Pourquoi l’or monte-t-il?
Le marché aurifère connaît actuellement une situation assez contradictoire : la demande visible baisse et les prix montent. Un paradoxe économique qui s’explique, mais rend les perspectives plus floues.
Dans le sillage de la décision de la Réserve fédérale américaine (Fed) de baisser ses taux directeurs de 50 points de base la semaine dernière, le cours de l’once d’or a bondi à un niveau record de plus de 2.600 dollars.
Depuis le début de l’année, le métal jaune s’est ainsi apprécié de 27%, surclassant la plupart des indices boursiers comme le S&P 500 américain (+20%) ou le Stoxx 600 Europe (+9%). Une tendance haussière à laquelle Marc Daneels, stratégiste en chef chez Beobank, voit trois grandes raisons.
Premièrement, “les perspectives de diminution de taux par la Fed rendent l’or plus attractif”. Cela s’explique par ce que l’on appelle le coût d’opportunité, le métal jaune ne générant aucun intérêt contrairement à une obligation de référence. Quand les taux baissent, ce coût diminue.
Deuxièmement, “l’or joue son rôle de valeur refuge face aux tensions géopolitiques” qui ne cessent de s’amplifier dans le monde.
Troisièmement, “de plus en plus d’épargnants chinois voient l’or comme un investissement alternatif par rapport aux Bourses locales qui connaissent (à nouveau) une année difficile”. Et ce, d’autant plus que le marché immobilier chinois traverse une crise depuis 2021.
Demande en berne
En résumé, l’or est soutenu par l’appétit des investisseurs. Les chiffres du World Gold Council, qui font référence dans le secteur, donnent pourtant une image plus contrastée.
La demande mondiale visible a reculé au cours des trois derniers trimestres pour atteindre 929 tonnes entre avril et juin. Le plus faible chiffre trimestriel depuis le début des données en 2010 en excluant l’année 2020 (en pleine pandémie). Le secteur de la bijouterie apparaît particulièrement fébrile alors que les importations d’or en Chine ont accentué leur déclin à -58% en juin, signe de l’impact de la détérioration de la situation économique sur les consommateurs.
La demande d’investissement est également sous pression, flirtant avec ses planchers. Les ETF, des fonds cotés en Bourse qui ont facilité et popularisé l’investissement en or depuis le début de ce siècle, ont même vendu plus d’or qu’ils n’en ont acheté au cours de chacun des neuf derniers trimestres. La demande de lingots est dans la moyenne inférieure des 15 dernières années.
Excédent d’offre
Les banques centrales des pays émergents, qui ont fait le plein d’or en 2022 et 2023 avec des achats nets totaux de 2.112 tonnes, semblent également moins friandes de métal jaune. La Banque populaire de Chine, le plus gros acheteur d’or en 2023, a même stoppé ses achats d’or entre mai et août selon les données officielles.
Parallèlement, l’offre ne faiblit pas alors que la Russie, deuxième producteur mondial derrière la Chine, parvient à écouler sa production sur des marchés non soumis aux sanctions comme Dubaï ou Istanbul. La seule production minière (929 tonnes) a ainsi suffi à assouvir la demande globale d’or au deuxième trimestre, laissant un excédent de 329 tonnes lié au recyclage. Au total, l’offre dépasse la demande depuis début 2023 pour un excédent cumulé de 883 tonnes.
Dans le même temps, le cours de l’or s’est apprécié de 37%, défiant toute logique économique.
Petits et grands investisseurs
Une première explication est le succès des marchés à terme (futures et options) sur l’or avec, entre autres, des volumes records échangés sur le Comex américain. Nombre de petits investisseurs spéculent notamment sur le métal jaune comme en témoigne le succès des Micro Gold Futures, des contrats de taille réduite.
Du côté des professionnels, l’or est la troisième position la plus populaire derrière les Sept Fantastiques et les paris baissiers sur les actions chinoises, selon la dernière enquête mensuelle de Bank of America auprès des gestionnaires de fonds.
Marché de gré à gré
Toutefois, la principale raison de la poursuite de la hausse du prix de l’or est la forte demande sur le marché de gré à gré (over the counter ou OTC). Un marché opaque qui n’est pas suivi dans les principales statistiques de demande du World Gold Council. Dans les données complètes, le marché OTC est regroupé avec les variations de stocks, et les chiffres ont de quoi donner le tournis. En 2023, les achats nets ont quasiment été multipliés par 9, à 450 tonnes. Et sur les six premiers mois de cette année, le compteur affiche déjà 397 tonnes.
Qui achète aussi massivement de l’or ? Traditionnellement, le marché OTC attire surtout les personnes (très) fortunées, les fonds souverains et les hedge funds. Les premiers semblent être particulièrement avides de métal jaune selon les analystes de JPMorgan qui écrivaient, il y a quelques mois, que la confidentialité et la tangibilité sont devenues des considérations plus importantes pour les investisseurs fortunés et les family offices.
