Le mandat de protection extrajudiciaire, une protection sur mesure pour ceux qui ne peuvent plus se protéger
Si de plus en plus de personnes planifient leur succession, peu se préparent à une situation inattendue dans laquelle ils deviendraient invalides. Une situation que l’on peut pourtant prévoir grâce à un instrument utile.
Organiser sa succession patrimoniale est un réflexe qui s’ancre dans les habitudes. Peu de personnes en revanche envisagent le cas où elles pourraient devenir invalides de manière inattendue. Dans le cas où une personne – le mandant – devient invalide, il ou elle habilite une ou plusieurs personnes – les mandataires – à prendre des mesures concernant les biens ou les soins personnels.
“Cette incapacité ne doit pas nécessairement résulter d’une maladie de la vieillesse. Elle peut aussi frapper des jeunes, qui peuvent par exemple tomber dans le coma après un grave accident”, explique Ayfer Aydogan, avocate chez ECBG et spécialiste de la planification successorale.
Un instrument pour tout le monde
Celle-ci dissipe d’emblée certains malentendus au sujet du mandat de protection extrajudiciaire. “Il s’agit d’un instrument très général qui garantit que quelqu’un pourra gérer vos biens si vous n’êtes plus en mesure de vous en occuper vous-même. Il n’est pas nécessairement lié à votre succession. Je peux recommander à tout client que je rencontre, pour quelque raison que ce soit, d’établir un mandat de protection extrajudiciaire”, indique-t-elle. “On n’est jamais trop vieux ou trop jeune pour demander un tel mandat”, ajoute le notaire Frederik Vandenbriele.
Pourtant, ce sont surtout les personnes âgées qui souscrivent des mandats de protection extrajudiciaire. “Les plus de 85 ans le font surtout pour des raisons administratives. Lorsqu’une personne entre dans une maison de retraite, la première question est souvent de savoir s’il existe un mandat. Les mandataires peuvent alors s’occuper des aspects administratifs, explique Frederik Vandenbriele. Les sexagénaires et les septuagénaires ont un peu plus l’habitude de donner l’accès à leur patrimoine à leurs enfants. Ces personnes sont donc plus ouvertes à la protection extrajudiciaire. Pour les quinquagénaires, les quadragénaires et les plus jeunes, nous concluons beaucoup moins ce type de mandats.”
“L’incapacité n’est pas nécessairement le résultat d’une maladie de vieillesse. Cela peut arriver aux jeunes aussi.” – Ayfer Aydogan, avocate
Selon les derniers chiffres de Fednot, la fédération des notaires, un demi-million de procurations ont déjà été conclues depuis 2014, année où le mandat de protection extrajudiciaire est entré dans la loi. On en recense même 100.000, rien qu’en 2023. On compte 6,2 millions de Belges âgés de plus de 40 ans, âge symbolique à partir duquel un mandat peut être envisagé. Il y a donc encore du chemin à parcourir.
Plus qu’un simple instrument fiscal
La mandat de protection extrajudiciaire prouve son utilité surtout dans des circonstances inattendues. “Vous vous assurez que dans les cas où vous n’êtes plus en mesure de vous occuper de certaines choses, elles puissent être organisées en votre nom, comme une donation à vos enfants ou la vente de votre entreprise, détaille l’avocate Ayfer Aydogan. Par exemple, certains parents font don d’une partie de leurs biens à intervalles réguliers. Supposons qu’ils donnent une partie aujourd’hui et prévoient de transmettre une autre partie dans 10 ans. Mais si l’un d’entre eux devient invalide au cours de cette période de 10 ans, cette donation ne pourra pas toujours aboutir si l’autre partenaire n’a pas été habilité à le faire.”
Dans de telles circonstances, l’impact d’un mandat de protection extrajudiciaire peut être important. “Il permet, par exemple, de continuer à transmettre des biens mobiliers dans les heures précédant le décès à un taux de donation réduit de 3% ou des actions d’une société familiale à un taux de 0%. Alors qu’après le décès, ces biens seraient soumis aux traditionnels taux de succession plus élevés. Si le nombre de biens est important, il y a forcément une grande différence”, analyse Ann Maelfait, avocate chez Rivus et spécialisée dans les affaires de succession. Si les donations sont importantes, il est conseillé de provisionner les droits de donation à l’avance, ajoute notre interlocutrice.
Les avantages ne sont pas seulement fiscaux : “D’un point de vue administratif, cela permet également de réaliser des économies. Par exemple, après une telle donation, il n’est plus nécessaire de régler une succession en indivision car elle est alors réglée avant le décès. Cela permet d’avoir l’esprit tranquille”, poursuit Ann Maelfait. “Outre les cas de planification successorale pour les générations futures, le mandat de protection extrajudiciaire peut s’avérer utile pour toutes sortes de pratiques quotidiennes dans la vie des citoyens ordinaires”, ajoute Ayfer Aydogan.
Indépendant du régime matrimonial
Ce mandat de protection est aussi indépendant du régime matrimonial des partenaires. “Dans les couples mariés sous le régime de la séparation des biens, l’un ne peut pas accéder aux biens de l’autre lorsque celui-ci devient invalide. C’est là que le mandat de protection extrajudiciaire peut devenir utile”, poursuit-elle.
Mais cet instrument sert aussi aux couples mariés sous le régime de la communauté de biens. “S’il n’y a pas de mandat de protection, l’autre personne peut toujours gérer les biens communs, mais pas certains cas d’importance comme la vente de la maison familiale. Pour cela aussi, il faut disposer d’un mandat de protection extrajudiciaire”, soulignent Ann Maelfait et le notaire Frederik Vandenbriele.
