Géopolitique: ce que cache vraiment le prix des œufs

Oeuf © Getty

Dans un monde marqué par l’instabilité et les rivalités commerciales, un indicateur économique inattendu émerge : l’œuf.

Dans un contexte où les indicateurs macroéconomiques peinent parfois à refléter les tensions quotidiennes ressenties par les populations, certains aliments se révèlent être des baromètres inattendus, mais précieux.

L’indice Big Mac

Longtemps l’indice Big Mac a été la référence du genre. L’indice Big Mac est un indicateur économique informel qui permet de comparer la parité de pouvoir d’achat (PPA) entre différentes devises à travers le monde. Créé en 1986 par The Economist, il repose sur un principe simple : un même produit standardisé, le Big Mac de McDonald’s, est vendu dans de nombreux pays. À partir de son prix local, on peut évaluer si une monnaie est surévaluée ou sous-évaluée par rapport au dollar américain. Cet indice a toutefois des limites puisqu’il ne tient pas compte des différences de coûts locaux (salaires, loyers, fiscalité). Il souffre aussi du fait qu’il est principalement urbain et ne vaut que là où McDonald’s est implanté. Il ne reflète pas non plus les distorsions structurelles des économies (subventions, monopoles, etc.).

L’œuf sensible aux imprévisibilités

Autant de points qui ne concernent pas l’œuf puisqu’il est un aliment universel, bon marché et culturellement ancré. Bien sûr, on pourrait lui reprocher un manque d’homogénéité puisqu’il peut y avoir plusieurs sortes d’œufs (bio, de plein air, …), mais pas de quoi fausser la donne selon Slate. D’autant plus qu’en moyenne trois quarts des œufs sont consommés dans le pays de production. Ce qui fait que le prix des œufs reflète l’inflation, les barrières commerciales, mais aussi les fluctuations monétaires.

Et contrairement à l’indice Big Mac, il est aussi sensible aux imprévisibilités et tensions qui composent notre système économique mondialisé en pleine fragmentation. Sa production dépend d’une série d’intrants sensibles (alimentation animale, énergie, logistique, équipements d’élevage). Cela en fait un indicateur très réactif aux perturbations — qu’elles soient agricoles (grippe aviaire), politiques (sanctions), ou économiques (inflation importée).  

Un marqueur concret de tendances abstraites

À l’image des pénuries en Russie, causées par l’isolement géopolitique, ou de l’inflation galopante aux États-Unis, liée aux tarifs douaniers de l’ère Trump, l’œuf reflète également des réalités géopolitiques bien tangibles. Dans un contexte de sanctions, d’alliances instables et de dépendances alimentaires, l’œuf devient une donnée stratégique.

Tout cela fait que l’œuf s’est peu à peu mué en un marqueur concret de tendances abstraites telles que la fragilité des chaînes d’approvisionnement, des chocs géopolitiques et des tensions sociales. D’autant plus qu’au-delà de son importance nutritionnelle, l’œuf a également une valeur symbolique forte dans de nombreuses cultures, rendant ses pénuries d’autant plus sensibles politiquement. Et lorsqu’un Vladimir Poutine s’excuse publiquement pour la flambée des prix, il reconnaît, malgré lui, l’impuissance d’un État face aux lois du marché globalisé.

Le sac de riz, un autre indicateur des tensions sociales

L’œuf n’est néanmoins pas le seul aliment qui peut servir d’indicateur. Dans de nombreux pays, c’est le riz, denrée de base pour plusieurs milliards de personnes, qui devient le thermomètre social par excellence.

En Asie du Sud-Est ou en Afrique de l’Ouest, les prix du riz sont un facteur déclencheur de protestations, parfois violentes, face à la dégradation des conditions de vie. Loin des salles de marché, les hausses de prix du riz sont souvent perçues comme une alerte immédiate de stress économique. Elles révèlent la vulnérabilité des gouvernements face à la pression populaire. Ces flambées sont liées à la météo, aux rendements agricoles, aux régulations commerciales ou à la spéculation internationale.

Des indicateurs « du quotidien » qui anticipent des ruptures parfois encore imperceptibles

Que ce soit pour l’œuf ou pour le riz, ce sont là autant de signaux qui viennent la consommation ordinaire. Des indicateurs « du quotidien » qui  révèlent des tensions profondes, voire anticipent des ruptures parfois encore imperceptibles sur les marchés plus classiques. Face à une inflation multiforme, à des chaînes logistiques fragiles et à des politiques commerciales instables, ce sont aussi des baromètres informels, à la fois locaux et globaux qu’on aurait tort d’ignorer.

Contrairement aux crises passées, les chocs d’aujourd’hui semblent défier les modèles traditionnels de prévision. Parfois, ce n’est pas dans les taux d’intérêt ou les rendements obligataires que se joue l’avenir économique, mais dans le prix d’une douzaine d’œufs. Et comme pour les œufs de Fabergé ou ceux de Kinder, il arrive que l’œuf cache une surprise.

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