Derrière l’intouchable Nvidia, première entreprise à avoir franchi le cap symbolique des 5.000 milliards de dollars de capitalisation, un autre secteur voit lui aussi l’avenir en rose grâce à l’essor de l’intelligence artificielle : les équipementiers électriques.
Longtemps freiné par une demande atone – la consommation d’électricité ayant stagné pendant 15 ans dans les pays de l’OCDE –, le secteur des équipements électriques connaît un véritable renouveau. Les équipementiers ont commencé à revoir l’avenir avec optimisme il y a quelques années grâce à la transition énergétique. Les réseaux électriques doivent en effet être largement modernisés et renforcés pour accompagner l’électrification des usages et compenser l’intermittence des énergies renouvelables (solaire, éolien, etc.).
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Cette transformation nécessite de vastes investissements. Le groupe belge Elia a ainsi annoncé un plan quinquennal de 30 milliards d’euros pour moderniser ses réseaux de transmission (haute tension) en Belgique et en Allemagne.
Son concurrent allemand E.On prévoit pour sa part un programme d’investissement quinquennal de 42 milliards d’euros, tandis que National Grid, actif au Royaume-Uni et dans le nord-est des États-Unis, a dévoilé un plan de 60 milliards de livres (environ 68 milliards d’euros) sur la même période.
Malgré la politique anti-éolien et solaire prônée par l’administration Trump, les investissements dans le réseau électrique américain ne se sont pas taris, bien au contraire. Le développement fulgurant de l’intelligence artificielle (IA) prend en effet le relais.
Selon une étude du Berkeley Lab, la consommation d’électricité des centres de données aux États-Unis pourrait atteindre 132 GW d’ici 2028, soit 12% de la production totale, contre 4% en 2023 et à peine 2% en 2018.
Modernisation des réseaux
Cette explosion de la demande suppose également une modernisation accélérée des réseaux, indispensables pour alimenter ces véritables raffineries numériques qui transforment l’électricité en IA. D’autant plus que les infrastructures sont déjà saturées. La durée moyenne des pannes de courant subies par les ménages américains a presque doublé en deux ans, atteignant 10,6 heures en 2024, et même près de 30 heures au Texas et en Floride.
Selon GlobalData, les dépenses mondiales dans les réseaux de transmission à haute tension devraient croître de plus de 9% par an d’ici 2030, pour atteindre près de 574 milliards de dollars, soit 67% de plus qu’en 2024 et plus du double du niveau de 2022.
Les besoins pour les réseaux de distribution (basse et moyenne tensions) sont également colossaux. La Commission européenne estime par exemple les investissements nécessaires entre 375 et 425 milliards d’euros dans l’Union européenne.
Du côté de la production d’électricité, le mouvement est tout aussi soutenu. Selon Global Energy Monitor, 114 gigawatts (GW) de centrales au gaz étaient en construction ou en phase de préconstruction à la mi-2025 aux États-Unis, soit l’équivalent de près de 200 centrales modernes.
En Chine, le secteur prévoit la construction de 70 GW supplémentaires d’ici 2030, ce qui ferait grimper la capacité totale de près de 50%.
Quant à l’Europe, plusieurs pays comptent sur le gaz pour compenser l’intermittence des énergies renouvelables, à commencer par l’Allemagne, qui a planifié la mise en service de 40 centrales au gaz, représentant une puissance cumulée de 20 GW à l’horizon 2030.
La Commission européenne estime les investissements nécessaires dans les réseaux de distribution entre 375 et 425 milliards d’euros.
Envolée boursière
En résumé, l’avenir s’annonce radieux pour les équipementiers électriques qui ont déjà le vent en poupe depuis quelques années en Bourse. La seule question qui subsiste est de savoir si les marchés n’ont pas déjà intégré une bonne part des perspectives favorables.
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Les performances récentes sont en effet spectaculaires. En Europe, Siemens Energy s’est imposé comme la valeur la plus rentable des deux dernières années au sein du Stoxx 600, le titre ayant dodécuplé. Une progression fulgurante qui le place même devant Rheinmetall, le groupe de défense chouchou des marchés.
Outre-Atlantique, GE Vernova est devenue en quelques mois l’une des nouvelles stars de Wall Street. Considérée comme le maillon faible du conglomérat General Electric avant sa scission début 2024, l’héritière du groupe fondé par Thomas Edison en 1889 a largement supplanté ses anciennes sœurs (GE Aerospace et GE Healthcare).

