En investissant dans l’art, n’espérez pas un rendement immédiat

© BELGA PHOTO BRAFA - OLIVIER PIRARD

Pour les investisseurs et les grandes fortunes, l’art devient de plus en plus une alternative aux placements ou à la Bourse. Mais si le marché de l’art présente bien des similitudes avec la Bourse, il affiche surtout une différence fondamentale.

Il y a quelques jours, les Palais du Heysel à Bruxelles accueillaient la Brafa, l’une des foires d’art les plus prestigieuses d’Europe. Plus de 130 exposants y étaient présents. Chaque espace d’exposition se distingue par la singularité des œuvres présentées et la mise en scène, parfois audacieuse, des stands. L’art s’impose aujourd’hui comme une opportunité afin de diversifier un portefeuille d’investissements. Pourtant, nombreux sont ceux qui ignorent comment effectuer leurs premiers achats dans ce domaine.

Un premier pas dans ce sens est justement de visiter une foire d’art comme la Brafa afin d’y trouver des conseils et des recommandations sur ce type d’investissement. Et surprenante découverte : les principes de ce marché rappellent fortement ceux de l’investissement traditionnel. Et ce, même si la règle d’or de l’investissement dans les œuvres d’art va à l’encontre des principes classiques de l’investissement boursier.

L’art, un coup de foudre avant tout

« La principale raison d’acheter une œuvre d’art est de l’aimer. Il faut ressentir un véritable coup de foudre », affirme Klaas Muller, marchand d’art basé à Lokeren. « Tout commence par une fascination esthétique pour une œuvre. L’art repose sur l’émerveillement, et en tant qu’acquéreur, vous allez vivre avec cette oeuvre l’art », renchérit Sofie Van de Velde, galeriste anversoise. « Achetez avec vos yeux et votre coeur», conseille également Raf Van Severen, marchand d’art et galeriste à Anvers.

Mais si vous pensez être de ceux qui ignorent totalement ce qu’ils aiment ? Sachez que cette sensibilité peut s’acquérir. « Beaucoup de personnes sous-estiment leurs connaissances en matière d’art. Lorsqu’on les pousse à réfléchir, même ceux qui se considèrent comme totalement novices, se révèlent déjà imprégnés de nombreuses références artistiques. Il suffit simplement de les identifier », explique Sofie Van de Velde. « Ensuite, il faut confronter ces références en visitant des musées, des foires, des galeries. Créez des mood boards, portez attention à l’art lors de vos voyages, discutez-en avec d’autres amateurs. Identifiez ce qui vous fascine chez un artiste en particulier. »

C’est là la principale différence avec l’investissement en bourse : tomber amoureux d’une action ou acheter sur un coup de cœur est l’une des pires stratégies possibles.

Galeries d’art et musées

Maintenant que la principale différence est identifiée, passons aux similitudes. Elles sont nombreuses. Tout commence par la connaissance, y compris pour les investisseurs en art. De la même manière que les investisseurs débutants doivent se familiariser avec les aspects pratiques et financiers des placements, les nouveaux acheteurs d’art doivent s’informer et se former. « Achetez avec vos yeux, mais prenez aussi conseil auprès de quelqu’un de confiance lorsque vous faites vos premiers pas dans le monde de l’art », recommande Raf Van Severen.

L’évaluation joue également un rôle central. Plusieurs éléments permettent de déterminer la valeur d’une œuvre d’art. « La période de création et le courant artistique auquel appartient l’artiste influencent déjà considérablement cette valeur », explique Raf Van Severen. « La signature, l’état général de l’oeuvre – particulièrement pour les œuvres anciennes –, la restauration éventuelle ou encore le sujet de l’œuvre sont également des facteurs déterminants », ajoute Klaas Muller.

Edouard Simoens, de la galerie éponyme à Knokke, souligne l’importance des galeries et des musées. Il prend pour exemple les œuvres de l’artiste américain de pop art Tom Wesselmann, dont il expose lui-même plusieurs pièces. « La Fondation Louis Vuitton, appartenant au groupe de luxe LVMH, a récemment organisé une exposition consacrée à Wesselmann. De telles expositions accroissent la notoriété et la cote d’un artiste. Le branding et le marketing sont des éléments essentiels du marché de l’art », explique-t-il. « Cela signifie aussi que le marché spécule en permanence sur les galeries qui choisiront d’exposer tel ou tel artiste et sur l’impact que cela aura sur leur valeur. »

Il en va de même pour le rôle des musées. « Un artiste dont les œuvres ont été exposées au Museum of Modern Art verra leur valeur s’apprécier », ajoute Simoens.

