Investir dans les PME belge via la Bourse
Haut rendement, accès à l’économie réelle, diversification du patrimoine : le “private equity” ne manque pas d’atouts. Les sociétés cotées, comme Whitestone, permettent d’y investir sans devoir y consacrer un patrimoine conséquent.
Le private equity, ou capital-investissement (actions d’entreprises non cotées), n’a pas échappé au tsunami causé par la vive remontée des taux depuis 2022. Une saine correction, à en croire un récent rapport de McKinsey, qui a notamment permis de ramener les multiples de valorisation à des niveaux plus attractifs et de remettre les fondamentaux à l’avant-plan. Durant la période de taux bas, le rendement a été soutenu par le faible coût du crédit et la hausse des multiples de valorisation. Aujourd’hui, “la croissance des revenus et l’évolution des marges redeviennent prépondérantes”. En termes de perspectives, le consultant Preqin voit le marché du private equity croître de 10% par an en moyenne, pour atteindre 8.500 milliards de dollars en 2028. Malgré cette importance grandissante, l’accès au private equity demeure largement réservé aux plus nantis. Les tickets d’entrée des fonds spécialisés sont généralement de l’ordre de 250.000 euros. Pour le particulier, l’autre solution est de miser sur le non coté via la Bourse, comme l’explique Frédéric Pouchain, cofondateur et CEO de Whitestone.
TRENDS-TENDANCES. Pouvez-vous présenter Whitestone ?
FRÉDÉRIC POUCHAIN. Whitestone investit dans des actifs non cotés et principalement, dans des PME belges. Un type d’investissement que nous connaissions bien, puisque j’ai travaillé avec Sandro Ardizzone (autre cofondateur, Ndlr) pendant une dizaine d’années à la Compagnie nationale à portefeuille (CNP), holding de la galaxie Frère. Le nom Whitestone provient d’ailleurs de cette expérience commune puisque le siège de la CNP était situé rue de la Blanche Borne, soit white stone en anglais. C’est aussi un clin d’œil à Blackstone et à BlackRock, deux des principaux gestionnaires d’actifs au monde. Cela illustre notre volonté de nous inspirer des meilleurs au niveau international, sans perdre de vue nos origines. Comme feu Albert Frère, nous nous considérons comme “des fermiers de la finance”.
La plupart des organismes d’investissement en “private equity” sont organisés en fonds, mais pas Whitestone. Pourquoi ?
Le principal atout de notre structure de société d’investissement est la flexibilité. Contrairement à un fonds, généralement créé pour huit à 10 ans, nous ne sommes pas tenus à des échéances. Ce qui a régulièrement engendré des déceptions parmi les investisseurs. Imaginons que vous engagez aujourd’hui 250.000 euros dans un fonds de private equity : ces capitaux ne seront appelés que progressivement sur une période de trois ou quatre ans. Ainsi, vous aurez mobilisé votre capital pendant huit à 10 ans, mais vous n’obtiendrez un rendement que durant six à sept ans. Notre organisation rassure aussi les entreprises qui savent que nous ne sommes pas tenus de sortir du capital après x années. L’objectif n’est évidemment pas de rester indéfiniment au capital, mais nous pouvons faire tourner le portefeuille en fonction des opportunités et pas du calendrier.
“Nous sommes convaincus que notre approche répond aux aspirations de nombreux particuliers qui veulent redonner du sens à leur épargne.”
Pourquoi avoir opté pour une cotation en Bourse, souvent présentée comme une contrainte pour les plus petites structures ?
Cela a plusieurs avantages pour une société comme la nôtre. Le premier est d’offrir de la liquidité, les investisseurs pouvant acheter ou vendre des actions Whitestone au jour le jour, ce qui n’est pas possible habituellement dans le private equity. Le deuxième est que nous pouvons ainsi utiliser nos propres actions comme moyen de paiement. Enfin, la cotation implique un certain niveau de transparence et de professionnalisme qui rassure nos interlocuteurs.
A quel genre d’investisseurs vous adressez-vous ?
Historiquement, nos principaux investisseurs sont des familles fortunées qui ne peuvent ou ne veulent pas recourir à un family office pour investir dans le private equity. Grâce à notre introduction sur Euronext Growth Bruxelles, nous nous adressons aussi aux petits porteurs. Beaucoup se sont détournés des marchés, mais nous sommes convaincus que notre approche centrée sur les PME locales répond aux aspirations de nombreux particuliers qui veulent redonner du sens à leur épargne.
Quels sont vos critères d’investissement ?
Le principal est que nous soyons les bienvenus. Cela ne sert à rien de faire perdre leur temps aux intervenants. Le deuxième critère primordial à nos yeux est que nous souhaitons avoir de l’impact. Nos partenaires et nos compétences nous permettent de soutenir l’entreprise dans sa stratégie, son développement (opérations de fusion et acquisition, internationalisation) et sa structuration financière. La durabilité est également un point crucial à nos yeux. L’entreprise doit être engagée ou avoir la volonté de s’engager dans la transition. Cette volonté d’exercer un effet implique que nous voulons toujours avoir une participation au capital, qui peut être complétée ou pas par un financement sous forme de dettes. En termes de types d’interventions, nous pouvons tant participer à une augmentation de capital d’une société en développement que racheter une participation minoritaire ou majoritaire dans le cadre d’une transmission.
