sociétés actives en Belgique sont en fait basées au Luxembourg, telles que CFI, Eurinvest, FIL ou Waterloo AM. Il n’est donc pas indifférent de savoir comment les choses se présentent là-bas. C’est la CSSF, soit la Commission de surveillance du secteur financier, qui supervise les PSF, acronyme de “professionnels du secteur financier”. Les PSF comptent trois catégories. Principale concernée ici: les entreprises d’investissement, ce qui comprend notamment les conseillers en investissement et les gérants de fortunes. Disposant du passeport européen, les sociétés d’investissement peuvent dès lors proposer leurs services en Belgique.

Suivant la législation grand-ducale, leur statut permet de proposer des managed accounts, soit des comptes ouverts au nom d’investisseurs particuliers auprès de banques dépositaires, gérés de manière discrétionnaire ou pas. Une entreprise d’investissement peut aussi créer et distribuer des fonds qualifiés de UCITS, ceux disposant automatiquement du passeport européen (et qui représentent 75% des fonds détenus par les investisseurs particuliers) mais elle doit alors faire appel à une Management Company, dite ManCo. Elle seule peut en effet en assurer l’administration.

Le statut de “family office” est reconnu au Luxembourg mais il fait partie des PSF spécialisés.

Voilà pour le cadre luxembourgeois. Et qu’en est-il sur le terrain… belge? Si des maisons comme Fisher et Fuchs disposent chez nous de plusieurs agents liés, la plupart ont fondé une succursale dans notre pays. C’est ce qu’on appelle un “établissement stable”, par opposition à un simple bureau. Contrairement à une filiale, une succursale n’a pas de personnalité juridique distincte, ni de fonds propres: ce sont ceux de la maison mère.

L’administration, la gestion du risque, le compliance, tout cela se fait au Luxembourg. Contrôlée par la CSSF (et auditée par des auditeurs luxembourgeois), une telle succursale n’est plus contrôlée par la FSMA, auprès de laquelle elle doit par contre être agréée et qui exerce une certaine surveillance. A propos du Luxembourg encore, signalons que le statut de family office y est reconnu mais qu’il fait partie des PSF spécialisés qui, contrairement aux entreprises d’investissement, ne disposent pas du passeport européen.

En Belgique ou au Luxembourg?

Si certains professionnels belges du conseil en placement sont allés s’établir au Luxembourg, c’est parce que c’était plus facile, murmure- t-on volontiers. Avec pour illustration la maison Orcadia, fondée notamment par Etienne de Callataÿ, l’ancien économiste de la banque Degroof. La démarche est présentée comme une réaction aux énormes difficultés rencontrées par Geert Noels, son alter ego chez Petercam, quand il a lancé Econopolis.

“Ce n’est probablement pas faux mais il faut préciser certaines choses, nuance un observateur très averti voulant rester anonyme sur ce terrain fort sensible. Je dirais plutôt ‘moins difficile’, pour deux raisons. D’abord parce que les autorités belges semblent se méfier a priori de ces petites structures indépendantes ; on a presque l’impression qu’elles n’en veulent pas. La culture financière luxembourgeoise, comme la Suisse, a au contraire tendance à favoriser les gestionnaires indépendants.

Ensuite, la CSSF n’est pas plus ‘coulante’ que la FSMA dans son contrôle: on est, aujourd’hui en tout cas, aussi rigoureux là-bas qu’ici.” La CSSF s’est du reste dotée ces dernières années d’énormes moyens supplémentaires, ajoute-t-il. Et pour les financer, elle a fait exploser le coût de la licence: c’est deux à trois fois plus cher là-bas qu’ici! Au point que certains pourraient (re)venir en Belgique?

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