Entreprendre pour un monde meilleur: toujours plus de convergence entre investissements traditionnels et sociaux
Les philanthropes de risque et les investisseurs sociaux utilisent l’approche des investisseurs traditionnels pour créer une plus-value sociale. Si l’impact social est l’objectif, le rendement financier est un dérivé.
Le capital-risque, une notion qui suppose un certain héroïsme et qui évoque une tête brûlée finançant des entreprises et des projets qui donneraient des sueurs froides à l’investisseur espagnol moyen. De plus en plus d’investisseurs appliquent l’approche du capital-risque à des projets caritatifs, sans but lucratif et à impact social.
Les philanthropes de risque ou venture philanthropists et les investisseurs sociaux soutiennent financièrement des projets et des entreprises jeunes et à risque en visant un impact social maximal. Ce dernier peut mais ne doit pas forcément être couplé à un rendement financier.
“La philanthropie de risque est une forme de philanthropie entrepreneuriale qui s’appuie sur trois principes fondamentaux”, ajoute-t-il. “Elle implique en premier lieu une gestion parfaitement raisonnée de l’impact social des investissements. Il faut avoir une idée claire de la valeur ajoutée sur le plan social. Elle intègre en deuxième lieu des moyens non-financiers, du coaching par exemple, dont l’importance est tout aussi importante pour la réussite d’un investissement.” L’enquête annuelle de l’EVPA montre que 90% des philanthropes de risque associent un soutien extra-financier à leurs investissements. “En troisième lieu, le soutien financier est calqué sur mesure pour l’organisation. Il peut prendre la forme de dons, de prêts ou de participations dans le capital-actions.”
L’impact est au coeur de l’approche en matière d’investissements. “Les philanthropes de risque ne se contentent pas de donner aux organisations les moyens de développer leurs activités, ils les jugent également selon leurs résultats et la contribution sociale plus large qu’ils apportent”, explique Steven Serneels.
Stratégie de sortie
En Belgique, la Fondation Roi Baudouin a lancé en 2009 un Fonds Venture Philanthropy (VPF). Entre-temps, 8 millions d’euros ont été investis dans 104 projets, uniquement par le biais de dons. “Nous voyons dans la philanthropie de risque une méthode pour développer les capacités des organisations soutenues. Les projets sont sélectionnés par un comité indépendant”, explique Sophie Van Malleghem, coordinatrice du VPF. “En plus de fournir du soutien et de l’accompagnement, nous fixons des objectifs concrets et proposons un plan pour les réaliser.”
Le VPF a soutenu deux projets de l’asbl Onafhankelijk Leven qui accompagne les personnes souffrant d’un handicap vers le logement en autonomie. “Cela nous a aidés à définir un modèle d’entreprise et à mettre sur pied des projets visant à apporter une aide plus efficace à nos clients”, détaille sa porte-parole Kim Vercruysse. “Nous avons lancé un projet pilote pour accompagner et conseiller les parents d’enfants atteints d’un handicap. Il fait aujourd’hui partie intégrante de notre fonctionnement. En collaboration avec le VPF, nous avons aussi élaboré une convention type qui sera utilisée par nos clients pour négocier avec les fournisseurs d’équipements. Nous voulons utiliser nos ressources de la manière la plus efficace et la plus stratégique possible. Le VPF nous a énormément aidés à cet égard.”
Cet objectif de résultat est important selon Steven Serneels. À l’instar des capitalistes de risque, les philanthropes de risque investissent avec un but en point de mire. “Mettre une organisation sous perfusion financière n’a rien de compliqué. Encore faut-il voir ce qui se passe quand on la retire. Un philanthrope de risque pense à établir une stratégie de sortie en vérifiant que son investissement continue à produire ses effets après son retrait ou qu’un autre financement peut être trouvé”, explique-t-il.
