Broadcom et Oracle, le vent en poupe, illustrent le tournant de l’IA en Bourse

L’envolée de Broadcom, qui s’est hissée au 7e rang des capitalisations mondiales, porte l’empreinte de l’intelligence artificielle (IA) générative. © Getty Images

Nouvelles coqueluches des investisseurs, Broadcom et Oracle illustrent le tournant que prend l’intelligence artificielle en Bourse. Après trois années dominées par une poignée de pionniers, la menace de la concurrence et des surcapacités pourrait changer la donne.

Encore méconnue d’une partie des investisseurs, Broadcom vient pourtant de se hisser au septième rang des capitalisations mondiales, détrônant Saudi Aramco, mastodonte pétrolier qui fournit à lui seul près de 10% de la production mondiale d’or noir. Comme tant d’autres ascensions stratosphériques depuis le lancement public de ChatGPT, en novembre 2022, l’envolée de Broadcom porte l’empreinte de l’intelligence artificielle (IA) générative. Dans un premier temps, le groupe était resté plutôt à la traîne. En 2023, son chiffre d’affaires n’avait ainsi progressé que de 8%, marquant un net ralentissement par rapport aux deux exercices précédents.

Dans les 113 pages de son rapport annuel, les termes “artificial intelligence” et “AI” (IA en anglais) n’apparaissaient que quatre fois. Un an plus tard, le ton avait radicalement changé. Le compteur grimpait à 34 occurrences et pourrait encore s’emballer dans le rapport 2025. Début septembre, Broadcom a en effet publié des résultats trimestriels spectaculaires, avec un bond de 22% de ses revenus et une envolée de 36% du bénéfice par action, grâce à sa gamme de composants d’IA destinés aux centres de données.

Concurrence pour Nvidia

Les perspectives annoncées ont également électrisé les marchés. Broadcom a en effet dévoilé qu’en 2026, sa croissance dans l’IA dépasserait largement les attentes formulées un trimestre plus tôt, grâce à une commande pluriannuelle de 10 milliards de dollars. Si l’identité du client demeure confidentielle, nombre d’analystes y voient la main d’OpenAI, qui planche sur son propre accélérateur d’IA, rival des solutions de Nvidia.

Pour ce dernier, le créateur de ChatGPT ne représente qu’un concurrent potentiel parmi une véritable armada de prétendants décidés à fissurer son quasi-monopole – le socle même de son insolente réussite financière. À titre d’illustration, Nvidia devrait générer, ce trimestre, un bénéfice net de 30 milliards de dollars, soit davantage que l’ensemble de son chiffre d’affaires de l’année 2023 (27 milliards). Une performance dont la plupart des chefs d’entreprise n’oseraient même pas rêver.

Parmi les autres rivaux potentiels de Nvidia, citons notamment AMD, Meta, Alphabet, Microsoft, Apple, Intel, Amazon ou encore xAI. En Chine, Huawei, Alibaba ou Cambricon – fournisseur de puces de pointe dont l’évolution boursière illustre les immenses attentes – entendent également se positionner dans la course aux accélérateurs d’IA.

En Europe, des start-up comme Graphcore (racheté par SoftBank), Axelera ou Vybium entendent bien grignoter quelques parts de marché.

Ellison dépasse Musk

Broadcom n’est pas le seul retardataire de l’IA à faire des étincelles ces dernières semaines. Dans le cas d’Oracle, on peut même parler de feu d’artifice : le titre a bondi de 36% lors de la seule séance de mercredi dernier, du jamais vu pour une entreprise de cette taille. Cette envolée a été déclenchée par l’annonce d’un quadruplement de ses Remaining Performance Obligations – autrement dit, son carnet de commandes – désormais porté à 455 milliards de dollars.

Le groupe n’a livré aucun détail sur l’identité des clients, se contentant d’indiquer que cette manne provenait de trois contrats majeurs. La seule certitude est qu’ils concernent son pôle d’infrastructures cloud, qui loue de la puissance de calcul pour l’IA. Les revenus de ce segment devraient bondir de 77%, à 18 milliards de dollars, au cours de l’exercice 2025-2026, avant d’atteindre, selon les prévisions, 144 milliards de dollars quatre ans plus tard.

Une bonne fortune qui a surtout souri à Larry Ellison, fondateur et principal actionnaire d’Oracle avec une participation de 41%. À plus de 80 ans, il s’est hissé pour la première fois en tête du classement mondial des milliardaires. Sa fortune a littéralement doublé depuis le 1er janvier pour atteindre 390 milliards de dollars, reléguant Elon Musk au second plan.

Le risque de la concurrence

Avec les récents succès de Broadcom et d’Oracle, l’IA (générative) semble arriver à un premier carrefour boursier. Après trois années d’une progression quasi linéaire, portée avant tout par Nvidia, le cercle des entreprises profitant de cette vague s’élargit enfin.

Mais l’enthousiasme s’accompagne aussi de risques croissants. L’engouement des marchés pour Broadcom repose largement sur sa collaboration avec OpenAI pour concevoir des accélérateurs concurrents de ceux de Nvidia. Ce dernier n’est ainsi pas à l’abri de ce qu’il a fait subir à Supermicro.

Qualifié par Hans Mosesmann, analyste chez Rosenblatt Securities, de “Suisse de l’IA” en raison de sa capacité à capter la croissance globale du secteur, le groupe a perdu plus de 60% de sa valeur boursière depuis mars 2024, alors que Nvidia a lancé ses propres systèmes de refroidissement liquide, concurrençant directement les solutions de Supermicro.