“Les perspectives à long terme pour l’or restent solides, car les inquiétudes concernant les finances publiques hors de contrôle augmentent.” – Marc Daneels (Beobank)
Guerre en Ukraine
Un engouement qui transparaît aussi dans le succès des solutions de stockage privées. Cet été, Silver Bullion Pte a ainsi ouvert à Singapour une chambre forte, baptisée The Reserve, pouvant contenir 10.000 tonnes d’argent et 500 tonnes d’or. Gregor Gregersen, fondateur de Silver Bullion Pte, souligne qu’il y a une forte demande de solutions de stockage d’or en dehors du système bancaire occidental, notamment pour des questions d’anonymat.
Les milliardaires russes sont sans doute les plus motivés actuellement à vouloir transférer leurs richesses vers un actif comme l’or physique dans un lieu insaisissable pour les pays occidentaux – et le Kremlin. Le marché OTC a d’ailleurs connu un développement particulièrement marqué depuis le début de la guerre en Ukraine et la série de sanctions à l’encontre de la Russie. Aux États-Unis, un ressortissant russe, Feliks Medvedev, a par exemple été condamné pour le blanchiment de capitaux destinés à soutenir l’invasion russe en Ukraine, notamment au travers de l’acquisition de 65 millions de dollars d’or conservé dans une chambre forte à Singapour.
Perspectives floues
Dans ce contexte, les perspectives d’évolution de la demande globale d’or apparaissent assez floues. Outre l’impact de la guerre en Ukraine, les importants achats des personnes fortunées reflètent avant tout une volonté de diversification selon le World Gold Council. “Ce qui soulève la question de la pérennité de cette demande, étant donné qu’une fois que ces investisseurs auront atteint le niveau où ils estiment avoir suffisamment d’or dans leur portefeuille, ils réduiront probablement leurs achats”, écrit Clyde Russell, éditorialiste pour l’agence Reuters.
Sur les marchés à terme, l’activité des investisseurs particuliers est historiquement fortement liée à la tendance des cours, jouant ainsi un rôle d’amplificateur. De même, la stratégie des gestionnaires de fonds dépend avant tout des tendances sur les marchés. Une ré-accélération de l’économie pourrait par exemple les inciter à privilégier les actions cycliques à l’or.
Inflation et sanctions
Marc Daneels épingle toutefois des raisons de rester optimiste pour le métal jaune. “Les perspectives à long terme pour l’or restent solides, car les inquiétudes concernant les finances publiques hors de contrôle augmentent et les investisseurs tiennent de plus en plus compte de politiques inflationnistes menées par les banques centrales. L’or peut offrir une couverture attractive contre ces risques.”
Par ailleurs, “dans un contexte de tensions géopolitiques, nous pouvons nous attendre à ce que les banques centrales (des pays émergents, ndlr) soutiennent la demande pour l’or dans les prochaines années, afin de mieux diversifier leurs réserves de change. Ces réserves en or ne risquent pas d’être gelées en cas de sanctions économiques ou même de guerre” contrairement aux réserves en dollars américains.
Or physique ou papier
De la même façon, la question d’investir ou non dans l’or dépend avant tout de votre besoin d’une réserve de valeur indépendante du système monétaire. Rappelons que fondamentalement, c’est un actif qui ne rapporte rien et qui coûte même. Si vous achetez de l’or physique, vous devrez payer une prime par rapport au cours officiel et prévoir un lieu sûr pour le conserver, Gold & Forex International proposant notamment un service de dépôt GFI Safe pour un coût annuel de 0,45% à 0,60% (HTVA) de la valeur. À domicile, un coffre-fort adapté et une assurance complémentaire sont indispensables.
Comparativement, l’option des ETF sur l’or physique (impliquant que l’émetteur du produit dispose d’or en coffre à concurrence des parts d’ETF émises) demeure bien moins chère avec des frais de l’ordre de 0,12% par an et l’absence de prime. Mais vous n’êtes alors pas complètement hors système financier.
La dernière option, à savoir celle des sociétés minières, est encore plus éloignée de la notion de réserve de valeur. Marc Daneels souligne également que “bien qu’il existe un rapport entre le prix de l’or et les cours des mines aurifères, d’autres facteurs ont un impact. Par exemple en cas d’inflation, les coûts opérationnels augmentent, ce qui érode les profits. Par ailleurs, il peut être plus difficile pour ces sociétés de sécuriser des investissements de capital en raison du focus sur les facteurs ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance). C’est pourquoi investir dans des mines aurifères nécessite une gestion active”, par exemple par le biais d’un fonds.
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