Face aux dangers de Temu, l’Europe doit passer à la vitesse supérieure pour protéger les consommateurs

L’essor du commerce électronique a révolutionné les habitudes d’achat, mais soulève aussi des préoccupations majeures concernant la sécurité des consommateurs, notamment face à des plateformes internationales à succès comme Temu ou Shein.

Plusieurs millions de colis déferlent chaque jour en Europe, commandés sur des plateformes étrangères, souvent asiatiques mais aussi américaines. En Belgique, les flux d’importation explosent, avec probablement la barre des 100 millions qui sera dépassée en ce mois de novembre, marqué par le traditionnel Black Friday. 4 acteurs majeurs – Temu, Shein, Alibaba et Amazon – génèrent à eux seules plus de 40% de ces colis.

Damien Jacob, spécialiste en e-commerce, évoque pour Trends Tendances les dangers posés par ces sites étrangers d’e-commerce. Il avance les mesures que l’Europe pourrait prendre pour mieux protéger les consommateurs et garantir un environnement de commerce électronique plus sûr et équitable.

Quels sont les principaux dangers associés à Temu and co?

Les principaux dangers associés à Temu et à d’autres sites de commerce électronique non européens incluent les fausses réductions, les jeux bidons, les faux avis de consommateurs, les comptes à rebours manipulés, et le non-respect des garanties légales. De plus, il y a des problèmes de non-conformité des produits, comme les jouets, les cosmétiques, et les compléments alimentaires, qui peuvent poser des risques pour la santé et la sécurité des consommateurs.

Pourquoi ces sites posent-ils un problème particulier pour les consommateurs européens ?

Ces sites posent un problème particulier car ils opèrent souvent en dehors des juridictions européennes, ce qui rend difficile l’application des réglementations et des sanctions. De plus, les mécanismes de carrousel de TVA et les déclarations de valeur incorrectes des produits compliquent la taxation et le contrôle des importations.

Comment les commerces européens sont-ils affectés par ces pratiques?

Les commerces européens qu’ils soient physiques ou en ligne sont affectés par une concurrence déloyale, car ils doivent se conformer à des réglementations plus strictes et sont plus facilement repérables et sanctionnés. Cela crée un déséquilibre où les commerces européens sont pénalisés tandis que les acteurs non européens peuvent opérer avec plus de liberté, voire une certaine impunité.

Des mesures conservatoires immédiates devraient être mises en place pour arrêter dès maintenant ces pratiques douteuses le temps que des enquêtes plus approfondies soient menées.

Quelles mesures l’Europe pourrait-elle prendre pour protéger les consommateurs contre ces dangers?

L’Europe pourrait prendre plusieurs mesures pour protéger les consommateurs. Tout d’abord, il est crucial d’améliorer les contrôles aux frontières en utilisant des algorithmes et des analyses de risque pour détecter les produits problématiques. Ensuite, il serait bénéfique de renforcer les effectifs des services de contrôle et de sanction pour appliquer les règles plus efficacement. Une meilleure coordination entre les autorités nationales et européennes pourrait permettre une réponse plus rapide et plus efficace aux problèmes identifiés. De plus, des mesures conservatoires immédiates devraient être mises en place pour arrêter dès maintenant ces pratiques douteuses le temps que des enquêtes plus approfondies soient menées. Sinon, nous sommes partis pour attendre des années avant qu’il n’y ait d’actions concrètes.

Quelles formes pourraient prendre ces mesures en urgence?

L’UE pourrait envisager une mesure de déréférencement des plates-formes en infraction, cela a d’ailleurs déjà été fait par la DGCCRF – Ministère de l’Économie en France pendant la crise Covid en 2021 avec la plate-forme Wish. Ou encore, la suspension, dès le premier jour d’entrée en vigueur du RSGP, le Règlement relatif à la sécurité générale des produits, à partir du 13/12 prochain, des autorisations d’entrée sur le territoire européen des produits provenant des vendeurs sur ces plateformes tant qu’elles ne sont pas en mesure de prouver pour chaque vendeur et fabricant le respect de ce règlement sur la sécurité des produits.

Cela peut-il se jouer plus rapidement au niveau des Etats ?

Oui, un exemple notable est donc celui de Wish. En France, le site a été déférencé pour des pratiques similaires à celles de Temu. Cela montre que même les sites français peuvent être confrontés à des mesures légales pour non-conformité aux réglementations européennes. C’est un signe que les autorités sont prêtes à agir, dans l’urgence.

Le Digital Services Act (DSA) peut-il aider à résoudre rapidement ces problèmes?

