Comment protéger votre argent en Bourse?
Guerre en Ukraine, risque d’embrasement du Moyen-Orient, menace sur l’approvisionnement de pétrole, inflation persistante, ralentissement économique, envolée des taux… Les marchés sont confrontés à d’innombrables sources de tension. L’ajout de valeurs refuges à votre portefeuille vous permettra d’atténuer la volatilité.
Rarement les marchés boursiers auront connu autant d’instabilité que ces cinq dernières années. De la pandémie à la vaccination généralisée, du boom technologique à la résurrection du charbon, de la menace déflationniste à la spirale inflationniste et, in fine, de la hausse à la baisse généralisée. Il y a deux ans, rien ne semblait en effet pouvoir entraver la progression des marchés. La légère poussée inflationniste était cataloguée comme temporaire par les banquiers centraux et l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche devait contribuer à apaiser les tensions géopolitiques.
Embrasement du Moyen-Orient
Rien ne s’est toutefois déroulé comme prévu. Les tensions sur les prix se sont aggravées. La tentative d’invasion de l’Ukraine par la Russie a choqué le monde et les marchés des matières premières, les deux pays étant d’importants producteurs de gaz, de blé ou encore d’aluminium. L’Arabie saoudite a cessé de vouloir maintenir ses parts de marché et privilégié des réductions de production de pétrole afin de soutenir les prix. Aujourd’hui, la situation du Moyen-Orient fait même craindre le pire.
Le conflit qui oppose Israël au Hamas menace d’embraser toute la région à la suite notamment des escarmouches du Hezbollah libanais ou du discours vindicatif du président turc Recep Tayyip Erdoğan, ayant notamment adressé un “vous payerez cela très cher” à Israël et l’Occident. L’Iran n’est également pas en reste alors que les Etats-Unis ont envoyé deux porte-avions en Méditerranée, dont l’USS Gerald R. Ford, le plus gros navire de guerre du monde.
Risque géopolitique
Toujours au chapitre géopolitique, la guerre en Ukraine n’en finit pas et risque fort d’entrer dans une troisième année à la fin de l’hiver. Les tensions entre la Chine et l’Occident sont également très élevées, qu’il s’agisse du sort de Taïwan ou des termes du commerce mondial. Par exemple, l’Europe a récemment ouvert une enquête anti-subventions sur les voitures électriques chinoises alors que les Etats-Unis ont renforcé l’interdiction d’exportation de puces électroniques sophistiquées vers la Chine.
Un environnement mondial délétère qui n’inquiète pas réellement Brian Levitt, stratégiste pour les marchés mondiaux chez Invesco. “Si les conflits militaires mettent à l’épreuve la détermination des investisseurs (…), l’histoire montre que ces événements n’ont pas fait dérailler la progression à long terme des marchés”. La première guerre du Golfe fait office de cas d’école à ce niveau. Quand les chars irakiens envahissent le Koweït en août 1990, les prix du pétrole s’envolent et les Bourses plongent, craignant notamment une extension du conflit à l’Arabie saoudite. Dès le lancement par les Etats-Unis de l’opération Tempête du désert en janvier 1991, le redressement des marchés s’accélère et de nouveaux records sont atteints le mois suivant.
Et c’est loin d’être un cas unique. Depuis la crise des missiles de Cuba en 1962, le S&P 500, principal indice boursier américain, a ainsi affiché en moyenne une hausse de 12,9% au cours des 12 mois suivant chaque pic de l’indice de risque géopolitique.
Pour le stratégiste d’Invesco, l’investisseur doit se poser deux questions pour déterminer l’impact à moyen terme d’un événement quelconque: “Un: cela change-t-il la trajectoire de l’économie américaine? Deux: est-ce que cela change la façon dont la Réserve fédérale américaine va aborder sa politique?”. Ces questions peuvent paraître très américano-centrées mais en Bourse, Wall Street donne le ton de la tendance mondiale.
Et par rapport au conflit au Moyen-Orient, les réponses sont aujourd’hui “non et non”, selon Brian Levitt. En d’autres termes, l’impact sur les marchés ne devrait pas excéder un regain de volatilité au jour le jour en fonction de l’actualité du moment. “A moins d’une extension significative de la guerre, ce qui entraînerait une hausse durable des prix de l’énergie”, dit-il.
Guerre du Kippour
Le scénario qui fait frissonner les marchés est celui de la guerre du Kippour en 1973. La Syrie et l’Egypte avaient alors attaqué par surprise Israël le jour du jeûne de Yom Kippour. Après quelques semaines, l’armée israélienne avait fini par prendre le dessus. Mais les pays arabes de l’Opep (Organisation des pays exportateurs de pétrole) avaient fait pression sur le monde occidental en imposant un embargo (vers les Etats-Unis et les Pays-Bas) et en augmentant fortement les prix du pétrole (de 2,32 à 9 dollars le baril en quelques mois).
Ce qui avait été le début de près d’une décennie de stagflation sur le plan économique, marquée par une croissance atone, une inflation élevée et l’émergence du chômage structurel. Aux Etats-Unis, le taux de chômage avait doublé entre octobre 1973 (4,6%) et mai 1975 (9,0%). En Belgique, le taux de chômage est passé de 1,8% en 1973 à 13,9% en 1983, selon les rapports annuels de la BNB. En Bourse, le S&P 500 avait chuté de 17% en 1973 et 30% en 1974, l’indice n’ayant retrouvé son niveau de fin 1972 qu’en 1987.
Choc pétrolier
Jusqu’à présent, la Banque mondiale constate que “les effets du conflit sur les marchés mondiaux des produits de base sont limités. Les cours du pétrole ont augmenté de 6% environ depuis le début du conflit, tandis que les prix des produits agricoles, de la plupart des métaux et des autres matières premières ont à peine bougé”.
Dans son scénario de référence, l’organisation estime que cela restera ainsi. “Les prix du pétrole devraient atteindre en moyenne 90 dollars le baril au cours du trimestre actuel avant de retomber à 81 dollars en moyenne l’an prochain, en raison du ralentissement de la croissance économique mondiale. Dans l’ensemble, les prix des produits de base devraient baisser de 4,1% en 2024. Ceux des produits agricoles sont appelés à fléchir l’année prochaine compte tenu de l’augmentation de l’offre, et les cours des métaux de base devraient également reculer de 5% en 2024.”
Mais les perspectives s’assombriraient rapidement si le conflit (au Moyen-Orient) s’intensifiait. La Banque mondiale a dressé trois scénarios de perturbation. Dans le pire des cas, similaire à l’embargo de 1973, l’offre mondiale de pétrole enregistrerait une baisse 6 à 8 millions de barils par jour (la production de l’Opep est de 28 mb/j dont 9 mb/j pour l’Arabie saoudite), “provoquant une hausse des prix de 56% à 75% dans un premier temps, soit un prix compris entre 140 et 157 dollars le baril”.
Inflation sous tension
Evidemment, le panorama énergétique mondial n’est plus le même qu’en 1973. Aujourd’hui, les Etats-Unis sont exportateurs nets de produits pétroliers. L’Europe ne dépend quasiment plus du fioul pour son électricité. Globalement, la part du pétrole dans le mix énergétique des 27 pays de l’UE est passée de 54% en 1973 à 38% en 2022 selon les données d’Our World in Data.
Mais une nouvelle flambée du pétrole interviendrait dans un contexte déjà inquiétant sur le front des prix comme en témoignent les chiffres de l’inflation du mois d’octobre en Belgique. L’inflation globale est revenue à 0,36% sur un an, mais uniquement grâce à la rechute des prix de l’énergie. L’inflation sous-jacente (hors énergies et produits alimentaires non transformés) demeure très élevée à 6,55%. C’est plus du triple de l’objectif de 2% fixé par la Banque centrale européenne (BCE) dans le cadre de son mandat de stabilité des prix dans la zone euro.
Toute envolée des prix du pétrole risquerait ainsi de faire dérailler l’actuel processus de désinflation. D’autant plus que l’énergie a aussi un effet sur l’inflation sous-jacente (via par exemple les frais de transport, de chauffage…). Selon une étude de quatre économistes du Centre for Economic Policy Research, une hausse de 10% des prix de l’énergie entraîne une augmentation allant jusqu’à 0,4% de l’inflation sous-jacente aux Etats-Unis et jusqu’à 0,8% dans la zone euro.
Résilience économique ambiguë
L’autre élément soutenant l’inflation est la résilience (surprise) de l’économie. Il y a un an, le chef économiste du Fonds monétaire international (FMI), Pierre-Olivier Gourinchas, prévenait: “Le pire reste à venir et pour beaucoup, 2023 aura l’effet d’une récession”.
Finalement, l’économie mondiale a bien résisté (la seule déception étant la Chine) et le FMI a relevé sa prévision de croissance pour 2023 à 3%. Les Etats-Unis font même preuve d’une résilience à toute épreuve malgré une mini-crise bancaire (faillite de Silicon Valley Bank, sauvetage de First Republic Bank) et l’envolée des taux d’intérêt rendant le crédit bien plus coûteux. Il y a un an, le FMI tablait sur une croissance de 1,6% en 2022 et 1% en 2023. Elle a finalement été de 2,1% l’année dernière et l’organisation a relevé son pronostic pour 2023 à 2,1% également.
C’est a priori une bonne nouvelle, mais la résilience de l’économie entretient la demande de biens et services ainsi que les salaires, ce qui soutient les prix et l’inflation. Cela explique d’ailleurs que les marchés financiers réagissent négativement à chaque (trop) bon indicateur économique et saluent des chiffres conjoncturels plus fébriles. Vendredi dernier, les marchés ont ainsi bondi quand le Bureau of Labor Statistics a annoncé que les créations d’emplois avaient chuté de moitié, le taux de chômage a augmenté (à 3,9%) et la hausse des salaires a ralenti en octobre aux Etats-Unis.
Ralentissement de l’économie
Ce dernier rapport illustre d’ailleurs que l’économie commence à pâtir des taux plus élevés, avec un important retard par rapport à la politique des banques centrales. Traditionnellement, on estime qu’il faut de trois à six mois avant qu’un relèvement de taux directeur d’une banque centrale n’affecte l’économie.
Dans le cas présent, la Réserve fédérale américaine a commencé à relever ses taux il y a 18 mois. Un décalage que les spécialistes expliquent par l’évolution des habitudes de crédit durant la période de taux bas. Les ménages et entreprises ont racheté leurs crédits, opté pour des durées plus longues, limité le recours aux taux variables, ce qui les a protégés (dans un premier temps) du renchérissement du loyer de l’argent depuis l’année dernière.
Mais toutes les bonnes choses ont une fin et certains acteurs sont déjà sous pression. Aux Etats-Unis, la durée moyenne des obligations spéculatives a reculé à 5,2 ans, au plus bas depuis le début des données en 1987, selon l’agence Bloomberg. Ces entreprises vont donc devoir renouveler une importante partie de leurs obligations/crédits au cours des prochaines années en devant offrir des taux bien plus élevés, ce qui va limiter leur capacité d’investissement et peser sur leurs résultats.
Il ne faut toutefois pas attendre que les banques centrales assouplissent leur politique face au ralentissement de l’économie, même en cas de menace d’une récession. Andrew Bailey, gouverneur de la Banque d’Angleterre a d’ailleurs fermement rappelé jeudi dernier qu’il “est bien trop tôt pour envisager des baisses de taux”, évoquant une période prolongée de taux élevés.
L’inflation est en effet perçue comme un risque bien plus important qu’un creux conjoncturel comme le rappelait Pierre- Olivier Gourinchas: “Les pressions sur les prix demeurent la menace la plus immédiate qui pèse sur la prospérité actuelle et future, car elle comprime les revenus réels et fragilise la stabilité macroéconomique”.
L’or comme refuge?
En résumé, il est évident que les marchés financiers font face à de nombreuses tensions et que le conflit au Moyen-Orient ajoute encore une couche de risques supplémentaire. Mais céder à la panique n’est certainement pas indiqué. D’ailleurs, ne faut-il pas acheter au son du canon, selon le vieil adage boursier, attribué à Nathan Rothschild qui a réussi son plus grand coup financier lors de la bataille de Waterloo?
