Investir en Inde : entre potentiel économique et défis structurels
Considérée comme le nouveau moteur de l’économie mondiale, l’Inde a de nombreux atouts à faire valoir. Mais le pays reste avant tout freiné par la bureaucratie et un capitalisme de connivence non dénué de risques pour les investisseurs.
Ayant connu une libéralisation lente et poussive, l’économie indienne est longtemps restée à la traîne. Ce n’est qu’à partir de 1991 que les réformes se sont accélérées sous l’impulsion de Manmohan Singh, d’abord comme ministre des Finances puis comme Premier ministre (2004-2014). La croissance annuelle a ainsi dépassé les 7% de 2003 à 2010 hormis en 2008.
Dans l’ombre de la Chine
Une performance notable mais insuffisante pour positionner l’Inde sur le radar des grands investisseurs, obnubilés par la croissance chinoise. En 2015, la capitalisation boursière des entreprises domestiques dépassait ainsi les 8.000 milliards de dollars en Chine, quasiment cinq fois plus que les sociétés indiennes.
Le vent a toutefois commencé à tourner alors que la croissance ralentissait en Chine. L’élection de Narendro Modi, présenté comme l’artisan du miracle économique du Gujarat (croissance annuelle de 10% de 2001 à 2013), a été suivie par une croissance de 8% en 2015 et 8,3% en 2016.
Pour la première fois depuis la chute du communisme, l’Inde a connu une croissance plus forte que son voisin deux années de suite.
Parallèlement, l’arrivée au pouvoir de Donald Trump aux Etats-Unis et l’ouverture d’un profond conflit commercial sino-américain ont aussi joué en faveur des marchés indiens, de plus en plus d’investisseurs y voyant une alternative aux Bourses chinoises.
Depuis le 8 novembre 2016, date de l’élection remportée par le sulfureux président, l’indice indien Sensex affiche ainsi une progression de 165% alors que le CSI 300 des Bourses de Shanghai et de Shenzhen a reculé de 4%.
Même le coup de mou de l’économie indienne en 2019 n’a pas eu raison de l’optimisme des investisseurs. Bloomberg Economics évalue ainsi que le potentiel de croissance de l’Inde continuera à augmenter jusqu’à 8,5% au début de la prochaine décennie. Et le cabinet Centre for Economics and Business Research prévoit que le PIB atteindra 10.000 milliards de dollars en 2035, faisant de l’Inde le moteur de l’économie mondiale.
Première puissance démographique
Ces perspectives favorables sont notamment soutenues par les aspects démographiques. L’Inde est devenue le pays le plus peuplé du monde et dispose, de plus, d’une population assez jeune avec un âge médian de 28 ans, dix ans de moins que la Chine ou les Etats-Unis. Avec 64% de population rurale, le pays dispose aussi d’un important réservoir de main-d’œuvre pour soutenir une politique d’industrialisation et d’urbanisation comme l’a fait la Chine dans les années 1990 et 2000. Frank Vranken, responsable de la stratégie d’investissement chez Edmond de Rothschild, souligne aussi que la population indienne est plus dynamique. “Le pays est beaucoup plus compatible avec la culture occidentale que la Chine. C’est pourquoi de nombreux Indiens parviennent à se hisser au sommet des entreprises américaines.”
Citons notamment Satya Nadella, qui a guidé Microsoft vers la place de première capitalisation boursière mondiale, Sundar Pichai (Alphabet / Google), Leena Nair (Chanel), Vasant Narasimhan (Novartis) ou Laxman Narasimhan (Starbucks).
Hautes technologies
L’Inde brille aussi grâce à son secteur technologique. Avec des entreprises comme Infosys, Tech Mahindra ou Tata Consultancy, le pays est considéré comme le département informatique (en sous-traitance) du monde.
Une position que le pays devrait renforcer, estiment James Syme, Paul Wimborne et Ada Chan, gérants de fonds chez JO Hambro. “Avec le déploiement d’une infrastructure numérique plus robuste et plus étendue, l’Inde est en bonne voie pour renforcer sa position de grande puissance économique.”
En outre, l’Inde héberge une septantaine de licornes (entreprises non cotées valorisées à au moins un milliard de dollars) selon CB Insights. Et le gouvernement indien a lancé la semaine dernière la phase 2 de son Startup India. La première phase avait permis de soutenir 41.000 start-up grâce notamment à des exonérations fiscales ou des procédures de demande de brevets rapides. L’objectif, désormais, est d’encourager les jeunes entreprises développant des technologies de rupture, notamment en leur assurant une stabilité réglementaire, en facilitant les collaborations avec les universités ou en valorisant mieux la recherche.
Selon certaines prévisions, le PIB indien atteindrait 10.000 milliards de dollars en 2035, faisant du pays le moteur de l’économie mondiale.
iPhone indiens
Au niveau industriel, la sortie en septembre dernier de l’iPhone 15 est à marquer d’une pierre blanche pour le pays. Pour la première fois, Apple a vendu des smartphones assemblés en Inde dès le jour du lancement. Et ce n’est visiblement pas une dernière. V Lee, représentant en Inde de Foxconn, partenaire taiwanais d’Apple, écrivait en septembre dernier que le groupe compte doubler ses investissements et son volume d’emplois en Inde en un an. Le nouveau site d’assemblage développé à Bengaluru, capitale du Karnataka, devrait à lui seul créer 100.000 emplois.
