Guerres, inflation, Trump, Taiwan: quel impact pour les marchés?

Taiwan - Pour les marchés, les élections du week-end dernier dans l’île étaient le premier rendez-vous important de 2024. © REUTERS

Face aux nombreux risques géopolitiques menaçant les marchés, l’heure est à la diversification géographique, selon Anna Rosenberg et Didier Borowski de chez Amundi Investment Institute.

De passage à Bruxelles, ces deux experts recommandent par exemple de miser en 2024 sur les pays émergents hors Chine, qui demeure un cas particulier.

TRENDS-TENDANCES. En 2024, près de la moitié de la population mondiale sera appelée aux urnes. Quelles dates retenez-vous en particulier ?

ANNA ROSENBERG. Les élections du week-end dernier à Taiwan étaient le premier rendez-vous important. Les enjeux sont en effet nombreux, l’île cristallisant les tensions entre la Chine et les Etats-Unis. D’un point de vue économi­que, Taiwan est aussi un maillon incontournable en raison de son importance dans le secteur crucial des semi-conducteurs. Notamment via TSMC qui est le premier fondeur de puces électroniques au monde. Les investisseurs devraient aussi garder un œil sur les élections européennes en juin, notamment par rapport à la politi­que extérieure dans un monde de plus en plus polarisé et à la cadence de la transition énergétique. Des élections sont aussi annoncées au second semestre au Royaume-Uni avec un changement de gouvernement largement anticipé. La perspective d’une victoire du Labour devrait contribuer à apaiser les tensions avec l’UE et repositionner les marchés britanniques sur la carte des investisseurs. En fin d’année, ce sont évidemment les élections américaines qui retiendront l’attention.

Quels sont vos pronostics par rapport à la présidentielle aux Etats-Unis ?

A.R. Nombre d’événements pourraient encore perturber les résultats, à commencer par les procédures en inéligibilité ciblant Donald Trump. Ce qui rend les pronostics d’autant plus difficiles. A l’heure actuelle, Joe Biden semble avoir un petit avantage. Si cela devait se confirmer en novembre, cela serait un soulagement pour les marchés mondiaux. Si Donald Trump l’emporte, la réaction risque d’être très divergente. Aux Etats-Unis, le souvenir d’un président favorable aux actions, notamment avec des baisses d’impôts et des mesures de dérégulation, devrait prévaloir. Dans le reste du monde, la crainte d’un regain de tensions géopolitiques et commerciales devrait inquiéter les marchés.

Craignez-vous un choc pétrolier en raison du conflit au Moyen-Orient ?

A.R. Le marché pétrolier est bien approvisionné comme en témoigne le reflux des prix depuis le pic de 2022. Toutefois, une guerre régionale au Moyen-Orient aurait de nombreuses répercussions sur l’économie et la sécurité mondiales. En outre, nous voyons d’autres risques cette année. Les ressources naturelles sont utilisées comme levier politique, notamment en raison de leur importance dans la transition énergétique et la numérisation. La Chine demeure par exemple un acteur incontournable dans les terres rares, une position qu’elle pourrait utiliser en cas de regain de tension vis-à-vis de l’Europe et/ou des Etats-­Unis. Outre l’accès aux ressources, le protectionnisme accru menace aussi le partage des technologies, freinant leur développement.

Anna Rosenberg
Historienne de formation, Anna Rosenberg a consacré toute sa carrière à l’analyse des risques politiques. Elle a notamment conseillé les entreprises dans leurs plans de développement dans les marchés émergents et cofondé le département d’analyse prédictive des événements politiques chez Signum Global Advisors.
Aujourd’hui, elle est responsable de la géopolitique chez Amundi Investment Institute.

La baisse du pétrole a contribué à apaiser l’inflation. Estimez-vous que les tensions sur les prix et les taux vont continuer de s’amenuiser ?

DIDIER BOROWSKI. Les tensions inflationnistes devraient continuer de s’apaiser, mais assez lentement et avec de possibles à-coups. Les risques géopolitiques sont de nature à perturber les chaînes d’approvisionnement comme on le voit en mer Rouge.
De plus, la hausse des salaires demeure vigoureuse. Dans un tel contexte, les banques centrales ne baisseront leurs taux directeurs qu’une fois l’inflation revenue à des niveaux plus acceptables. Ce qui risque de décevoir les marchés qui tablent sur une politique proactive avec une baisse de taux dès le mois de mars pour la Fed. Nous l’envisageons plutôt en fin de printemps.

Cet environnement de baisse des taux est-il favorable aux obligations ?

D.B. Les taux sur les marchés obligataires ont déjà fortement baissé et il ne faut pas attendre un retour aux très bas niveaux d’avant 2022. D’une part, certaines tensions sur les prix pourraient s’avérer structurelles. D’autre part, le niveau d’endettement bien plus élevé des Etats-Unis justifie une prime de risque sur les titres du Trésor américain de maturité longue. Le bond des cours du dernier trimestre 2023 ne se poursuivra donc pas et une plus grande volatilité est à craindre. Les obligations souveraines et d’entreprises de qualité demeurent toutefois de bonnes protections face aux nombreux risques actuels. Nous apprécions également les obligations des pays émergents, tout particulièrement d’Amérique latine où les taux devraient continuer de se détendre et les économies locales profiter de l’affaiblissement du dollar.

Vous semblez assez prudent. Quelle stratégie recommandez-­vous en actions ?

D.B. Dans tous les cas, il convient d’être très vigilant face au ralentissement économique et aux risques géopolitiques. Nous recommandons ainsi avant tout de bien diversifier l’exposition en misant notamment sur les pays émergents hors Chine, qui demeure un cas particulier. L’Inde, où les élections au printemps ne devraient pas remettre en cause la direction actuelle, ou l’Indonésie sont des marchés assez prometteurs. Aux Etats-Unis, nous évitons les géants technologiques, dont l’omnipotence sur les marchés boursiers n’est pas sans rappeler la bulle internet de la fin des années 1990, et privilégions les secteurs offrant plus de valeur. En pratique, nous sommes exposés non seulement aux secteurs défensifs traditionnels (consommation de base, soins de santé) mais aussi aux banques de détail ou aux matériaux de base. Nous sommes aussi prudents vis-à-vis des Bourses européennes en limitant les positions et en privilégiant une position équilibrée entre les secteurs défensifs et les valeurs cycliques de qualité. Des opportunités devraient toutefois se présenter quand le cycle conjoncturel sera plus avancé au second semestre.

Le gendarme boursier américain a approuvé le lancement d’ETF sur le bitcoin au comptant. Voyez-­vous les cryptoactifs comme une piste de diversification ?

D.B. Nous ne sommes pas favorables aux investissements en bitcoin, car les cryptoactifs sont extrêmement volatils et impossibles à valoriser.

Didier Borowski
Titulaire d’un doctorat en économie, Didier Borowski a notamment travaillé pour le ministère des Finances en France et la Commission européenne. Il a également été professeur associé à l’Université Paris Nord, puis a rejoint le secteur de la gestion d’actifs et est aujourd’hui responsable de la recherche sur les politiques macro­économiques chez Amundi Investment Institute.

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