Siemens Energy, la référence
La performance exceptionnelle de Siemens Energy tient aussi à l’ampleur des difficultés qu’il a dû surmonter avant son spectaculaire rebond. À l’automne 2023, le groupe avait été contraint de solliciter le soutien de l’État allemand en raison des lourdes pertes de sa filiale éolienne Siemens Gamesa, confrontée à des composants défectueux et à un environnement de marché dégradé. L’entreprise avait alors obtenu des garanties publiques dans le cadre d’un plan de financement global de 15 milliards d’euros.
Deux ans plus tard, Siemens Gamesa ne se porte pas beaucoup mieux avec une perte d’un milliard d’euros sur les neuf premiers mois de son exercice. Mais les perspectives s’éclaircissent, portées par un net redressement des commandes, laissant espérer un retour à une meilleure rentabilité dès l’an prochain.
Les véritables moteurs du groupe sont toutefois ses divisions Gas Services (centrales au gaz) et Grid Technologies (équipements de réseaux). Leur chiffre d’affaires a progressé respectivement de 36% et 90% en trois ans, et les carnets de commandes continuent de se remplir. Sur les neuf premiers mois de l’exercice 2025, le ratio prises de commandes/revenus atteignait ainsi 2 pour Gas Services et 1,8 pour Grid Technologies, des niveaux synonymes de forte visibilité sur la croissance future.

L’année 2025 marque également un tournant financier. Siemens Energy a remboursé l’accord de garantie impliquant l’État allemand, levant ainsi les restrictions sur le paiement des dividendes. Le groupe prévoit désormais de distribuer 40% à 60% de ses bénéfices.
Pour cette année, cela représenterait un rendement inférieur à 1%, mais les analystes anticipent un quasi-doublement des profits sur l’exercice 2026, ce qui rendrait le dividende plus attractif et la valorisation du titre moins tendue (ratio cours/bénéfice estimé de 34 pour 2026 et 26 pour 2027). Ce qui explique que la majorité des analystes restent à l’achat.
Acteurs américains surcotés
Les multiples de valorisation de Siemens Energy restent par ailleurs moins tendus que ceux de leurs homologues américains. GE Vernova, dont le profil est assez proche de celui de Siemens Energy – incluant notamment une filiale éolienne déficitaire –, se traite à 75 fois le bénéfice attendu pour 2025 et 45 fois pour 2026. L’entreprise a, en outre, déçu au troisième trimestre avec un bénéfice par action de 1,64 dollar contre un consensus de 1,86 dollar, suggérant que les attentes du marché pourraient avoir été légèrement trop élevées.
Le titre, déjà corrigé de 15% depuis ses sommets estivaux, pourrait ainsi continuer à sous-performer légèrement. Le groupe américain Eaton, dont le siège est à Dublin, est également régulièrement cité pour miser sur les équipementiers électriques. Son portefeuille est toutefois plus diversifié, incluant notamment des bornes de recharge pour véhicules électriques et des systèmes électriques destinés à l’aéronautique. Sa valorisation apparaît plus raisonnable – 28 fois le bénéfice attendu pour 2026 – mais cette diversification limite sa croissance.
Keiretsu japonais
Hitachi s’est hissé au sommet de la hiérarchie mondiale des équipementiers de réseaux électriques grâce au rachat de la division Power Grids d’ABB en 2020. Le groupe, qui fait partie d’un keiretsu – vaste réseau d’entreprises interconnectées –, est tentaculaire : il est actif non seulement dans les infrastructures IT, mais aussi dans la climatisation, les ascenseurs ou encore les équipements ferroviaires. Malgré cette diversification, Hitachi Energy a connu une forte croissance et s’est imposée au premier semestre de son exercice clos le 30 septembre comme la première division du groupe en termes de revenus externes, avec une progression de 19%. La marge opérationnelle a elle aussi fortement augmenté, passant de 6,1% en 2021 à 11,1% en 2024.
Combiné à une valorisation raisonnable – 27 fois le bénéfice attendu pour le prochain exercice – et à une tendance favorable des résultats des derniers trimestres, Hitachi Energy apparaît comme un choix potentiellement attractif. À noter que, outre la Bourse de Tokyo, un certificat Hitachi est également coté à Francfort, bien que sa liquidité reste très limitée.
Spécialistes des câbles
Deux autres opportunités méritent également d’être suivies de près : Nexans et Prysmian. Ces deux groupes européens dominent le marché mondial des câbles. Chez Nexans, les câbles destinés aux réseaux électriques représentent désormais 39% du chiffre d’affaires, contre 29% en 2022. Le reste provient des activités liées aux installations électriques résidentielles et industrielles, ainsi que des câbles de télécommunication.

Le titre reste toutefois valorisé comme un groupe industriel classique, à moins de 18 fois le bénéfice (récurrent) attendu pour l’exercice en cours. Cette décote pourrait offrir un potentiel de revalorisation si la croissance s’accélère, notamment sous l’effet du dynamisme des réseaux de transmission (croissance de 50% en 2024 et encore 25% sur les neuf premiers mois de 2025). Le groupe français affiche en outre une situation financière particulièrement saine avec une dette nette quasiment nulle à fin juin.
Le groupe italien Prysmian présente un profil comparable, bien que légèrement moins attractif. La part des câbles de transmission et de distribution dans son chiffre d’affaires est un peu plus faible (36%), tandis que sa valorisation est plus exigeante, à environ 22 fois le bénéfice prévu pour 2025, et ce, malgré un endettement supérieur à celui de son concurrent français.