Un engouement qui est notamment lié à la stratégie multipolaire de l’Inde et au coût réduit de la main-d’œuvre. Même en proposant des salaires sensiblement supérieurs à la moyenne, Foxconn ne rémunère ses ouvriers indiens que de 82 à 101 roupies par heure, soit de 0,90 à 1,10 euro, selon une enquête du Time.
Des interventions de l’Etat sur différents marchés freinent l’intégration de l’Inde dans les chaînes d’approvisionnement internationales.
Industrialisation en question
Des perspectives favorables qui ne doivent toutefois pas masquer une industrialisation encore trop lente malgré la campagne “Make in India” lancée en 2016 par Narendra Modi. La part des industries manufacturières dans le PIB du pays est ainsi restée stable autour de 17%, loin de l’objectif de 25% maintes fois repoussé.
L’industrialisation est pourtant cruciale pour absorber le flux de populations rurales, confrontées à un chômage qui atteignait 10,8% en octobre. Les pénuries récurrentes d’électricité sont l’un des principaux freins au développement de l’industrie. Selon le régulateur du réseau indien, le manque a atteint un record de 9,11 GW en août dernier, à peu près équivalent à la puissance consommée sur le marché belge.
L’autre frein souvent cité est la bureaucratie. Dans les années 1970, une grande partie de l’économie indienne a été nationalisée et un système labyrinthique, appelé “licences Raj”, dictait tout, des modèles de voitures aux types de pains autorisés.
Lors de son élection en 2014, Narendra Modi avait promis de mettre fin aux vestiges de cette ère. Le Premier ministre a engrangé certains succès, notamment pour la collecte des taxes ou les transports (réseau autoroutier, compagnies aériennes, accélération des trains de marchandises). Mais pour les entreprises, les tracasseries demeurent nombreuses. Selon Sandeep Agrawal, cofondateur du spécialiste de la conformité Teamlease Regtech, une PME dans le Maharashtra doit suivre pas moins de 360 obligations de conformité périodiques, soit une par jour.
De plus, les mesures protectionnistes et interventions de l’Etat sur différents marchés freinent l’intégration de l’Inde dans les chaînes d’approvisionnement internationales.
Tous ces obstacles affectent grandement la rentabilité. Selon une étude réalisée par McKinsey avant la pandémie, les profits de 700 des 1.000 plus grandes entreprises industrielles en Inde ne suffisaient pas à compenser leurs coûts de financement.
Elections législatives
Loin de ses promesses initiales, Narendra Modi est de plus en plus souvent accusé de préférer le contrôle de la société au développement du pays, favorisant un capitalisme de connivence et la bureaucratie. Comme l’a illustré il y a un an le scandale Adani, le conglomérat du milliardaire Gautam Adani ayant été accusé d’avoir organisé “des manipulations boursières et un système de fraude comptable” par le hedge fund Hindenburg Research. D’autres éléments troublants sont apparus, comme le retrait de plusieurs auditeurs de grands cabinets dans différentes filiales, ce qui n’a pas empêché la Cour suprême indienne d’ordonner de clore l’enquête.
Malgré tout, l’actuel Premier ministre demeure le préféré des investisseurs en vue des prochaines élections au printemps. Selon Chris Wood de Jefferies, les indices boursiers indiens pourraient chuter de 25% si Narendra Modi n’est pas réélu. La principale raison serait l’incertitude, notamment par rapport aux conglomérats pilotés par Mukesh Ambani et Gautam Adani, les deux personnes les plus riches d’Inde mais aussi d’Asie. Ce qui est d’autant plus interpellant que 800 millions d’Indiens dépendent de l’aide alimentaire.
Le risque de baisse est accentué par la valorisation tendue des actions indiennes. Le Sensex 30 de la Bourse de Bombay cote 23 fois les bénéfices prévus, le double de la moyenne des pays émergents.
Positionnement progressif
En résumé, l’Inde affiche un potentiel considérable justifiant un investissement dans le pays. Mais les tensions sont nombreuses, allant des risques pesant sur la crédibilité des chiffres d’entreprises aux élections en passant par la politique économique ou la popularité des produits dérivés auprès des investisseurs indiens. Autant de risques pouvant engendrer une sérieuse correction à tout moment.
Si l’aventure vous tente quand même, un positionnement progressif est envisageable via des fonds. Du côté des compartiments gérés activement, le fonds Robeco Indian Equities est noté cinq étoiles par Morningstar pour sa performance historique avec un rendement annualisé de 11,8% au cours de ces 10 dernières années. D’un point de vue qualitatif, le fonds FSSA Indian Subcontinent Fund est le mieux noté avec une évaluation “or”.
En gestion indicielle, Amundi propose un ETF sur l’indice MSCI India UCITS (Euronext Paris ; LU1681043086 ; frais annuels de 0,80%), plus diversifié avec 131 valeurs.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici