Les zombies d’Euronext Paris

Avant la pandémie, Orpea était incontournable pour tout investisseur voulant miser sur la " silver economy ". © REUTERS

Loin du succès de LVMH, une série de grands groupes français autrefois prometteurs sont en crise. De Casino à Alstom en passant par Orpea, les maux sont souvent les mêmes : rentabilité trop faible et crise de liquidités aggravée par la remontée des taux.

Côté pile, Euronext Paris est devenue la première Bourse européenne et le CAC 40 flirte avec ses records grâce à un gain de 37% depuis fin 2020, quasiment deux fois mieux que l’indice paneuropéen Stoxx 600 (+19,5%). Côté face, plusieurs géants hexagonaux s’enfoncent dans les limbes des marchés financiers. Citons notamment Orpea, Casino, Atos, Worldline ou Altsom. Des groupes actifs dans des secteurs hétéroclites ayant en commun qu’ils étaient considérés comme prometteurs. Ces bonnes perspectives sont-elles à ranger aux oubliettes ou est-ce le moment de profiter de la chute de ces actions ?

Orpea, ex-star de la “silver economy”

Avant la pandémie, Orpea et Clariane étaient considérés comme très prometteurs et étaient des incontournables pour tout investisseur voulant miser sur la silver economy (économie des seniors). Spécialisés dans la gestion de maisons de repos, ils avaient entrepris de consolider le secteur au niveau européen. Orpea avait ainsi vu son chiffre d’affaires passer de 237 millions en 2004 à 3,74 milliards en 2019, soit multiplié par 15 en 15 ans. La rentabilité était au rendez-vous avec un bénéfice net de 246 millions. En 2020, premier couac avec les surcoûts engendrés par la pandémie, mais ce n’était rien par rapport à la sortie début 2022 du livre Les Fossoyeurs dénonçant manquements et malversations. Yves Le Masne, directeur général historique, a été démis de ses fonctions et fait l’objet d’une enquête par la justice. Mais le calvaire d’Orpea n’était pas fini. Acculé financièrement, le groupe a vu le fardeau de ses dettes devenir insupportable avec la hausse des taux. Il a ainsi lancé une double augmentation de capital extrêmement dilutive : création de près de 130 milliards de nouveaux titres. Aujourd’hui, Orpea est contrôlé par un groupement emmené par la CDC, un organisme public français. Ce qui limite les perspectives de redressement selon Yi Zhong, analyste chez AlphaValue. “Un ratio beaucoup plus élevé de personnel par rapport aux personnes âgées dépendantes est nécessaire pour assurer la qualité des services, ce qui modifie complètement l’économie du secteur et l’équilibre concurrentiel.” A noter que Clariane (ex-Korian) a été un peu moins affectée par la crise avec une chute de “seulement” 92% de son action en trois ans, mais les perspectives sont également dégradées par l’environnement concurrentiel et la nécessité de réduire son niveau d’endettement.

Casino surendetté

En 2015, Muddy Waters sort un rapport au vitriol sur Casino Guichard, soulignant un endettement problématique et masqué via son holding de contrôle Rallye. Le titre plonge, mais le distributeur dément et l’AMF, le gendarme boursier français, ouvre une enquête sur… Muddy Waters. Elle se contentera finalement d’un simple rappel à l’ordre quatre ans plus tard alors que le pot aux roses dévoilé par le fonds activiste se fissure. Rallye est placé en procédure de sauvegarde judiciaire. A l’époque, Casino parvenait encore à se maintenir, mais l’engrenage infernal s’est ensuite emballé. Vente des actifs les plus valorisables, comme son enseigne brésilienne Assaí Atacadista, dégradation des résultats, inquiétudes sur l’endettement. En octobre, Casino Guichard est placé à son tour en procédure de sauvegarde alors que sa dette nette était de plus de 6 milliards fin juin. Jean-Charles Naouri, toujours PDG, ne parvient plus à convaincre et devra prochainement lâcher les rênes. Daniel Kretinsky et ses partenaires ont en effet un accord pour prendre le contrôle du distributeur en échange d’une injection de 1,2 milliard. Un chiffre qui ne rassure guère les marchés alors que Casino Guichard devrait avoir « brûlé » plus de deux milliards de cash cette année. Afin de compenser, le distributeur a de nouveau annoncé la vente de 313 hyper- et supermarchés la semaine dernière. Pour l’investisseur lambda, la bataille semble toutefois d’ores et déjà perdue puisque les actionnaires existants ne détiendront plus que 0,3% du capital après renflouement.

Le 25 octobre dernier, le titre Atos a perdu 59% en une seule séance, pire chute de l’histoire pour une valeur du Cac40.

Atos navigue à vue

Leader français et européen des services numériques comptant 110.000 salariés dans le monde, Atos est en chute libre depuis le départ de son ancien patron Thierry Breton pour la Commission européenne en 2019. Toutefois, les origines de cette crise sont plus lointaines, le groupe n’ayant pas réussi à négocier le virage du cloud. Il s’est ainsi retrouvé pleinement exposé au déclin de son activité historique d’infogérance (gestion d’infrastructures informatiques). Parallèlement, Atos est paralysé par une absence de vision stratégique. Elia Girard a succédé à Thierry Breton avant de démissionner en 2021 à la suite de l’échec de la tentative de reprise de DXC Technology. Il a été remplacé par Rodolphe Belmer qui est resté à peine neuf mois, pour divergences de vues stratégiques avec le CA. En octobre, Yves Bernaert a repris les rênes d’un groupe qui a le couteau sous la gorge avec une consommation de cash de près d’un milliard au premier semestre. Stratégiquement, Atos a réparti ses activités entre deux pôles aux profils radicalement différents : Tech Foundations centré sur l’infogérance et Eviden (cybersécurité, cloud, IA, supercalculateurs). Au premier semestre, Eviden a affiché une croissance de 7% avec une marge opérationnelle de 5,3% contre respectivement -0,1% et 2,5% pour Tech Foundations. Comme chez Casino Guichard, Daniel Kretinsky s’est proposé en sauveur. Le milliardaire tchèque a fait une offre de reprise pour Tech Foundations. Airbus est pour sa part intéressé par Eviden. Par ailleurs, la menace d’une importante augmentation de capital continue de planer sur le titre. En résumé, le titre est très bon marché fondamentalement et Atos a certainement les moyens de redresser la barre. Mais pas tant que le groupe continuera à naviguer à vue sans cap stratégique.

Worldline, pire chute de l’histoire

Ancienne filiale d’Atos, Worldline était promis à un avenir radieux comme l’illustre la multiplication par 5 du cours entre l’introduction en Bourse de 2014 et l’été 2021. Le spécialiste français du traitement des paiements électroniques a profité du boom du commerce en ligne, de son internationalisation et de la faillite de son concurrent allemand Wirecard (pour fraude comptable). La mécanique s’est toutefois grippée il y a deux ans. Le groupe met en vente son activité terminaux (TSS) acquise un an plus tôt en 2020 avec le rachat d’Ingenico. La cession est annoncée début 2022 avec, à la clé, une importante dépréciation faisant chuter le résultat net de 2021 dans le rouge. Ensuite, les résultats continuent de décevoir, l’e-commerce ralentit et le groupe fait face à des coûts de sécurisation et de conformité accrus. L’inquiétude des marchés atteint son paroxysme le 25 octobre après un profit warning. Le titre perd 59% en une seule séance, pire chute de l’histoire pour une valeur du CAC 40. Aujourd’hui, Worldline est une action bon marché (10 fois les bénéfices réalisés), relativement saine financièrement et active dans un secteur de croissance. Bref, elle a normalement tout pour plaire, mais il demeure un doute. Le groupe français explique son avertissement d’octobre par un phénomène conjoncturel : les consommateurs allemands réduisent leurs achats discrétionnaires (horeca, loisirs, etc.), plus rentables pour Worldline, au profit des biens de consommation de base (supermarchés…). Mais son concurrent italien Nexi n’a pas connu les mêmes déboires outre-Rhin. Niklas Kammer de Morningstar pointe notamment la complexité (organisationnelle et technologique) de Worldline après 10 ans d’acquisitions, contrairement à Adyen qui s’est développé en interne. Dans un secteur en consolidation, la faible valorisation de Worldline pourrait aiguiser les appétits, notamment des firmes de private equity comme pour Nexi, mais les autorités françaises freinent des quatre fers.

Pour espérer un redressement en Bourse, Alstom devra tout d’abord éclaircir ses plans en matière d’augmentation de capital. © REUTERS

Alstom, coûteuse croissance

Depuis la vente de sa branche énergie en 2014, Alstom s’est recentré sur le ferroviaire. Un secteur qui profite de l’urbanisation et de la transition durable comme le confirme le carnet de commandes record du groupe (90,1 milliards fin septembre). Mais la concrétisation de ces commandes lui coûte cher en termes de trésorerie. Son cash-flow libre a chuté à -1,1 milliard au premier semestre de son exercice 2023/2024, conséquence d’une faible rentabilité structurelle et de lourds investissements dans les capacités de production et les nouvelles technologies (hydrogène, piles à combustible, batteries…). Le deuxième constructeur ferroviaire mondial a annoncé mi-novembre un vaste plan de restructuration prévoyant notamment la suppression de 1.500 emplois et une possible augmentation de capital pour réduire ses dettes. Mais le plus dur commence pour Alstom. Les marchés doutent comme l’illustre l’abaissement de recommandation des analystes de JP Morgan vendredi dernier : “bien que nous apprécions encore la visibilité des bénéfices liés au carnet de commandes, le débat tourne désormais autour des liquidités et la qualité des bénéfices, des inquiétudes qui resteront saillantes jusqu’à ce que le cycle d’exploitation montre une amélioration durable”. Pour espérer un redressement en Bourse, Alstom devra tout d’abord éclaircir ses plans en matière d’augmentation de capital.

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