Oracle en plein brouillard

Du côté d’Oracle, le commentateur boursier américain Jim Cramer estime qu’une part substantielle des nouvelles commandes serait liée au projet Stargate. Annoncé en janvier dernier par Donald Trump, ce programme associe OpenAI, SoftBank et Oracle avec l’ambition d’investir 500 milliards de dollars, sur quatre ans, dans les infrastructures IA aux États-Unis. Un cinquième de cette somme devait être déployé “immédiatement”, mais huit mois plus tard, le projet patine. En août, l’agence Bloomberg révélait même qu’aucun dollar n’avait encore été levé.

En outre, si Oracle bénéficie aujourd’hui de la vague IA grâce à son pôle cloud, l’incertitude est bien plus forte pour son cœur de métier : le logiciel, qui représente toujours l’essentiel de ses profits. Les éditeurs de logiciels traditionnels pourraient être confrontés à une concurrence beaucoup plus féroce si l’IA permet effectivement de concevoir des applications plus rapidement et à moindre coût. Pour Sam Altman, cofondateur et CEO d’OpenAI, cette ère du “fast fashion” arrivera très prochainement dans le secteur du logiciel.

Cette inquiétude se reflète déjà en Bourse. Des acteurs comme Salesforce, SAP ou Adobe affichent des performances annuelles nettement négatives, signe que les investisseurs doutent de la solidité de leur modèle économique.

La bonne fortune d’Oracle a permis à son fondateur et principal actionnaire, Larry Ellison, de devenir l’homme le plus riche du monde, au détriment d’Elon Musk. © Getty Images

Adoption freinée

Dernier voile d’incertitude : les investissements colossaux, à l’origine des chiffres records de Nvidia, Broadcom ou Oracle, ne sont-ils pas devenus excessifs ? Amazon, Meta, Microsoft et Alphabet prévoient à eux seuls 364 milliards de dollars de dépenses cette année, soit une hausse de 64% par rapport à 2024 et de 160% par rapport à 2023. Dans l’IA, aucune dépense ne semble superflue, comme le sous-entendait, l’an dernier, Sundar Pichai, CEO d’Alphabet : “Pour nous, le risque de sous-investir est bien plus grand que celui de surinvestir.”

À court terme, les marchés lui donnent raison. Mais combien de temps cette surenchère pourra-t-elle durer, alors que l’adoption de l’IA par les entreprises s’avère beaucoup plus lente qu’espéré. Selon une étude du MIT, 95% des projets pilotes en IA générative échouent, faute de rentabilité. Les principaux obstacles sont globalement liés à l’intégration, mais freinent de facto l’adoption de l’IA.

Comme Internet ?

Pour l’investisseur, la prudence reste de mise, en particulier vis-à-vis des groupes qui fournissent les infrastructures cloud – Nvidia et Broadcom en tête.

Chez les géants du cloud et des centres de données (Amazon, Alphabet, Microsoft, Oracle, Meta), le risque est que les investissements colossaux engagés ne génèrent pas les revenus attendus. Or, ces dépenses massives pèseront lourdement sur leurs comptes dans les prochaines années, via l’amortissement des infrastructures déployées aujourd’hui.

Paradoxalement, les acteurs développant des solutions concrètes à partir d’IA sont restés jusqu’à présent en retrait. Mais ils seraient les premiers bénéficiaires d’une surcapacité et d’une concurrence accrue dans l’IA. Ce qui n’est pas sans rappeler l’essor d’Internet : ce ne sont pas les fournisseurs d’équipements ou les opérateurs de réseaux, plébiscités par les investisseurs à la fin des années 1990, qui ont tiré le plus grand profit de la révolution numérique, mais bien les acteurs capables d’offrir les meilleurs contenus et services.

Pour l’instant restés en retrait, les acteurs développant des solutions concrètes à partir d’IA seraient les premiers bénéficiaires d’une surcapacité et d’une concurrence accrue dans l’IA.

Basés sur l’IA

Parmi ces solutions basées sur l’IA, la plus emblématique reste bien sûr ChatGPT, qui revendique quelque 700 millions d’utilisateurs hebdomadaires. Mais sa maison mère, OpenAI, n’est pas (encore) cotée en Bourse et dépend aussi du segment professionnel, plus concurrentiel.

Du côté des sociétés cotées, plusieurs acteurs méritent l’attention. CrowdStrike, spécialiste américain de la cybersécurité dans le cloud, recourt à l’IA pour détecter les menaces plus efficacement. Snowflake, cofondée notamment par deux entrepreneurs français, a intégré l’IA dans ses solutions de gestion et d’analyse de données dans le cloud. SoundHound s’impose dans les solutions vocales, tandis que Tempus AI applique l’IA à la santé, que ce soit dans le diagnostic médical ou pour l’accélération du développement de nouveaux médicaments.

En Europe, quelques champions se distinguent surtout dans le monde des entreprises : Dassault Systèmes, qui ambitionne de devenir le leader des solutions industrielles basées sur l’IA ; Capgemini, qui accompagne les entreprises dans l’intégration concrète de cette technologie ; ou encore le britannique Relx, groupe d’informations professionnelles qui a investi très tôt dans l’IA.

Retenons enfin les éditeurs de logiciels comme ServiceNow, SAP, Adobe ou Monday.com. Le pari est plus risqué au vu des performances de l’IA générative en codage, mais potentiellement rémunérateur après la récente correction.

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L’intelligence artificielle est présente dans la plupart des secteurs, ou presque, avec ses partisans et ses détracteurs, mais quel est son impact?

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