Sans oublier les foires

Chaque galerie adopte par ailleurs une approche spécifique, qui peut influencer la trajectoire d’un artiste et la valeur de ses œuvres. « Certaines galeries souhaitent que l’artiste leur soit exclusivement affilié. Il n’y a rien de répréhensible à cela, à condition que l’acheteur en soit conscient. D’autres, comme la nôtre, privilégient au contraire les collaborations avec des confrères à l’étranger afin d’accroître la visibilité de leurs artistes », explique Sofie Van de Velde.

Les foires d’art, à l’instar de la Brafa, jouent également un rôle de label de qualité. « Les galeries doivent postuler pour y participer. Et une fois admises, elles sont soumises à des contrôles extrêmement rigoureux sur l’authenticité et la qualité des œuvres qu’elles exposent. Les foires constituent ainsi un filtre essentiel pour les acheteurs potentiels », conclut la galeriste anversoise.

Start-up et valeurs établies

Il existe également deux types de marchés de l’art : le marché primaire et le marché secondaire. Le premier est constitué de galeries et de marchands qui proposent et exposent des œuvres d’artistes vivants avec lesquels ils entretiennent une relation. Il s’agit d’artistes contemporains qui ne sont pas tous considérés comme des valeurs établies. Les acheteurs de ces œuvres en sont les premiers propriétaires, d’où l’appellation de marché primaire. Le marché secondaire, quant à lui, regroupe les maisons de vente aux enchères, les galeries et les marchands qui revendent des œuvres ayant déjà appartenu à un premier acquéreur. Ce marché concerne plus fréquemment des artistes reconnus.

Chaque marché possède sa propre dynamique. « Nous avons un marché de l’art contemporain fantastique. Il faut le préserver, même si les transactions y sont plus spéculatives », observe Klaas Muller. « Sur le marché secondaire, les investissements sont plus sécurisés. Quant aux galeries du marché primaire, elles jouent un rôle crucial en offrant une opportunité aux jeunes artistes », ajoute Sofie Van de Velde. Plusieurs experts présents à la foire Brafa ont d’ailleurs souligné qu’au cours des dernières années, une vague spéculative importante avait déferlé sur le secteur de l’art contemporain.

La comparaison avec les start-up et les entreprises cotées en bourse est pertinente. Les premières doivent encore faire leurs preuves, ce qui explique la volatilité de leur valorisation. Les secondes, en revanche, ont un modèle économique éprouvé, génèrent des bénéfices et affichent une valeur plus stable. « Acquérir une œuvre d’un artiste contemporain est plus risqué. Il arrive parfois de réaliser une belle plus-value, mais on parle rarement des nombreux investissements qui échouent », note Edouard Simoens. « Les œuvres d’artistes établis sont plus coûteuses, mais leur valeur est plus stable. »

Klaas Muller partage cet avis. « L’art plus ancien constitue souvent un investissement plus sûr, à condition de privilégier des œuvres de qualité. Leur valeur progresse régulièrement, notamment parce que ces pièces se raréfient sur le marché. La plupart sont conservées dans des collections privées », explique-t-il.

Un enrichissement personnel

Le vieil adage selon lequel investir est un marathon et non un sprint s’applique également au marché de l’art. « Ne vous attendez pas à devenir riche rapidement », prévient Edouard Simoens. « Comme pour tout marché, une offre qui semble trop belle pour être vraie ne l’est généralement pas », renchérit Raf Van Severen.

Tout dépend de l’objectif de l’acheteur. « Souhaitez-vous uniquement réaliser un profit ou souhaitez-vous constituer, au fil du temps, une collection qui a du sens pour vous ? Dans le premier cas, mieux vaut se concentrer sur des pièces de qualité. Cela peut s’avérer rentable à long terme, même si aucune garantie n’existe. Dans le second cas, l’approche est plus personnelle, car guidée par la passion, ce qui est bien plus enrichissant », conseille Edouard Simoens.

Comme pour les investissements boursiers, la diversification est essentielle dans le marché de l’art. « Construisez votre collection progressivement et veillez à un équilibre entre artistes reconnus et talents émergents. Certaines œuvres prendront de la valeur, d’autres non. La clé reste la diversification », recommande Raf Van Severen.

Le marché de l’art génère d’importants flux financiers, estimés entre 60 et 65 milliards de dollars par an selon la banque UBS. Pourtant, les marchands d’art ne semblent pas uniquement motivés par l’argent. « N’achetez jamais une œuvre en pensant qu’elle doublera de valeur. Si votre seule motivation est le rendement, vous risquez d’adopter une approche trop analytique, alors que le marché de l’art ne répond pas toujours à une logique rationnelle. Cela ne fera que générer de la frustration », avertit Klaas Muller.

« Laissez avant tout l’art enrichir votre vie, ne l’achetez pas uniquement pour la plus-value potentielle. Je n’ai jamais conseillé à quelqu’un d’acquérir une œuvre parce que je pensais qu’elle prendrait de la valeur », conclut Raf Van Severen.

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