Fonds flexibles: les stratégistes invitent à la prudence
Alors que la récession pourrait frapper durant les prochains mois, l’exposition sur les actions se veut prudente et plutôt axée sur l’Asie. Au niveau obligataire, les stratégistes préconisent surtout la dette souveraine américaine et les obligations d’entreprise de bonne qualité.
Lors du Trends Investment Summit organisé à Zaventem à la mi-mars, nous avons rencontré les stratégistes de plusieurs fonds multi-actifs. Ces derniers nous livrent leur analyse de la situation économique actuelle et son influence sur le positionnement des grandes classes d’actifs dans les fonds flexibles.
De concert, ces spécialistes estiment que la crise bancaire aux Etats-Unis ne modifiera pas fondamentalement la politique monétaire. “Les problèmes rencontrés par la Silicon Valley Bank ne changent rien, même si la Fed pourrait se montrer plus prudente durant les prochains mois, estime Charles-Henry Kerkhove, investment director chez Fidelity International. La Banque centrale européenne maintient le cap mais pourrait être poussée par le marché à faire une pause au cours des prochains mois alors que nous entrons dans un environnement de récession et que l’inflation ralentit.”
Les actions américaines continuent d’afficher des valorisations très élevées par rapport à leur moyenne historique.” CHRISTOPHE MACHU (M&G)
Les autorités américaines sont rapidement intervenues, tandis que les tensions sur les salaires restent un problème pour les grands argentiers. Ceux-ci vont donc continuer à mettre la pression au travers de leur taux directeur. Un avis partagé par Christophe Machu (head of european multi-asset portfolio management chez M&G Investments) “Le marché a réagi brutalement. Le risque de contagion devrait toutefois être faible, même si les investisseurs pourraient s’avérer durablement plus prudents sur les perspectives des banques.”
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“L’inflation va rester au centre de l’attention en 2023, estime Julien-Pierre Nouen (head of economic research & multi asssets chez Lazard Fund Managers). Et plus particulièrement l’inflation core (hors énergie) qui démontre que le cycle de hausse des salaires n’est pas encore cassé. Nous pensons que tant que les banques centrales ne seront pas certaines que l’inflation est sous contrôle, le mouvement haussier se poursuivra aux Etats-Unis et en Europe”, et qu’il ne s’arrêtera pas même si quelques banques rencontrent ponctuellement des problèmes.
Pression économique
Dans ce contexte, la pression sur l’activité va rester soutenue et les conséquences d’une période historiquement rapide de resserrement monétaire devraient commencer à se faire sentir, notamment en matière de pouvoir d’achat en termes réels des consommateurs.
“Nous attendons toujours une récession durant les prochains trimestres”, estime Guy Wagner, chief investment officer chez Banque de Luxembourg Investments. Ce dernier pense néanmoins que l’inflation devrait se modérer vu le fléchissement de certains facteurs qui l’avaient poussée sur des niveaux plus observés depuis le milieu des années 1990. “Mais il est naïf de penser que nous allons retomber rapidement sur un niveau d’inflation tournant autour de 2%”, ajoute-t-il.
La Chine devrait toutefois connaître une embellie économique grâce au programme de relance des autorités et à l’épargne accumulée par les ménages durant la longue période de confinement. “Ce pays est en train de connaître une accélération de son activité beaucoup plus rapide que nos attentes”, indique Julien-Pierre Nouen. Le potentiel de croissance est toutefois plus limité que par le passé (autour de 5% par an), en raison de facteurs comme le vieillissement de la population ou une économie davantage basée sur la consommation intérieure que sur les exportations. “L’impact de la croissance chinoise sera beaucoup moins perceptible qu’en 2009, mais elle aura également une influence positive sur l’inflation au niveau global”, poursuit Julien-Pierre Nouen.
