Creux conjoncturel dans le secteur du luxe

La Chine représente actuellement près d’un quart du marché mondial du luxe. © Getty Images

Reprise poussive en Chine, prudence des consommateurs américains, crise énergétique en Europe: le secteur du luxe fait face à de nombreux vents contraires. Mais cela ne remet pas en cause les perspectives et les opportunités de long terme.

Le 14 avril 2023, LVMH fait son entrée dans le top 10 des principales capitalisations boursières du monde. Son patron et actionnaire de contrôle, Bernard Arnault, domine le classement des fortunes mondiales avec un patrimoine estimé à plus de 200 milliards de dollars. Et les investisseurs sont prêts à payer 32 fois les bénéfices pour la pépite française, soit plus du double de la moyenne européenne. Rien ne semble alors pouvoir enrayer l’inexorable progression du géant du luxe. LVMH dépasse d’ailleurs à nouveau largement les attentes au premier trimestre avec une croissance organique des ventes de 17% malgré une conjoncture chancelante. “Les valeurs de luxe ne se soucient pas de la vieille économie chinoise”, titre même Peter Garnry, head of equity strategy chez Saxo.

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Ayant défié la gravité pendant plusieurs années, LVMH a toutefois fini par redescendre sur Terre. Depuis le pic de la fin avril, le titre a chuté de plus de 20% et perdu sa place de première capitalisation européenne, dépassé par la pilule anti-obésité de Novo Nordisk. Ce qui reflète avant tout l’atterrissage de sa croissance à 9% au troisième trimestre. De plus, le directeur financier de LVMH, Jean-Jacques Guiony, a prévenu qu’il ne fallait pas attendre de réaccélération. “Après trois années fastes et exceptionnelles, la croissance converge vers des chiffres plus conformes à la moyenne historique.”

En cause notamment: la reprise économique poussive en Chine et l’épuisement de l’épargne accumulée par les Américains durant la pandémie. La croissance des ventes aux Etats-Unis est ainsi passée de 8% au premier trimestre à 3% sur les neuf premiers mois de l’année.

Revers chinois

Ces tendances ont évidemment aussi affecté les autres acteurs de luxe. Le bijoutier et horloger suisse Richemont a vu sa croissance organique fondre à 5% au dernier trimestre clôturé. Kering confirme sa mauvaise passe avec une chute de 13% de son chiffre d’affaires entre juillet et septembre. Rémy Cointreau, dont l’ambition est de devenir le leader mondial des spiritueux d’exception, s’est fendu d’un important avertissement sur résultats, prévoyant désormais une chute de 15% à 20% de ses ventes pour son exercice 2023-2024. Hermès surnage quelque peu, y compris en Bourse, même si sa croissance a fondu de 25% au premier semestre à 16% au troisième trimestre.

Ce coup de mou a ramené à l’avant-plan certains risques qui avaient été éclipsés par l’envolée des résultats. A commencer par la Chine qui représente près d’un quart du marché mondial du luxe, selon une étude de PwC. Avec un taux de chômage record de 20,4% chez les jeunes de 16 à 24 ans et une crise immobilière lancinante, les consommateurs locaux sont moins optimistes. Selon le dernier sondage mensuel d’Agility Research & Strategy, même les ménages les plus aisés sont devenus plus méfiants, notamment en raison de piètres résultats d’investissements (crise immobilière, chute des actions chinoises).

En outre, le fossé grandissant entre la Chine et le monde occidental favorise les marques locales au détriment des griffes internationales. Le phénomène baptisé guochao (vague nationale) est particulièrement marqué chez les jeunes, la génération Z qui est souvent considérée comme la première génération de consommateurs en Chine. Sur le marché des sneakers, relativement proche de celui du luxe, Nike et Adidas en ont déjà fait les frais après leur boycott du coton de la région du Xinjiang pour protester contre la répression des Ouïghours en 2021. En à peine quelques mois, les deux géants mondiaux ont été dépassés par les acteurs locaux Lining et Anta. Nike a ainsi souffert d’une baisse de 9% et de 4% de ses ventes en Chine au cours des deux derniers exercices clôturés.

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Perspectives moroses

Dans les pays occidentaux, la conjoncture est également baissière et la menace de récession réelle. Rachid Mohamed Rachid, président de Valentino, souligne également qu’en Europe, “les touristes dépensent dans les hôtels et les restaurants, mais il ne reste plus grand-chose à dépenser dans les produits de luxe”.

Cette année, la croissance du marché sera bien inférieure aux 10% initialement escomptés, estime ainsi Rachid Mohamed Rachid. Selon un rapport du consultant Bain & Company, la croissance du secteur des biens de luxe pourrait ensuite ralentir à entre 1% et 4% en 2024. Conséquence, les analystes de Morgan Stanley ont réduit leurs prévisions de bénéfices 2024 pour les produits de luxe de 6%. Bank of America les a même rabotées de 7%.