Il peut toutefois être judicieux de consolider votre portefeuille, notamment pour en réduire la volatilité, avec des actifs capables de résister à la géopolitique et à l’inflation. L’exemple le plus connu est l’or, réputé comme la valeur refuge par excellence face aux risques extrêmes (comme les guerres) et à l’inflation. Toutefois, de nombreux investisseurs ont déjà eu cette idée et le cours de l’once a repassé le cap des 2.000 dollars. A l’heure actuelle, les avis sont pour le moins partagés. Les uns annoncent l’once d’or à 3.000 dollars, les autres s’attendent à une répétition du scénario de 2020, quand le cours avait corrigé après avoir atteint un record de 2.075 dollars.
Tout récemment, le bitcoin, surnommé l’or numérique, s’est aussi illustré, profitant de l’engouement des investisseurs pour les actifs décorrélés des autres marchés. Après un doublement de son cours depuis janvier, les perspectives sont incertaines, notamment suspendues à l’autorisation ou pas de produits cotés (ETF) sur le bitcoin par le gendarme boursier américain. Une perspective qui risque d’attiser la volatilité des cryptomonnaies.
Obligations de qualité
Pour une couverture efficace (et rentable), les obligations de qualité s’imposent si vous souhaitez éviter les mauvaises surprises et la volatilité. Une obligation classique n’est certes pas immunisée contre le risque inflationniste, toute hausse de taux se traduisant par une baisse de cours. Mais vous pouvez le limiter en optant pour des titres d’une durée pas trop longue (jusqu’à six-sept ans).
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A titre d’exemple, l’obligation à six ans de l’Etat belge affiche actuellement un rendement de 2,98% par an. Une obligation d’entreprise solide vous offrira un rendement un peu plus élevé, mais vous ne laissez pas séduire par des coupons très élevés d’entreprises avec une mauvaise note financière (inférieure à BBB). Les risques de défaut de paiement sont bien plus grands dans le contexte économique actuel.
Pour investir en obligations, vous pouvez vous adresser directement à votre banque pour obtenir une liste des titres disponibles (avec une coupure raisonnable) par son intermédiaire. A rendement équivalent, vous aurez alors tout intérêt à privilégier les titres avec un cours inférieur d’un point de vue fiscal. Globalement, la plus-value de remboursement (différence entre le montant remboursé à l’échéance et le prix d’achat) n’est pas taxée contrairement aux intérêts (précompte mobilier de 30%). Pour plus de facilité, vous pouvez également opter pour des fonds en obligations (voir exemples ci-dessus).
Obligations indexées et franc suisse
Pour une couverture maximale, vous pouvez également envisager d’investir en obligations indexées sur l’inflation. Le taux est alors moindre, mais tant le capital que les intérêts sont liés à un indice des prix à la consommation, fonctionnant globalement sur le même principe que l’indexation des salaires. Comme pour les obligations classiques, vous avez le choix entre des fonds ou des investissements directs, surtout en titres souverains comme les OATi français, iBund allemands ou BTPi italiens.
Autre option, le franc suisse qui constitue la devise refuge par excellence en raison de la stabilité financière de la Suisse. Le pays est notamment l’un des rares à ne pas avoir vu l’inflation crever les plafonds ces dernières années, le rythme de hausse des prix n’ayant pas dépassé 3,5%. Selon Paul Mackel, responsable de la recherche mondiale sur les devises chez HSBC, “tous les chemins semblent mener à une surperformance du franc”, qui vaut déjà plus d’un euro aujourd’hui. Pour miser sur le franc, vous pouvez notamment opter pour un compte en CHF auprès de votre banque ou des obligations en CHF, dont l’exemple de fonds ci-dessus.
Par son rôle de monnaie de réserve et devise de référence, le dollar américain est aussi considéré comme une valeur refuge. De plus, les taux en dollars sont aujourd’hui plus élevés qu’en euros (5,3% contre 3,7% pour le taux à un an). Certaines banques, dont Belfius ou KBC, vous permettent d’ouvrir des comptes à terme en dollars jusqu’à un an avec des taux attractifs. Les intérêts sont alors soumis au précompte mobilier (30%).
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