“En outre, la banque centrale chinoise dispose d’une marge de manœuvre pour se montrer plus accommodante, pointe Charles-Henry Kerkhove (Fidelity International). C’est d’ailleurs sur les classes d’actions émergentes que nous voyons le plus de potentiel pour les prochains mois, notamment sur les obligations à haut rendement asiatique, les actions indonésiennes ou le bath thaïlandais.”
Prudence sur Wall Street
Le positionnement des différents stratégistes est résumé dans le tableau ci-dessous. Dans l’ensemble, ils estiment que l’accent doit toujours être mis sur les actions value dans un contexte où les taux vont rester élevés. “Nous sommes positionnés sur les grands groupes technologiques qui dégagent des flux de trésorerie élevés. Ce type d’actions conserve une place dans les portefeuilles”, estime Charles-Henry Kerkhove
Pour Christophe Machu (M&G), la défiance par rapport au marché américain pourrait durer. “Les actions américaines continuent d’afficher des valorisations très élevées par rapport à leur moyenne historique et qui ont atteint de tels niveaux uniquement lors de la bulle technologique et de la phase suivant la pandémie de Covid-19. Il est peu probable de voir les indices américains surperformer fortement grâce à une hausse des valorisations. En outre, le rééquilibrage des forces en faveur du travail au détriment du capital est susceptible de faire pression sur les marges des entreprises.
La croissance des profits des entreprises américaines pourrait donc, elle aussi, être un facteur limitant la performance des indices actions américaines.” Pour Guy Wagner (Banque de Luxembourg Investments), “les vainqueurs d’hier sont rarement ceux de demain, et je pense qu’il est aujourd’hui prématuré de retourner trop fortement vers les actions technologiques et sur le marché américain. Sur nos portefeuilles, nous avons plutôt fait pivoter notre exposition vers le Japon ou l’Asie, deux classes d’actifs qui continuent d’afficher des décotes importantes par rapport au marché américain”.
Tant que les banques centrales ne seront pas certaines que l’inflation est sous contrôle, le mouvement haussier se poursuivra.” JULIEN-PIERRE NOUEN (LAZARD FUND MANAGERS)
Pari obligataire
En matière de portefeuilles obligataires, le consensus est orienté vers une plus grande prise de risque via les obligations d’entreprise de bonne qualité (investment grade), une classe d’actifs plébiscitée par la plupart des gestionnaires. Autre option: la dette souveraine, principalement américaine même si certains stratégistes recommandent également la dette des pays émergents ou de la périphérie européenne.
Nicolas Didelot, head of product specialists multi asset chez DWS indique que le fonds DWS Concept Kaldemorgen (vainqueur de la catégorie des fonds mixtes au dernier Trends Investment Summit) s’est exposé davantage sur les obligations souveraines américaines à deux ans. “Nous restons prudents, avec une exposition toujours défensive sur les actions (40% des encours dans le fonds) et des positions sur l’or (8%) et le yen japonais (8%).”
Protection
“Nous avons commencé à ajouter du risque dans le portefeuille obligataire depuis septembre 2022, notamment sur les obligations souveraines américaines à 30 ans qui représente aujourd’hui 12,5% du portefeuille d’un fonds comme M&G (Lux) Dynamic Allocation”, indique Christophe Machu. Avec un rendement nominal de 4,5% soit un rendement réel de 2 à 2,5%, ces obligation offrent une forme de protection et de diversification attractive en portefeuilles.”
Chez Lazard Fund Managers, Julien-Pierre Nouen conserve une approche prudente pour les prochains mois, avec une exposition extrêmement faible sur les marchés boursiers. “Vu nos attentes sur l’évolution des taux, nous pensons que le rebond depuis le début 2023 a été trop prématuré.” Le portefeuille obligataire privilégie ici les obligations d’entreprise de bonne qualité (investment grade) et la dette souveraine en Europe. “Nous conservons une position importante sur la périphérie, mais avec des protections contre le risque d’une hausse des taux qui devraient permettre au portefeuille de continuer à bien résister si notre scénario économique se vérifie.”
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