Le luxe enfin abordable

Pour l’investisseur patient, le choix numéro un est sans aucun doute LVMH. © Hans Lucas via AFP (Photo by Martin Bertrand / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP)

Plombé par la prudence des consommateurs chinois, le secteur du luxe est à la traîne. Ce qui peut offrir des opportunités à l’investisseur patient.

Star des marchés durant la période de déconfinement en Europe et en Amérique du Nord, le secteur du luxe cale depuis le début de l’année dernière. La levée des mesures sanitaires en Chine n’a, en effet, pas généré le sursaut de dépenses observé dans les pays occidentaux. L’indice de confiance des consommateurs y a même rapidement rechuté vers ses planchers historiques. Très loin du boost de croissance attendu, la Chine explique ainsi le recul quasiment historique des ventes de LVMH au cours des neuf premiers mois de 2024.

Au cours des 20 dernières années, son chiffre d’affaires n’a en effet baissé qu’à deux reprises : en 2020 durant le confinement et en 2009 lors de la crise financière mondiale. Preuve de sa résilience, ses ventes avaient alors reculé de seulement 0,8% et même progressé sur l’ensemble de la Grande récession (décembre 2007 à juin 2009).

Sous-performance sur 10 ans

En Bourse, l’indice sectoriel S&P Global Luxury affiche une baisse de 8% depuis le début de l’année contre un bond de 16% pour l’indice des actions mondiales S&P Global BMI. Combiné au rebond poussif de 2023, le secteur du luxe affiche aujourd’hui une nette sous-performance sur 10 ans.

En tenant compte du rendement total (incluant le dividende), le manque à gagner cumulé atteint 25% sur une décennie. Ce qui est considérable pour un secteur qui combine de nombreuses qualités : croissance structurelle, marges élevées, endettement limité.

En termes de valorisation, le S&P Global Luxury cotait fin octobre 21 fois les bénéfices des 12 derniers mois (couvrant généralement de juillet 2023 à juin 2024) contre un multiple de près de 25 pour le S&P Global BMI, soit une décote de 15%.

Prévisions prudentes

Cette décote fond toutefois à 1% sur la base des prévisions de résultats pour les 12 mois suivants. Signe que les marchés et analystes s’attendent à un second semestre difficile, comme en témoigne déjà la chute de 4,5% du chiffre d’affaires du troisième trimestre de LVMH, qui constitue un véritable baromètre du secteur.

D’une part, le groupe construit par Bernard Arnault est de loin le leader mondial du luxe avec un chiffre d’affaires annuel de plus de 80 milliards d’euros, soit quatre fois plus que Richemont et six fois plus que Hermès, ses plus proches poursuivants. D’autre part, les chiffres de vente ne reflètent pas seulement la vigueur de ses marques, mais aussi de l’ensemble du secteur au travers de son pôle distribution spécialisée qui rassemble des enseignes comme DFS, leader mondial du duty free (aéroports…), ou Sephora, qui compte 3.000 boutiques de cosmétiques dans le monde.

Mégaboutiques vides

Le principal boulet de LVMH est évidemment la Chine, ses ventes dans la zone Asie hors Japon ayant chuté de 16% au troisième trimestre (et de 12% sur l’ensemble des neuf premiers mois de l’année). Selon le consultant Digital Luxury Group, les ventes de produits de luxe devraient globalement plonger de 15% en Chine sur l’ensemble de 2024.

Certains centres commerciaux se vident même littéralement comme le relatait récemment l’agence Bloomberg. “Dans le quartier de Tsim Sha Tsui, à Hong Kong, le shopping center Heritage attirait autrefois des files de touristes de Chine continentale désireux de faire du shopping dans les boutiques de marque telles que Tiffany, Cartier et Chopard. Aujourd’hui, il n’attire plus ni les foules ni les marques. Seules trois des plus de 30 unités du centre commercial appartenant au milliardaire Li Ka-shing sont aujourd’hui occupées.”

À Pékin, Bernard Arnault avait visité en juin 2023 un centre commercial de luxe devant notamment accueillir des mégaboutiques Louis Vuitton, Christian Dior ou Tiffany. Alors que l’ouverture était annoncée pour début 2024, le bâtiment est toujours barricadé de panneaux géants aux couleurs de ces marques. L’ouverture est maintenant prévue pour 2025… au mieux.

Dépendance à la Chine

Les groupes de luxe revoient en effet leurs investissements dans l’ex-Empire du Milieu alors que la forte croissance des deux premières décennies de ce siècle semble bel et bien révolue. Contrairement au retournement de 2014-2015, qui était avant tout conjoncturel et lié à la politique de lutte contre la corruption (et aux cadeaux de luxe) menée par Xi Jinping, la chute actuelle semble plus structurelle.
Elle résulte notamment d’un net ralentissement de l’économie, conséquence de l’évolution démographique et du début du déclin de la population active, et du développement de marques chinoises. Ces phénomènes structurels sont actuellement aggravés par une crise immobilière à l’œuvre depuis trois ans et le climat de guerre commerciale.