Ce reflux des résultats attendus limite l’impact de la baisse des cours sur les multiples de valorisation. L’indice de référence du secteur, le Stoxx Europe Luxury 10, s’échange ainsi toujours à 23 fois les bénéfices prévus, près du double de la moyenne européenne.

Dans l’immédiat, les perspectives sont donc plutôt négatives pour le secteur du luxe, d’autant plus que les bases de comparaison sont très élevées après l’excellente année 2022. Mais cela ne remet pas fondamentalement en cause le potentiel à long terme, comme l’écrit Andrea Felsted, éditorialiste pour Bloomberg. “Le secteur est confronté à une année difficile mais l’augmentation de la richesse dans de nombreuses régions du monde – et le désir de l’exhiber – devrait continuer à stimuler la demande de sacs Louis Vuitton et de doudounes Moncler”, dit-elle.

Dans son étude annuelle sur le secteur, Bain & Company table ainsi sur une croissance à long terme de 5% à 7% par an. De plus, l’importance de la Chine pour les grands groupes de luxe a déjà sensiblement diminué. Par exemple, la part de la zone Asie hors Japon dans les ventes de LVMH est revenue en 2022 à 30%, au même niveau qu’en 2019. Mais dans l’intervalle, les consommateurs chinois ont fortement accru la part de leurs achats sur place avec la limitation des vols internationaux et le développement de la zone de duty free sur l’île de Hainan. Selon Reuters, les Chinois achetaient 70% de leurs produits de luxe à l’étranger avant la pandémie, notamment en raison des taxes locales élevées. Globalement, Bain & Company prévoit désormais que les consommateurs chinois représenteront de 35% à 40% des ventes mondiales de luxe en 2030 alors qu’il tablait en 2019 sur une part d’au moins 45% en 2025.

Hermès table sur une stratégie centrée et exclusive, à l’image de son sac Birkin, l’un des plus chers au monde et pour lequel il faut parfois patienter six ans.
Hermès table sur une stratégie centrée et exclusive, à l’image de son sac Birkin, l’un des plus chers au monde et pour lequel il faut parfois patienter six ans. © Getty Images

Deux leaders affirmés

En résumé, l’investisseur de long terme peut certainement profiter de l’actuelle passe plus délicate que connaît le secteur pour se positionner. D’un point de vue historique, deux choix semblent s’imposer: LVMH et Hermès. Deux groupes français aux stratégies assez différentes. Alors que LVMH est présent dans tous les segments, Hermès reste très axé sur ses produits iconiques comme le sac à main Birkin, né d’une rencontre fortuite en 1984 entre Jean-Louis Dumas, président d’Hermès, et Jane Birkin. Bien que le prix se compte généralement en dizaines de milliers d’euros, il vous faudra vous montrer patient avec des délais d’attente allant jusqu’à six ans.

Cette stratégie centrée et exclusive permet à Hermès d’afficher une forte croissance et une rentabilité très élevée. Sa marge opérationnelle était de 40,5% en 2022, supplantant largement LVMH (26,6%). Mais ce n’est pas sans risque, nombre de marques connaissant des hauts et des bas, même dans le luxe.

Autoritaire leader du secteur, LVMH présente davantage de garanties pour l’investisseur grâce à ses 75 “maisons”: de Louis Vuitton à Tiffany en passant par Moët et Chandon et Loewe (marque la plus tendance dans le monde selon l’application spécialisée Lyst). De plus, Bernard Arnault a déjà maintes fois démontré sa connaissance du secteur. Rappelons qu’en 2010, LVMH avait annoncé détenir 17% d’Hermès au prix de 80 euros par action et avait continué à gonfler sa participation jusqu’à 23,2%.

Face à l’opposition des actionnaires familiaux majoritaires, rendant impossible tout rapprochement, LVMH avait fini par accepter de distribuer ses titres Hermès à ses actionnaires. Aujourd’hui, l’action cote près de 2.000 euros… La principale incertitude est ainsi la succession de Bernard Arnault (74 ans), mais le groupe a d’ores et déjà repoussé la limite d’âge statutaire à 80 ans.

Options plus spéculatives

Kering est bon marché (14 fois les bénéfices) mais tout investissement est un pari sur le redressement de Gucci qui représente la moitié du chiffre d’affaires du groupe. Arrivé en janvier, Sabato De Sarno, le nouveau directeur artistique de la maison italienne, n’a pas (encore) insufflé de renouveau commercial. A noter que Kering a annoncé l’acquisition de 30% de Valentino pour 1,7 milliard d’euros.

Autre option, Tapestry qui est en train de s’affirmer comme le leader américain du luxe. Le propriétaire de Coach ou Kate Spade a en effet annoncé le rachat de Capri Holding (Versace, Jimmy Choo, Michael Kors). Le groupe fusionné disposera d’une présence géographique plus diversifiée et de marques plus complémentaires.

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