Et au niveau des types d’entreprises ?
Notre volonté est de soutenir des PME belges présentant un excédent brut d’exploitation (Ebitda) de 1 à 5 millions d’euros. Nous apprécions les entreprises qui peuvent s’appuyer sur des revenus récurrents (services, entretien…) et un certain pricing power, notamment par le biais de barrières réglementaires, afin de limiter les conséquences des cycles économiques. Au niveau sectoriel, nos deux principaux piliers sont la transition énergétique et les matériaux spécifiques (métaux précieux et rares, matériaux composites, etc.). Mais nous investissons aussi dans d’autres secteurs, hormis l’immobilier, et les biotechs et les medtechs, qui réclament une expertise particulière et une stratégie d’investissement différente.
“En 2021, la valeur intrinsèque de notre portefeuille était de 10,54 euros par action. Aujourd’hui, elle est de 15 euros, soit une progression de 43% en deux ans.”
Pouvez-vous dresser le panorama du portefeuille actuel de Whitestone ?
Nos principales positions sont Energy Solutions Group, un acteur majeur dans la production d’énergies renouvelables au travers notamment d’installations photovoltaïques ; GFI, leader du négoce d’or physique ; Atima/Iso-Tech, spécialiste des isolants en mica et matériaux composites ; et Freedelity, dont les programmes de fidélité multi-enseignes comptent plus de 7 millions de membres. La scale-up wallonne EMAsphere est également une participation importante à double titre puisque nous implémentons ses tableaux de bord financiers dans les entreprises dans lesquelles nous investissons.
Quel bilan dressez-vous jusqu’à présent ?
Nous sommes entrés en Bourse en 2021. La valeur intrinsèque de notre portefeuille (actif net réévalué, ANR) était alors de 10,54 euros par action. Aujourd’hui, elle est de 15 euros, soit une progression de 43% en deux ans. Le cours présente toujours une importante décote que nous voulons réduire, notamment en augmentant le flottant (part du capital négociable en Bourse, Ndlr), d’à peine 5% actuellement. La transaction annoncée mi-février avec le family office Multifin SA nous a déjà permis de réduire sensiblement la décote. Concrètement, Whitestone a acquis très récemment quatre participations (dont Energy Solutions Group), valorisées à près de 18 millions d’euros par l’émission d’actions sur la base d’un prix de référence de 13 euros par action, supérieur au cours. Mi-mai, nous comptons lancer une augmentation de capital au même prix de 13 euros, soit avec une décote de 13% sur l’ANR, dont une tranche de 8 millions d’euros sera réservée aux petits porteurs. Pour l’heure, le cours de Bourse demeure plus intéressant…
Le “private equity” sur Euronext Bruxelles
Whitestone n’est pas le seul intervenant actif dans le private equity coté sur le marché bruxellois. Un des précurseurs était la GIMV, la société d’investissement flamande, cotée depuis plus d’un quart de siècle. Fin septembre, son portefeuille paneuropéen était composé à plus de 95% d’investissements en private equity, suivant cinq axes stratégiques : consommateur connecté, soins de santé, sciences de la vie, industrie intelligente et villes durables. Les analystes qui suivent le titre se montrent assez confiants, avec trois conseils d’achat sur quatre avis.
Seule pricaf cotée, un véhicule spécifiquement dédié au private equity, Quest for Growth devrait faire office de premier choix. Mais elle n’a jamais véritablement réussi à décoller malgré ses investissements dans des sociétés de croissance (au sens large). Aujourd’hui, elle est beaucoup plus dépendante de ses participations cotées (60% du portefeuille fin 2023).
Sofina est aujourd’hui bien plus exposée au private equity, qui représente plus de 90% de son portefeuille. Parmi ses investissements directs, épinglons le site de ventes privées Veepee, le spécialiste des cosmétiques Nuxe, la licorne bruxelloise Collibra ou le géant chinois ByteDance (TikTok). Ces deux dernières années, le holding a connu un passage à vide en raison notamment des déboires de Byju, société indienne active dans l’apprentissage en ligne qui faisait partie de ses principaux investissements. Aujourd’hui, tous les analystes sont revenus à l’achat en raison de la décote substantielle (valeur intrinsèque de 276,79 euros par action mi-2023).
GBL a investi un tiers de son portefeuille dans le private equity, directement (Webhelp, Affidea, Canyon, Sanoptis, etc.) et via des fonds. Elle a même lancé un service de gestion d’actifs privés pour compte de tiers (Sienna Investment Management). Vu la décote par rapport à la valeur intrinsèque de 109,19 euros par action fin septembre, les analystes sont positifs (quatre à l’achat sur six).
Brederode est investi à 31% en actions cotées (Samsung, Mastercard, Unilever, Sofina…) et à 69% en fonds de capital-investissement. Les analystes se montrent partagés, même si Joren Van Aken (Degroof Petercam) est passé à l’achat en raison de la décote par rapport à la valeur intrinsèque estimée à 134,8 euros par action.
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