Cela ne constitue toutefois pas forcément une catastrophe pour les groupes de luxe, déjà moins dépendants à la Chine. Sur les neuf premiers mois de l’année, l’ensemble de la zone Asie hors Japon a ainsi généré 29% des ventes de LVMH contre un pic de 36% au cours de la même période en 2021.

Hermès reste également un premier choix. Ses sacs à main iconiques ne sont pas étrangers à la clé de son succès. © Getty Images (Photo by Edward Berthelot/Getty Images)

Croissance dans le reste du monde

En outre, les autres régions continuent d’afficher une légère croissance cette année, malgré une base de comparaison très élevée (bond des ventes post-covid) et la désaffection des touristes chinois, toujours bien moins nombreux qu’en 2019. Ces derniers étaient d’importants acheteurs de produits de luxe en Europe avant la pandémie, alors que les prix en Chine étaient 50% plus élevés qu’en France et en Italie selon une étude de Deloitte publiée en 2017.

Et les perspectives restent favorables. Bain & Company table ainsi sur une croissance du marché des biens de luxe de 5 à 7% par an jusqu’en 2030, dans le sillage des 25 dernières années (6%). Outre la Chine, où la situation devrait progressivement se normaliser, d’autres moteurs alimentent cette croissance comme l’Inde, un marché encore limité mais très dynamique (multiplié par 3,5 entre 2023 et 2030), ou les jeunes générations.

Les perspectives restent favorables. Bain & Company table sur une croissance du marché des biens de luxe de 5 à 7% par an jusqu’en 2030.

Selon une étude réalisée en 2023 par Bain & Company, les Américains de la génération Z (nés entre 1996 et 2010) commencent à acheter des produits de luxe dès l’âge de 15 ans, contre 18 à 20 ans pour les milléniaux, qui étaient eux-mêmes plus précoces que leurs prédécesseurs. Un engouement qui ne se tarit pas avec les années, les milléniaux devant représenter la moitié du marché mondial d’ici 2030.

Focus sur les marges

Par ailleurs, les groupes de luxe adaptent peu à peu leurs structures à la nouvelle donne en Chine. Tiffany a par exemple décidé de réduire de moitié son magasin principal à Shanghai. Richemont a annoncé l’arrêt du portail chinois de son enseigne e-commerce Net-A-Porter. Sephora réduit ses effectifs de 10%. Gucci et Louis Vuitton ont commencé à fermer certains magasins déficitaires.

Plus largement, le secteur fait preuve d’une plus grande attention aux coûts afin de préserver ses marges. Burberry a ainsi annoncé un plan d’économies de 40 millions de livres sterling, de même qu’un recentrage sur ses produits phares, à savoir les manteaux et imperméables, après une diversification coûteuse et peu fructueuse. Kering, propriétaire de Gucci, a également renforcé ses mesures d’austérité en octobre dernier.

Deux références

Ce qui peut certainement offrir des opportunités pour l’investisseur patient, capable de surmonter l’excès de volatilité lié à l’actuelle période de transition. Le choix numéro un est sans aucun doute LVMH. Le groupe de Bernard Arnault est présent dans tous les segments et a sensiblement corrigé en Bourse, ayant chuté de 36% depuis son sommet du printemps 2023. À moins de 20 fois le bénéfice prévu pour 2025, le titre est désormais raisonnablement valorisé, surtout pour un groupe aux marges solides et peu endetté.

Hermès demeure aussi un premier choix. En termes de valorisation, l’entreprise dirigée par Axel Dumas présente des multiples beaucoup plus tendus : 42 fois le bénéfice prévu pour l’année prochaine. Mais sa forte croissance perdure avec une hausse des ventes de 14% au cours des neuf premiers mois de l’année.

La clé de son succès réside avant tout dans la demande solide et continue pour ses sacs à main iconiques. Son défi n’est d’ailleurs pas tant de vendre que de produire alors que les délais d’attente peuvent atteindre plusieurs années. Hermès peut ainsi poursuivre sereinement son développement avec l’ouverture d’une nouvelle maroquinerie chaque année en France. Une stratégie bien huilée qui lui permet d’étoffer progressivement ses marges et garnir sa trésorerie (nette) qui atteignait 10 milliards d’euros mi-juin.

L’évolution du cours sur deux ans des marques de luxe, Brunello Cucinelli, Hermès, LVMH, Burberry, Kering

Cycle de la mode

Burberry et Kering ont perdu à peu près 60% ces deux dernières années en Bourse. Leur valorisation fondamentale est ainsi aujourd’hui très basse, reflétant la dégradation des résultats à court terme en raison de leur exposition à la Chine et de produits moins à la mode. Cette dernière affecte en effet aussi les marques de luxe bien établies, Hermès et Louis Vuitton faisant office d’exceptions.

Les deux groupes prennent des mesures, tant pour relancer leur dynamique commerciale que pour préserver leurs marges. En cas de réussite, le potentiel de redressement est colossal.

A contrario, le spécialiste du cachemire Brunello Cucinelli n’est pas à l’abri d’un retour de manivelle alors qu’il a échappé jusqu’à présent au ralentissement chinois. Le risque est d’autant plus grand que la valorisation est élevée, 42 fois les bénéfices attendus en 2025 comme Hermès, alors que sa croissance est moins forte et moins prévisible sur la durée. 

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