IA: des logiciels futés au service du banquier

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L’intelligence artificielle occupe une place grandissante dans le monde financier. Les “private bankers” sont de plus en plus nombreux à l’adopter, même s’ils doivent également être attentifs à ses limitations et aux risques qu’elle comporte.

Addition de systèmes informatiques exécutant des tâches qui exigent en principe une capacité de raisonnement humaine, l’intelligence artificielle (IA) ne date pas d’hier. Son origine remonte même au milieu du siècle précédent. Mais son entrée dans le monde de l’investissement fut plus tardive, quand elle fut utilisée pour les Quant Funds (ou fonds quantitatifs) dont la composition et les stratégies étaient définies de manière active à l’aide de modèles informatiques.

Le robo-advisor, ou robot conseiller, fut l’étape suivante. Cette fois, les mêmes modèles informatiques ne se contentaient pas de rechercher des produits des investissements: ils donnaient également des conseils adaptés au profil de risque. Cette forme de conseil financier automatisé s’est introduite dans notre pays via des pionniers américains comme Wealthfront et Betterment, puis, à partir de 2015, via des acteurs comme Keytrade Bank, BinckBank, Easyvest et Birdee.

Depuis, les robots conseillers financiers n’ont cessé de gagner en sophistication. Et les gestionnaires de patrimoine et banquiers privés les ont aussi adoptés. “Nous n’étions pas totalement convaincus par la plus-value des robots conseillers dans le private banking, explique Olivier Delfosse, CEO de Deutsche Bank dans notre pays. Mais nous croyons énormément dans les possibilités de son successeur: l’intelligence artificielle. Aujourd’hui, le groupe utilise déjà énormément d’algorithmes, parfois très complexes, relevant de l’IA.”

“La principale valeur ajoutée de l’IA réside dans la puissance du machine learning.”

Delen Private Bank et Puilaetco/Quintet font également appel à l’IA en appui de leurs services. “A nos yeux, la principale valeur ajoutée de l’IA réside dans la puissance du machine learning, souligne Georges Nédée, managing director de Puilaetco/Quintet, faisant référence à l’approche spécifique de l’IA qui permet à des systèmes informatiques d’apprendre et de s’améliorer d’eux-mêmes, sans programmation explicite. “Nous voulons constituer une expertise maximale de cette technologie sur la base d’informations externes disponibles”, précise-t-il.

Identifier des modèles

S.P. Kothari et Robert C. Pozen – tous deux professeurs à la Sloan School of Management du Massachusetts Institute of Technology (MIT) – ont étudié les possibilités de l’IA dans le processus d’investissement des gestionnaires d’actifs. A leurs yeux, sa capacité à identifier des modèles dans des données historiques de prix constitue une première plus-value importante. “L’intelligence artificielle et le machine learning vont en effet plus loin que les méthodes quantitatives traditionnelles basées sur les inefficacités de marché, expliquent-ils. Ils peuvent inférer des opportunités d’investissement des modèles identifiés.”

“L’intervention humaine reste primordiale, tant à des fins de contrôle que pour le contact avec nos clients.” GEORGES NÉDÉE (PUILAETCO/QUINTET)
Georges Nédée (Puilaetco/Quintet) © PG

Selon les chercheurs, l’IA est aussi en mesure d’analyser différents types de données hors de portée des capacités déductives humaines. Pensez à la reconnaissance d’images, à l’analyse de texte et au traitement de données moins évidentes de premier abord, comme les voyages en avion des managers et les comportements des clients. “L’IA peut notamment utiliser ces informations pour établir des prévisions sur d’éventuelles fusions ou les volumes de vente.”

En outre, elle peut également contribuer à identifier des erreurs d’appréciation provoquées par des préjugés humains. Chaque individu est en effet inconsciemment influencé par des modèles de pensée qui ne relèvent pas de la logique et de la raison. Emotions et sentiments en sont souvent à l’origine. L’IA aide donc les private bankers à faire preuve d’une plus grande objectivité, réduisant ainsi le risque de décisions d’investissement “biaisées”.

Optimisation de portefeuille

Olivier Delfosse (Deutsche Bank) reconnaît ces atouts. “Nos private bankers utilisent l’IA chaque jour pour optimiser les portefeuilles de leurs clients, explique-t-il. Cette technologie est extrêmement utile pour éviter les mauvais conseils, gagner en efficacité et obtenir ainsi des rendements plus élevés. Et comme les algorithmes se corrigent d’eux-mêmes en permanence, les résultats s’améliorent sans cesse. L’intelligence artificielle apporte également une plus-value en matière de compliance. Elle indique aux private bankers les produits qu’ils peuvent ou ne peuvent pas recommander, par exemple parce que le client ne les connaît pas ou parce qu’il ne peut ou ne veut pas supporter les pertes potentielles.”

“Cette technologie est extrêmement utile pour éviter les mauvais conseils, gagner en efficacité et obtenir ainsi des rendements plus élevés.” OLIVIER DELFOSSE (DEUTSCHE BANK)
Olivier Delfosse (Deutsche Bank) © PG

Chez Delen Private Bank aussi, l’intelligence artificielle fait partie du service. “L’informatique constitue un élément fixe de notre stratégie depuis plusieurs décennies, explique Alexandre Delen, membre de la direction responsable de l’IT. Un collaborateur sur cinq travaille dans notre département informatique. Par exemple, nous numérisons et classons tous les documents de nos clients. Nous pouvons ainsi associer efficacement les données et leur fournir un conseil encore plus ciblé. Mais nous suivons également l’évolution de l’intelligence artificielle depuis très longtemps. En gestion de portefeuille, cette technologie joue un rôle complémentaire. Pour la sélection des entreprises, nous nous fondons sur les avis de plusieurs analystes financiers, et l’un d’entre eux base exclusivement sa vision des positions en actions sur l’IA. Nos décisions finales reposent sur la combinaison de toutes ces visions.”

