Perrier, Vittel, Contrex et Hépar: des eaux minérales à l’avenir incertain

Nestlé navigue en eaux troubles depuis le scandale de la fraude à la source qui ébranle l’économie de l’eau en bouteille.
Pendant des décennies, les marques Perrier, Vittel, Contrex et Hépar ont incarné un certain idéal de l’eau minérale : pure, saine, protégée par la nature. Mais derrière l’étiquette « eau minérale naturelle », un scandale aux ramifications sanitaires, réglementaires et industrielles remet en cause tout un modèle économique. Le géant suisse Nestlé, propriétaire de ces emblèmes liquides, est désormais sommé par l’État français de revoir sa copie et – peut-être – de tourner une page de son histoire.
Quand l’eau pure ne l’est plus
C’est dans la discrète commune de Vergèze, dans le Gard, que l’affaire éclate. En janvier 2024, une enquête de Radio France et Le Monde révèle que Nestlé a recours à des traitements interdits – filtres UV, charbon actif, microfiltration – pour « nettoyer » ses eaux. Problème : selon la réglementation européenne de 2009, une eau minérale naturelle ne peut subir aucun traitement de désinfection, sa « pureté originelle » devant être garantie à la source.
Or ce que les hydrogéologues mandatés par le préfet du Gard vont démontrer quelques mois plus tard est accablant. La source Perrier est contaminée de manière récurrente (notamment par des bactéries fécales) et la « pureté originelle » n’est plus garantie selon Le Monde. Les filtres installés (0.2 microns) ne suffisent pas à assurer la sécurité sanitaire (ils laissent passer des bactéries et certains virus) et modifient le « microbisme », soit la flore microbienne de l’eau. De quoi altérer sa qualité et rendre son appellation illégitime.
Une rupture historique ?
Toujours selon Le Monde, le préfet du Gard donne à Nestlé deux mois (à partir du 7 mai 2025) pour cesser l’utilisation des filtres. Le préfet, qui a reçu les avis défavorables de l’Agence régionale de santé et des hydrogéologues, pourrait, en cas de non-conformité, retirer à Perrier le droit de se revendiquer « eau minérale naturelle ». Ce qui serait une rupture historique pour une marque commercialisée depuis 1903 et exportée dans plus de 140 pays.
Parallèlement, la préfecture du Gard a précisé poursuivre “l’instruction de la demande de renouvellement de l’autorisation”, et sa décision “devra intervenir avant le 7 août” précise l’AFP. Dans un communiqué Nestlé Waters France, filiale du géant suisse de l’agroalimentaire précise qu’”une solution technique va être recherchée pour le site de Vergèze » et « si elle est acceptée, (cela) pourrait permettre au préfet d’envisager d’autoriser la poursuite de l’exploitation ». “Nous allons nous attacher à nous conformer aux demandes des autorités”, a encore souligné à l’AFP Muriel Lienau, présidente de Nestlé Waters & Premium Beverages, “espér(ant) trouver des solutions adaptées aux spécificités de chacun de nos sites”
Perrier, Contrex, Hépar : des marques en sursis
Selon France Info, le préfet des Vosges adopte une position identique pour le site de Vittel, d’où proviennent également les eaux Contrex et Hépar. Si Vittel n’utilise pas exactement les mêmes filtres que Perrier, elle n’échappe pas à la suspicion : des épisodes de pollution y ont également été documentés.
En mars et avril 2025 encore, des analyses internes font état de bactéries intestinales dans certaines productions Perrier.
Les conséquences économiques se font déjà ressentir puisqu’à plusieurs reprises, Nestlé a dû stopper la production ou détruire des millions de bouteilles non conformes. Les conséquences industrielles sont elles aussi potentiellement explosives. À Vergèze, ce sont 1 000 emplois qui sont en jeu.
Un scandale sanitaire doublé d’un raté politique
Ce n’est d’ailleurs pas seulement la qualité de l’eau qui est en cause, mais aussi la gestion du dossier par les pouvoirs publics. Depuis 2022, des rapports internes alertent sur les risques sanitaires liés à la contamination des forages. En 2023, la Direction générale de la santé préconise la suspension des activités à Vergèze et à Vittel. Mais l’Élysée choisit alors de ne pas suivre ces recommandations, cédant au lobbying de Nestlé, qui invoque l’impact économique et social d’un arrêt brutal.
Le Sénat français ouvre tout de même en 2024 une commission d’enquête sur les pratiques du secteur de l’eau embouteillée. Car Nestlé n’est pas seul dans le collimateur. Le groupe Sources Alma (Cristaline ou Saint-Yorre) est aussi concerné. Ses conclusions, attendues mi-mai 2025, pourraient amplifier encore la pression politique.
Nestlé se désengage de l’eau en France
Dans ce contexte, Nestlé semble déjà préparer l’après. En novembre 2024, le nouveau patron Laurent Freixe annonce la filialisation de l’activité des eaux dès janvier 2025. Une stratégie déjà éprouvée après le scandale Buitoni : Nestlé s’était séparé de son usine de pizzas contaminées en France en créant une coentreprise avec un fonds d’investissement. Le même schéma pourrait s’appliquer à l’eau.
Nestlé a aussi lancé « Maison Perrier », une gamme de boissons aromatisées qui ne porte plus l’appellation « eau minérale naturelle ». Produites à partir d’eau traitée, ces boissons contournent la réglementation et témoignent d’un changement de cap stratégique.
Un impact économique à relativiser… pour l’instant
Curieusement, cette tempête sanitaire n’a pas encore affecté les résultats financiers de Nestlé. Au premier trimestre 2025, son chiffre d’affaires progresse de 2,3 %, à 24 milliards d’euros. La division eaux, qui ne représente que 3,5 % des ventes du groupe, continue même de croître (+3,9 %). Mais l’image de la marque est ébranlée.
Le parquet de Paris a ouvert une information judiciaire pour « tromperie ». Nestlé a déjà payé une amende de 2 millions d’euros en septembre 2024 pour éviter un procès dans les Vosges. La Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF), de son côté, évoque « des pratiques pouvant relever d’infractions pénales ». Si la justice confirme les accusations de « tromperie » sur la nature des produits, l’impact juridique et réputationnel pourrait à terme dépasser les frontières françaises.
Vers une refondation de l’économie de l’eau ?
Le scandale Perrier marque peut-être le début d’un tournant pour toute une filière fondée sur la naturalité et la confiance du consommateur. La montée des pollutions diffuses, notamment agricoles, rend de plus en plus difficile la promesse d’une eau 100 % pure à la source. Face à cela, deux choix émergent : adapter les normes européennes à la réalité du terrain… ou transformer radicalement la façon dont nous produisons et consommons l’eau en bouteille.
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