Les décideurs politiques occidentaux sont aujourd’hui pris dans une trinité géopolitique impossible

Bourse des métaux de Londres, image d'illustration.Le " Ring " est truffé de micros et de caméras en cas de différend ou de contestation sur une transaction. © BELGAIMAGE

L’Occident fait face à trois problèmes majeurs qu’il tente d’aborder de front, le plaçant dans une situation complexe : une « trinité géopolitique impossible », selon Marko Papic, stratégiste géopolitique en chef de BCA Research.

Ce trilemme consiste à devoir prioriser simultanément la Chine, la Russie et le changement climatique. « L’Occident — au sens large — cherche à mener trois politiques incompatibles. Il redéfinit les chaînes d’approvisionnement mondiales (parce que “la Chine est le mal”), revoit le cycle énergétique global (car “le changement climatique nous tuera tous”) et sape la stabilité politique d’un grand producteur de matières premières (parce que “la Russie est le mal”) », explique Marko Papic dans une note.

Il observe l’impact de cette situation sur l’économie et les marchés. Les décideurs ne réalisent pas encore pleinement ce trilemme, car les prix n’ont pas encore suffisamment augmenté (ce qui devrait toutefois arriver dans ce contexte). Mais une fois que les prix s’envolent et qu’ils en prennent conscience, ils pourraient abandonner l’un des objectifs ou ajuster les trois, ajoute-t-il.

Hausse des prix des matières premières

En résumé, la conséquence de cette bataille sur trois fronts sera une augmentation des coûts des matières premières et de l’énergie, entraînant une hausse générale des prix.

Concernant la Chine, les États-Unis (et l’Europe, mais dans une moindre mesure) souhaitent réduire leur dépendance à ce pays pour la production de divers biens. Ils cherchent à rapatrier leurs entreprises ou à les délocaliser vers d’autres pays. En réponse, la Chine délocalisera également ses usines pour contourner les taxes d’importation élevées. Ces transformations exigeront une grande quantité de matières premières, notamment des métaux et de l’énergie.

La transition énergétique et la lutte contre le changement climatique représentent l’effort le plus coûteux de l’histoire de l’humanité. Cela pourrait nécessiter 5 000 milliards de dollars par an, uniquement pour rester sur la trajectoire de 1,5°C d’ici à 2050. La transition (véhicules électriques, éoliennes, panneaux solaires, etc.) est elle aussi extrêmement gourmande en matières premières, notamment en métaux rares et critiques (comme le lithium). De plus, il faudra financer le développement de toute la filière : mines, chemins de fer reliant les mines aux ports, extension des infrastructures portuaires, nouveaux bateaux… tout cela sans créer de nouvelles dépendances à la Chine, déjà leader mondial dans la production et le raffinage de nombreux métaux essentiels.

Papic aborde également la question des voitures électriques, qu’il considère comme peu efficaces dans la transition énergétique : « L’atténuation du changement climatique a été adoptée pour des raisons populistes. La fabrication de véhicules — et les emplois manufacturiers en général — est devenue le symbole de l’engagement des politiciens envers les électeurs ouvriers. Ainsi, les dirigeants occidentaux se concentrent sur les moyens les plus inefficaces, les plus coûteux et les plus risqués géopolitiquement pour réduire les émissions de carbone. Cependant, il faut comprendre que simplement investir des milliards dans la R&D et les universités pour que des scientifiques puissent développer de nouveaux processus et matériaux ne serait pas bien perçu dans le cadre d’un débat présidentiel en 2024. » Ces scientifiques pourraient pourtant découvrir des solutions plus globales et moins onéreuses.

En Russie, c’est la stabilité intérieure qui est en péril. L’économie, menacée d’effondrement, est fragilisée par des événements comme l’insurrection menée par le groupe Wagner. La population pourrait réaliser que l’effort de guerre massif, en vies humaines et en ressources financières, ne rapporte pas de victoire significative, augmentant ainsi les risques. Pour l’Occident, qui a rompu les liens avec Moscou et l’a mise au ban après l’invasion injustifiée de l’Ukraine, cette menace de déstabilisation intérieure comporte des risques, surtout dans un contexte où l’Occident cherche à réduire son exposition à la Chine. En effet, la Russie est le premier producteur mondial de nickel, un métal essentiel à la fabrication des voitures électriques. Si le pays venait à imploser et que la production s’arrêtait brusquement, cela provoquerait un choc sur le marché et une flambée des prix.

Anticipations inflationnistes

Compte tenu de tous ces éléments, BCA s’attend à des « surprises inflationnistes à la hausse » pour le reste de la décennie, en raison de l’augmentation des prix des matières premières.

Comment investir ?

Ce trilemme semble insoluble à court terme. En attendant une réaction des décideurs politiques, les investisseurs peuvent se prémunir en se tournant vers des actifs « réels », explique Papic, tels que les métaux et matières premières. Ces actifs sont actuellement sous-évalués par rapport aux actifs financiers, après une décennie de désinflation qui a surtout favorisé les valeurs technologiques. Le climat économique actuel, marqué par un ralentissement, pèse aussi sur les prix des matières premières. Mais leur ascension, ainsi que l’émergence d’un nouveau supercycle comme dans les années 2000, devraient bientôt débuter.

« Nous pensons être entrés dans un nouveau paradigme dès 2020. Toutefois, pour des raisons épistémiques, nous sommes encore dans une période transitoire. Les investisseurs, qu’il s’agisse de particuliers ou de gestionnaires sophistiqués, continuent de parier sur la technologie et le dollar. Il faudra un renversement majeur du marché — comme l’effondrement des prix du pétrole en 2014 — pour les sortir de cette dissonance cognitive. Nous pensons que l’éclatement de la bulle de l’IA — déjà en cours — jouera ce rôle. Par ailleurs, nous ne sommes plus optimistes sur le dollar et nous prévoyons que celui-ci entre dans un marché baissier », écrit Papic.

Cependant, des risques à plus long terme persistent. Si la Chine et l’Occident continuent de construire davantage d’usines, une surcapacité industrielle pourrait apparaître, entraînant une déflation. « L’effondrement des prix des biens industriels dans les années 2030 pourrait raviver les pressions protectionnistes. Si cette désinflation importante est accompagnée d’une révolution de l’IA qui réduit les coûts de main-d’œuvre, le monde pourrait être confronté à une grande volatilité politique et géopolitique. En d’autres termes, l’inefficacité de la réindustrialisation des années 2020 pourrait conduire à des calamités politiques et géopolitiques dans les années 2030 », conclut l’expert.

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