La première ajoute que pour les personnes disposant d’un patrimoine important, ce mandat est même indispensable. “Ce n’est pas seulement l’importance du patrimoine, mais aussi son contenu qui est important pour envisager de conclure un tel mandat, explique l’avocate Ann Maelfait. Supposons que le patrimoine contienne des actions d’entreprises familiales. Vous devez réfléchir à ce qu’il faut en faire si vous vous retrouvez en situation d’incapacité. Le mandat de protection peut être utilisé pour continuer à voter, par exemple, à l’assemblée générale.”
Conflits d’intérêts
La confiance est une condition déterminante pour les personnes qui concluent un mandat de protection. “Vous devez avoir une entière confiance en les personnes à qui vous l’accordez, explique Frederik Vandenbriele. Supposons que l’un de vos enfants ait des problèmes financiers ou une dépendance quelconque, il n’est pas conseillé de l’inclure dans le mandat. C’est un instrument très utile, mais qui doit être placé entre de bonnes mains.”
Il ne faut cependant pas exclure complètement les personnes pouvant poser potentiellement problème. “Je connais une famille où l’un des enfants avait une addiction au jeu et avait lui-même indiqué qu’il ne souhaitait pas se voir confier un mandat. Les parents ont résolu ce problème en obligeant les autres fiduciaires à divulguer à cette personne toutes les opérations qu’ils effectuaient. La personne ayant refusé le mandat gardait un droit de regard et était informée de tout, mais sans pouvoir agir elle-même sur les actifs”, raconte Frederik Vandenbriele. “Il faut toujours vérifier auprès du mandataire s’il veut faire cela”, soutient Ann Maelfait.
“C’est un instrument très utile, mais il faut qu’il tombe entre de bonnes mains.” – Frederik Vandenbriele, notaire
Il faut aussi veiller à éviter les conflits d’intérêts. Par exemple, les enfants qui pourraient s’offrir des cadeaux en profitant du mandat de protection extrajudiciaire. “Pour ces cas, il est possible d’inclure un mandataire ad hoc dans la procuration. C’est une pratique courante”, détaille l’avocate Ayfer Aydogan.
Il est également essentiel que les souhaits du mandant soient respectés. “Le mandataire doit agir dans l’intérêt du mandant et non dans son propre intérêt. Dès que cela se produit, quelqu’un de l’entourage peut poser la question auprès du juge de paix, qui peut même annuler le mandat de protection et nommer quelqu’un d’autre”, ajoute Ayfer Aydogan.
Personnalisation
La rédaction d’un mandat de protection extrajudiciaire est un exercice d’imagination. “Il faut imaginer différents scénarios pour les différentes étapes de la vie, explique Ann Maelfait. Vous pouvez faire exécuter votre mandat par quelqu’un d’autre lorsque vos enfants sont encore mineurs, et les désigner mandataires à partir d’un certain âge. Tenir compte de ces étapes de la vie et de ces scénarios dans votre mandat permet de lui donner la plus longue durée de vie possible. Il est également conseillé d’étudier ces différents scénarios à l’avance, lorsqu’il n’y a pas d’urgence.”
“En prenant en compte toutes les étapes de la vie dans votre mandat de protection, vous lui donnez une longue durée de vie.” – Ann Maelfait, avocate
Ces cas de figure permettent une grande personnalisation. “Un mandat de protection extrajudiciaire donne l’autorité sur les biens et les soins personnels, mais il n’est pas nécessaire que ces deux éléments soient confiés à la même personne. “Certains souhaitent que les décisions concernant les biens soient prises par le conjoint, et celles concernant les soins par tous les enfants ensemble, ou vice versa, confie l’avocate Ann Maelfait. Par exemple, certains entrepreneurs confient les décisions à prendre concernant leur entreprise à un comité de personnes de confiance. Il est clairement possible de répartir les pouvoirs de manière précise et de désigner quelles personnes ou quel groupe de personnes doivent prendre en charge tel ou tel aspect du mandat.”
La personnalisation est également possible en ce qui concerne les décisions en matière de soins. “Pour ces derniers, vous pouvez inclure toutes sortes de souhaits, par exemple celui d’être soigné à domicile le plus longtemps possible ou celui d’être soigné dans un centre spécialisé qui se situerait dans un certain rayon autour de votre lieu de résidence, explique le notaire Frederik Vandenbriele. En revanche, les aspects concernant l’euthanasie ou les souhaits de fin de vie ne peuvent pas figurer dans les mandats de protection extrajudiciaire.” Il n’existe d’ailleurs pas deux mandats identiques en matière de soins de santé et il s’agit souvent de documents volumineux. “Ils peuvent facilement atteindre 25 à 30 pages, définissant clairement tous les mandats”, indiquent les experts.
La rédaction d’un mandat de protection extrajudiciaire auprès d’un notaire vous coûtera entre 210 et 320 euros, selon les données de la Fédération des notaires. Montant auquel il faut ajouter les frais administratifs. Les personnes qui confient la rédaction d’un mandat complet et personnalisé à un avocat spécialisé paieront les honoraires de ce dernier. De plus, il est conseillé d’inscrire chaque mandat de protection au Registre central des contrats de mandat – ce qui coûte un peu moins de 20 euros – afin de s’assurer qu’il pourra être activé en cas de besoin.
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