Le Digital Services Act (DSA) (ndlr: règlement sur les services numériques) pourrait potentiellement aider à résoudre ces problèmes en imposant des amendes importantes – jusqu’à 6% du chiffre d’affaire annuel – aux plateformes qui ne respectent pas les réglementations. Cependant, il est encore récent et il faudra du temps pour voir des résultats concrets. Si Temu est condamnée, on aura un vrai premier cas d’école. Mais, avec les procédures de contestation et recours possibles, l’imposition d’une telle amende risque bien d’être reportée à au mieux 2026, voire bien plus tard. Entre-temps, le secteur européen du retail sera bien secoué, les centres commerciaux vont se vider, et une bonne partie des pure-players en e-commerce vont devoir fermer leurs webshops.

Pensez-vous qu’il y a trop de réglementations et de textes législatifs concernant le commerce électronique en Europe ?

Je crains que le secteur soit compliqué et qu’il n’y ait pas de solution simple. Il y a trop de lois et de textes législatifs, ce qui crée une ‘lasagne institutionnelle’. Il ne s’agit pas de supprimer toutes les règles, mais de réfléchir à des mécanismes plus efficaces. Le problème est que la Commission européenne n’a pas tous les leviers nécessaires pour le contrôle et les sanctions. De plus, les services sont en sous-effectifs, ce qui rend difficile l’application des nouvelles règles. Il faut donc trouver un équilibre pour que les règles soient à la fois efficaces et applicables rapidement.

Pensez-vous que des craintes de représailles géopolitiques empêchent l’Europe de prendre des mesures plus strictes contre des acteurs comme Temu ?

Il y a peut-être une crainte de représailles géopolitiques. L’Europe veut maintenir une image d’ouverture commerciale, ce qui pourrait expliquer pourquoi les actions sont souvent retardées ou insuffisantes. Cette situation complexe nécessite une réflexion approfondie et des mécanismes plus efficaces pour protéger les consommateurs sans compromettre les relations internationales.

Y a-t-il quand même des exemples positifs de collaboration entre une plateforme internationale et les autorités européennes ?

Certaines marketplaces respectent bien les réglementations économiques, de sécurité des produits, et fiscales. Un exemple positif est celui d’Alibaba. Il y a deux ou trois ans, Alibaba était souvent cité pour ses pratiques problématiques. Mais depuis, la plateforme a montré une volonté de collaborer davantage avec les autorités européennes. Cette évolution est encourageante et montre qu’il est possible pour ces acteurs de se conformer aux réglementations européennes. C’est un signe que, avec la bonne approche, même les plus grands acteurs peuvent s’adapter et respecter les règles.

Comment les consommateurs peuvent-ils se protéger ?

Les consommateurs peuvent se protéger en étant bien vigilants et en vérifiant les avis et les réductions proposées par les sites de commerce électronique. Ils peuvent également privilégier les achats auprès de commerces européens ou plus locaux qui sont soumis à des réglementations plus strictes et offrent des garanties légales.

70 enseignes belges unies pour défendre un e-commerce plus équitable

Un groupe de 70 enseignes commerciales belges, affiliées à Comeos (Fédération belge du commerce et des services), a adressé ce jeudi une lettre ouverte aux décideurs belges et européens pour demander des mesures contre les plateformes asiatiques en ligne telles que Temu et Shein. Les signataires estiment que ces plateformes enfreignent des législations cruciales, notamment en matière d’environnement et de droit des consommateurs. a lettre est signée par des entreprises telles A.S. Adventure, Colruyt, Carrefour, Club, Delhaize, e5, Exki, Fnac/Vanden Borre, Inno, Mediamarkt, Nespresso… mais aussi des magasins en ligne comme Amazon ou Bol.

Ces entreprises soulignent que les colis en provenance de l’extérieur de l’Europe, souvent de Chine, arrivent en Belgique sans subir de contrôles stricts. En 2024, un milliard de colis est prévu, et moins de 0,005% de ceux-ci sont contrôlés, contrairement aux commerçants belges qui subissent des contrôles réguliers. Cela présente un risque pour l’économie et la santé publique, car de nombreux produits ne respectent pas les normes européennes (notamment les normes CE).
Les entreprises demandent :
Des contrôles douaniers renforcés et une analyse des risques pour tous les commerçants, qu’ils soient physiques ou en ligne.
L’application de droits de douane sur les colis de moins de 150 euros.
Un Passeport de Produit Digital européen pour améliorer la traçabilité des produits.
L’application stricte du Digital Services Act (DSA) et du Digital Markets Act (DMA) pour encadrer les grandes entreprises technologiques et protéger les droits des consommateurs.
Ces mesures visent à rétablir des règles du jeu équitables et à garantir une concurrence loyale.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content