En matière d’intelligence artificielle, Puilaetco/Quintet se trouve, lui, toujours dans une phase plutôt conceptuelle. “Nous sommes en train de procéder à une numérisation approfondie de nos activités qui servira de base pour les futures applications de l’IA, notamment en matière de la gestion de portefeuille et d’analyse des risques, atteste Georges Nédée. Mais il est d’ores et déjà acquis que l’intelligence artificielle apportera d’importants gains de productivité dans le secteur.”

Limitations et risques

Toutefois, S.P. Kothari et Robert C. Pozen soulignent que si l’IA recèle des avantages, elle comporte également des limitations et n’est pas sans risque. “En premier lieu, l’utilisation de cette technique exige des investissements considérables en infrastructure technologique, ce qui implique des coûts élevés qui ne peuvent être rentabilisés qu’à une certaine échelle, notent-ils. En principe, les plus grands acteurs ont les moyens de constituer et d’entretenir cette infrastructure, mais ce n’est pas toujours le cas des sociétés plus petites. Cela peut affecter leur compétitivité, sauf si elles sous-traitent la technologie.”

Il arrive également que des algorithmes de machine learning identifient des corrélations apparentes entre des données qui ne sont en fait que du “bruit”. Le risque? Qu’ils recommandent sur cette base de mauvaises opportunités d’investissement… “L’implication humaine reste dès lors cruciale pour une interprétation correcte des données”, affirment S.P. Kothari et Robert C. Pozen.

Les chercheurs pointent également la possibilité de copier et de commercialiser rapidement des stratégies d’investissement reposant sur l’IA. “En l’absence de protection de la propriété intellectuelle, il est difficile pour des pionniers de conserver à terme leur avantage concurrentiel. Car dès que leurs stratégies sont connues, les autres acteurs vont également les appliquer.” Mais les professeurs apportent immédiatement la solution à ce problème: “Les private bankers peuvent toujours faire la différence par leur approche personnelle…”

Conseil personnalisé

Comme eux, Deutsche Bank estime que l’IA ne pourra donc remplacer totalement un conseiller de chair et de sang. “A nos yeux, l’intelligence artificielle ne constitue pas une menace pour un private banker humain performant, estime Olivier Delfosse. Un conseil qualitatif et personnel reste important pour chaque client. Mais l’IA peut contribuer à encore personnaliser et améliorer ce conseil.”

“Nous nous fondons sur les avis de plusieurs analystes financiers, et l’un d’entre eux base exclusivement sa vision des positions en actions sur l’IA.” ALEXANDRE DELEN (DELEN PRIVATE BANK)
Alexandre Delen (Delen Private Bank) © PG

“Il est possible de fonder sa vision du marché sur l’intelligence artificielle, mais chaque décision finale prise au sein de notre service reste 100% humaine, reconnaît aussi Alexandre Delen (Delen Private Bank). Selon nous, la technologie sous-jacente n’est pas encore suffisamment mature pour que nous la laissions prendre des décisions en toute autonomie. De plus, la confiance et la tranquillité d’esprit constituent des éléments essentiels pour les clients fortunés. Nous trouvons l’automatisation très utile dans une optique d’efficacité, mais uniquement lorsqu’elle a pour but de libérer davantage de temps pour les relations humaines avec nos clients, pas pour les remplacer.”

Le discours est similaire chez Puilaetco/Quintet. “Nous voulons faire appel au machine learning pour l’analyse d’informations externes, mais l’intervention humaine reste primordiale, explique Georges Nédée. Tant à des fins de contrôle que pour le contact avec nos clients. Nous y voyons dès lors une évolution plutôt qu’une révolution: le besoin émotionnel de contact et de conseil humains continuera à exister au sein de notre secteur.”

Conclusion: pour les private bankers, il est crucial de trouver un équilibre entre l’utilisation de l’IA comme outil sur lequel s’appuyer et le maintien de l’expertise et du contrôle humains. C’est la seule manière d’exploiter au maximum les avantages de cette technologie tout en en maîtrisant les risques.

Des fonds en grande partie gérés par l’IA

KBC a développé l’Optimum Fund Enhanced Intelligence tout spécialement pour ses clients private banking. C’est un fonds mixte à gestion dynamique dont le seuil d’entrée est fixé à 10.000 euros et qui est notamment géré par un logiciel recourant à l’intelligence artificielle.

Ce logiciel analyse chaque jour plus de 1.000 indicateurs économiques différents pour y identifier des tendances. Ce sur la base d’une environ 180 modèles auto-apprenants. De plus, il se corrige lui-même à partir des nouvelles données avec lequel le gestionnaire de fonds alimente en permanence le logiciel.

“L’objectif des modèles consiste à générer des scénarios d’évolution des marchés financiers et des catégories d’actifs, y explique-t-on. Sur la base de ces prévisions, le logiciel d’IA propose une répartition entre les différentes catégories d’actifs et en leur sein. Les gens interprètent souvent les nouvelles informations de manière à ce qu’elles cadrent avec leur mode de pensée. Ou ils cherchent un consensus. Les logiciels d’IA ne font pas cela. L’IA n’a ni émotions ni préjugés, elle traite les données de manière objective et va parfois à contre-courant..”

“Il est important de voir le logiciel IA derrière Optimum Fund Enhanced Intelligence seulement pour ce qu’il est, assure Siegfried Top, investment strategist chez KBC Asset Management. Je considère ce logiciel comme un nouveau collègue qui a sa propre opinion. Et c’est précisément la raison pour laquelle ce fonds peut constituer une diversification intéressante au sein d’un portefeuille déjà largement diversifié.”

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