C’est ce qui le différencie du philanthrope traditionnel. “Donner de l’argent sans poser de questions est relativement facile”, déclare Steven Serneels. “Il est plus difficile d’y lier un engagement axé sur les résultats et de réfléchir à l’avance à la façon dont vos investissements peuvent voler de leurs propres ailes.”
Investisseurs sociaux
Les philanthropes de risque font des dons et des donations. Les investisseurs sociaux vont plus loin. “Ils entrent dans le capital d’une organisation”, précise Steven Serneels. “En plus d’un impact, ils attendent aussi un résultat financier.”
Le fonds d’investissement belge à impact social Kampani soutient des coopératives agricoles en Afrique, en Asie et en Amérique latine. “Nos investissements ont pour objectif d’assurer un meilleur revenu aux agriculteurs soit en augmentant le chiffre d’affaires, soit en instaurant des prix plus élevés et plus équitables”, explique le directeur Wouter Vandersypen. “Notre investissement moyen se monte à 300.000 euros. Nous attendons de chaque investissement un rendement de 8 à 12%. Mais ce genre d’accords n’est pas évident à trouver. Les coûts de gestion et les accords avortés nous permettent juste d’atteindre le seuil de rentabilité.
L’effet des investissements sur le revenu des agriculteurs constitue le principal indicateur de l’impact de Kampani. “Notre investissement dans une coopérative de café au Burundi en est un bon exemple”, illustre Wouter Vandersypen. “Depuis notre investissement il y a trois ans, la part du café burundais qui passe par cette coopérative a grimpé de 8 à 15%.”
Même si son objectif diffère, l’approche de Kampani est identique à celle des investisseurs traditionnels. “Nos processus de décision, la répartition des tâches entre le comité d’investissement et le gestionnaire du fonds, et la manière dont nous analysons les investissements, sont les mêmes que ceux des fonds de capitaux privés. Nous y avons juste greffé un impact social”, ajoute Wouter Vandersypen. D’ici la fin de l’année, Kampani souhaite que le fonds dispose de 8 millions d’euros. “L’objectif est de les investir dans une vingtaine d’accords d’une durée d’environ huit ans, et de faire tourner le fonds en continu.”
Faire bouger les secteurs
L’investissement socialement responsable gagne toujours plus de terrain dans les cercles d’investissement traditionnels, mais il se distingue à plusieurs égards de la philanthropie de risque. “Les acteurs traditionnels comme les fonds de pension investissent dans des secteurs durables pour sécuriser leur rendement financier à long terme. L’impact social est ici le moyen d’atteindre ce but”, déclare Steven Serneels. “Chez les philanthropes de risque et les investisseurs sociaux, c’est l’inverse : l’impact est l’objectif, le rendement financier un dérivé. Ce rendement est tantôt inexistant, tantôt effectif.”
L’horizon temporel constitue une autre différence importante. “Le secteur financier se caractérise par une réflexion à court terme, comme par exemple en trimestres ou parfois même en jours ou en minutes. Les philanthropes de risque ont conscience du fait qu’en raison de la complexité des questions sociales, les solutions peuvent prendre des années, voire des générations.” Malgré cela, les deux mondes ont plus que jamais besoin l’un de l’autre, estime Steven Serneels. “Les philanthropes de risque et les investisseurs sociaux excellent dans l’innovation sociale grâce à leurs liens étroits avec le terrain”, dit-il. “Ils sont moins performants quand il s’agit de mettre en oeuvre ces innovations à grande échelle. Les financiers traditionnels en sont capables, mais ils sont plus éloignés des bénéficiaires sociaux.
“Pour faire bouger les secteurs, chacune de ces deux parties doit reconnaître la valeur de l’autre. L’expérience a été concluante avec les microcrédits et la technologie verte. Aujourd’hui, il faut la tenter entre autres dans les logements sociaux, l’accompagnement professionnel et l’accueil des réfugiés”, espère Steven Serneels.
Traduction : virginie·dupont·sprl
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