Les marques chinoises comme Labubu ne sont plus les vilains petits canards des rayons. Elles séduisent désormais un public de plus en plus large, tant sur le marché intérieur qu’à l’international.
Les poupées Labubu, devenues cultes, sont difficiles à se procurer. Même dans le magasin phare de Pop Mart à Shanghai, les clients doivent parfois patienter une semaine ou plus. Ces figurines souriantes, vendues dans des « boîtes surprises » laissant planer le mystère sur le modèle acheté, coûtent 20 dollars. Mais certains exemplaires rares ont récemment été adjugés à 150.000 dollars lors d’enchères. Ce ne sont plus seulement les enfants chinois qui en raffolent : des célébrités comme David Beckham ou Rihanna en sont aussi fans.
La frénésie autour des poupées Labubu a propulsé l’action de Pop Mart, qui a bondi de 180 % depuis le début de l’année. La marque est emblématique d’un changement plus large : les consommateurs chinois, longtemps tournés vers les marques étrangères, se tournent désormais vers des entreprises locales dans des secteurs comme la cosmétique, la mode ou les boissons. Et bon nombre de ces marques commencent aussi à séduire à l’étranger.
Une montée en gamme stimulée par un consommateur plus exigeant
Cette vague de succès intervient dans un contexte paradoxal. La croissance économique chinoise ralentit, poussant les ménages à modérer leurs dépenses. Ce contexte difficile favorise pourtant l’essor de marques locales aux prix compétitifs, mais tout de même de qualité.
Des chaînes de café chinoises comme Cotti et Luckin rivalisent avec Starbucks, à des prix souvent moitié moindres. Le joaillier Laopu Gold séduit avec des bracelets et boucles d’oreilles bien moins chers que ceux de Tiffany & Co. La marque de sacs à main Songmont investit dans des campagnes publicitaires ambitieuses dans les aéroports pour concurrencer les enseignes étrangères, parfois deux fois plus chères.
Mais ce n’est pas uniquement le prix qui explique l’engouement. De plus en plus de consommateurs acceptent de payer autant, voire plus, pour des produits locaux. La chaîne de thés Chagee, introduite en Bourse à New York en avril, vend ses boissons phares entre 15 et 20 yuans (2 à 3 dollars), équivalentes aux offres premium de Starbucks en Chine. Le segment automobile qui croît le plus vite dans le pays est celui des véhicules dits d’entrée de gamme « luxe » qui propose des véhicules entre 200.000 et 400.000 yuans. Si des marques étrangères dominaient auparavant ce marché, elles sont désormais concurrencées par des acteurs chinois comme NIO et Li Auto.
Revendiquer une identité chinoise : un atout commercial
Les consommateurs chinois sont aussi beaucoup moins tentés par biens venus de l’étranger uniquement parce qu’ils viennent d’ailleurs. Contrairement aux stratégies d’imitation occidentale d’autrefois, des marques comme Laopu ou Chagee mettent désormais en avant leur identité chinoise. Une stratégie qui paie.
Laopu, qui conçoit des bijoux en or au style typiquement chinois, a vu son chiffre d’affaires par boutique dépasser les 300 millions de yuans — au moins 50 % de plus que la plupart de ses concurrents étrangers. Introduite en Bourse à Hong Kong il y a un an, l’entreprise a vu son action grimper de plus de 2.000 %. Selon Amber Zhang, du cabinet BigOne Lab, les marques occidentales occupaient jusqu’ici une position par défaut, faute d’alternatives locales. Mais cela ne signifiait pas pour autant que les consommateurs chinois se reconnaissaient dans leurs designs ou leurs messages culturels.
Des fans affirment même que les matériaux et le design de Laopu surpassent ceux de nombreuses marques étrangères, malgré des prix inférieurs. Ce phénomène illustre un changement plus profond : les acheteurs chinois sont aujourd’hui mieux informés, notamment grâce aux réseaux sociaux.Beaucoup ont le sentiment d’avoir été floués par des entreprises étrangères qui pouvaient vendre à des prix excessifs simplement parce qu’elles n’étaient pas chinoises.
Désormais, les jeunes scrutent les étiquettes à la recherche de produits locaux avec des ingrédients actifs identiques, mais bien moins chers.
Cette évolution a aussi bénéficié à Mao Geping, fabricant chinois de cosmétiques, qui a levé 300 millions de dollars lors de son introduction en Bourse à Hong Kong en décembre. Depuis, le cours de l’action a grimpé de 250 %. Longtemps cantonnées au bas de gamme, les marques locales commencent à s’imposer sur les segments premium, Mao Geping figurant désormais dans le top 10 des marques de maquillage haut de gamme en Chine.
Des marques ancrées dans les villes secondaires… et tournées vers le monde
Alors que les marques étrangères se concentrent sur les grandes villes, les enseignes locales s’ancrent dans les zones moins peuplées. Chagee, par exemple, a ouvert sa première boutique à Kunming (Yunnan) en 2017, et reste majoritairement implantée dans les villes loin des régions côtières plus riches. La chaîne de soft Mixue est née dans l’une des provinces les plus pauvres. Et comme elle, de nombreuses chaînes de fast food se sont d’abord développées dans les petites villes avant de viser Pékin ou Shanghai.
Le groupe hôtelier chinois H World prévoit d’ouvrir la moitié de ses nouveaux établissements dans des villes de troisième ou quatrième niveau, selon son responsable stratégique He Jihong. À l’inverse, les chaînes internationales restent peu présentes dans ces zones. Résultat : le taux d’occupation des hôtels H World a dépassé 80 % en 2024, contre moins de 70 % pour Marriott.
Les marques étrangères en Chine tentent de résister à leurs nouveaux concurrents. La chaîne de cafés italienne Lavazza a essayé de vendre du café au nid d’oiseau, mais avec un succès limité. Des entreprises occidentales comme Häagen-Dazs et Starbucks envisageraient, selon certaines sources, de faire appel à des investisseurs locaux pour leurs activités chinoises, dans l’espoir de capter de nouvelles idées.
Mais la menace concurrentielle ne se limite pas à la Chine. Pop Mart possède désormais des magasins dans plus de vingt pays, dont au moins 37 aux États-Unis. Mixue est présente dans toute l’Asie du Sud-Est. De son côté, Chagee prévoit d’ouvrir plus de 1.300 boutiques hors de Chine d’ici la fin 2027. Selon les analystes, plus ces marques gagnent en reconnaissance à l’étranger, plus elles deviennent populaires en Chine. La viralité des poupées Labubu sur les réseaux sociaux occidentaux dope leur popularité en Chine.
Pendant des décennies, les tendances de consommation venaient de l’étranger. Cette époque pourrait bien toucher à sa fin.