Cycle de baisses des taux de la BCE et de la Fed, quel impact sur le marché ?
Baisse des taux à la BCE la semaine dernière, baisse, très probable, à la Fed ce mercredi : quel est leur impact sur le marché, à moyen terme ? Eléments de réponse avec Mathieu Savary, stratège en chef pour le marché européen auprès de BCA Research, qui s’attend à une récession au début de l’année 2025. Comment peut-on protéger son portefeuille dans ce contexte ?
Pas de sauts de joie sur le marché européen depuis l’annonce de la décision de la BCE la semaine dernière. Comment peut-on l’interpréter ?
Mathieu Savary : “La baisse des taux, premièrement, était attendue. Donc ça n’a pas apporté de nouvelles informations au marché. La BCE a entrouvert, et je suis très généreux en utilisant ce terme, la possibilité d’une réduction des taux en octobre. Mais la barre est très très élevée, donc le scénario principal reste une baisse au mois de décembre. Rien de vraiment nouveau, ce qui veut dire que les actions européennes n’ont aucune raison de vraiment se comporter de manière différente des actions américaines, qui continuent à déterminer le ton des marchés mondiaux.”
Quel pourrait être le parcours des taux d’intérêt de la BCE, à moyen terme ?
“Chez BCA, nous sommes du point de vue qu’une récession se profile pour l’économie mondiale ainsi que l’économie européenne. Donc, nous nous attendons à une accélération éventuelle du rythme auquel la BCE réduit les taux. Cependant, c’est difficile de déterminer exactement quel va être le moment où ce pivot s’effectue. Selon nous, cela va être quelque part durant le premier trimestre de 2025, c’est là que les données se seront détériorées. De façon suffisante pour commencer à justifier un rythme plus accéléré de réductions des taux.
Mais le risque est balancé des deux côtés. Cela pourrait commencer tôt dans le trimestre, si les données sont vraiment détériorées en fin d’année 2024. Comme cela pourrait commencer un peu plus tard, si les données restent correctes avant qu’il y ait une diminution rapide de l’activité. Car notre analyse montre qu’historiquement, l’économie se porte correctement et qu’elle chute soudainement, durant une récession. Il n’y a pas un ralentissement progressif où on tend doucement vers une récession. Elle est souvent un événement un peu soudain.”
Dans ce contexte de récession et de baisse des taux, quels sont les secteurs qui peuvent le mieux résister ?
“Il y a quelques semaines, on a effectué un exercice, suite aux problèmes dans les carry trades, qui est généralement un des éléments qui se produit avant une récession. Et on voit que les secteurs qui performent le mieux, surtout en Europe, ce sont les consumer staples (biens de consommation quotidiens, NDLR), et les actions de la santé.
On voit aussi les actions suisses, qui ont une surperformance élevée. Qui est en partie due à une appréciation du franc suisse par rapport à l’euro. C’est un phénomène qui a déjà commencé et nous nous attendons à ce qu’il continue dans les mois à venir. Au minimum jusqu’au moment où la Banque nationale suisse panique et met un plafond sur le franc suisse. Mais ça restera un environnement positif pour les actions suisses, car en mettant un plafond sur le franc, elle ajoute beaucoup de liquidités au marché bancaire suisse, ce qui est positif pour les valorisations.
Donc généralement, notre préférence à l’heure actuelle est de sur-pondérer les actions défensives par rapport aux actions cycliques, avec une préférence pour les consumer staples et la santé, et une sur-pondération aussi des actions suisses par rapport aux actions de la zone euro.”
Cette semaine, il y a la réunion de la Fed, aux États-Unis. La baisse des taux est très probable et très attendue aussi. Mais l’envergure n’est pas encore sûre. Pensez-vous qu’il s’agira plutôt de 25 ou de 50 points de base ?
“Mon collègue, stratège qui couvre la Fed, dit qu’à l’heure actuelle, c’est 50-50. D’habitude, s’il va y avoir 50 points de base, on a une communication claire de la Fed, avant cette baisse. Cela n’a pas eu lieu, mais on a vu vendredi dernier plusieurs articles, en particulier du Wall Street Journal, qui suggèrent que le comité y pense définitivement. La Fed n’a pas encore donné les signaux habituellement liés à cette baisse de 50 points de base, parce qu’elle n’a pas eu le temps, tout simplement. Mais on pense que c’est pile ou face.
Le marché risque d’être déçu si c’est 25 points de base, ça c’est un risque.”
Si c’est 50 points de base, est-ce que cela pourrait être un signe alarmant ?
“Les conditions sont bonnes pour faire 50 points de base. On voit quand même un ralentissement de certains pans de l’économie américaine… qui se portent mal, soyons honnêtes. Le secteur de l’emploi commence à avoir des détériorations significatives, on voit le secteur industriel qui commence à souffrir. Le marché comprend que les conditions sont bonnes pour faire 50 points de base, donc il n’y aurait pas de nouvelles dans ça. Même à court terme, il pourrait y avoir un rebond des actifs à risque s’il y a une réduction de 50 points de base. Le marché se dira que la probabilité d’un atterrissage en douceur augmente. Mais selon nous il est trop tard, une baisse de 50 points de base ne permettra pas d’éviter la récession, les problèmes sont trop profonds.”
Sur les mois à venir, pensez-vous qu’il y aura une stratégie différente de la Fed par rapport à la BCE ? Ou est-ce que les deux vont suivre plus ou moins le même parcours de baisses ?
“Les deux devraient suivre à peu près le même nombre de baisses. Ce qui est d’ailleurs négatif pour l’euro. Parce qu’à court terme, sur les six prochains mois, il y a beaucoup plus de réductions des taux d’intérêt prévues par le marché aux États-Unis qu’en Europe. Donc si les deux banques centrales bougent au même rythme, les écarts de taux vont bouger d’une façon négative pour l’euro.”
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