Comment identifier un “vrai” fonds durable
Alors que les produits d’investissement durable ont le vent en poupe, l’exclusion de Tesla du S&P 500 ESG suscite la polémique. Une de plus, alors que cet indice durable intègre plusieurs groupes pétroliers. Voici comment vous assurer des qualités d’un fonds ou ETF en matière de durabilité.
Les investisseurs sont de plus en plus friands d’investissements durables intégrant les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance). Selon Bloomberg Intelligence, ces actifs devraient atteindre 41.000 milliards de dollars cette année, en hausse de 80% en six ans. Cette croissance devrait ralentir, mais les analystes prévoient que le cap des 50.000 milliards dollars sera tout de même franchi d’ici 2025. L’ESG représentera alors un tiers de l’ensemble des actifs sous gestion dans le monde.
Historiquement, la gestion ESG était surtout concentrée en Europe. Jusqu’en 2018, le Vieux Continent représentait ainsi plus de la moitié des actifs ESG sous gestion. Les Etats-Unis ont toutefois connu une très forte croissance ces dernières années et s’imposent en nouveaux leaders avec 20.000 milliards d’actifs ESG prévus cette année, selon Bloomberg Intelligence.
Les indices ESG ont ainsi un poids de plus en plus important sur les marchés. Ils peuvent en effet tant servir de référence pour les fonds et solutions de gestion durables que de base pour les fonds indiciels ESG.
Ces solutions indicielles (ETF, trackers) ont justement le vent en poupe comme l’explique Adeline Diab, responsable de la recherche ESG de Bloomberg Intelligence. “La croissance des ETF ESG est conforme à notre scénario optimiste (croissance de 35%). Nous prévoyons que 1.300 milliards de dollars seront investis dans ces ETF à l’échelle mondiale d’ici 2025. Les actifs cumulés des ETF ESG ont atteint plus de 360 milliards de dollars en 2021. Bien que cela représente juste 4% des actifs mondiaux des ETF, l’ESG a capté plus de 10% des flux mondiaux des ETF en 2021.”
“Arnaque scandaleuse”
Pour une entreprise, être repris ou pas dans un indice ESG peut donc représenter d’importants flux d’investissement, comme on l’a vu la semaine dernière avec le S&P 500 ESG, qui filtre l’indice phare américain S&P 500 suivant des critères de durabilité. Après l’annonce de son éviction, Tesla a chuté de 6,8% et Elon Musk a parlé d’une “arnaque scandaleuse”. Margaret Dorn, responsable des indices ESG chez S&P Dow Jones Indices, explique cette exclusion par la faible note ESG, dans le quartile inférieur de son secteur, du fabricant de voitures électriques.
Comment expliquer qu’une entreprise dont la mission déclarée est d’accélérer la transition du monde vers les énergies durables soit si mal classée? Magaret Dorn évoque plusieurs raisons. Tout d’abord, “le secteur automobile a connu une amélioration de son score ESG. Bien que la note de Tesla soit restée relativement stable d’une année sur l’autre, l’entreprise a donc reculé dans le classement”. Ensuite, parmi les facteurs propres, “on peut citer une baisse des scores au niveau des critères liés à la (non-)stratégie de réduction des émissions de carbone de Tesla et aux codes de conduite des affaires. En outre, une analyse des médias et des parties prenantes” a identifié deux risques de controverses: “Les allégations de discrimination raciale et de mauvaises conditions de travail dans l’usine Tesla de Fremont (Californie) ainsi que sur la gestion de l’enquête de la NHTSA (agence fédérale américaine en charge de la sécurité routière, Ndlr) après que de multiples décès et blessures ont été reliés à ses véhicules à pilotage automatique”.
En résumé, S&P Dow Jones Indices n’évalue pas uniquement l’impact environnemental des produits commercialisés par Tesla, mais un ensemble de critères ainsi que les politiques/stratégies y afférentes.
Ajout de groupes pétroliers
Cette diversité de critères et l’importance de la gouvernance expliquent aussi que le S&P 500 ESG inclut notamment différents groupes pétroliers. Le géant pétrolier Exxon Mobil est ainsi à l’heure actuelle la neuvième valeur en importance de l’indice qui inclut également depuis peu Marathon Oil ou Baker Hughes, important groupe parapétrolier (services, équipements, etc.) mondial.
Cela tranche avec la direction prise notamment par le vénérable indice Dow Jones. En 2020, Exxon Mobil en a effet été exclu après 92 ans et remplacé par le spécialiste des logiciels de gestion sur le cloud Salesforce. Pavel Molchanov, analyste chez Raymond James, expliquait alors que l’éviction d’Exxon Mobil et la réduction du poids du secteur énergétique dans le Dow Jones témoignaient “des préoccupations concernant le pic éventuel de la demande de pétrole et des objections liées à l’ESG concernant les combustibles fossiles en général”.
A l’heure où le changement climatique est la préoccupation première de l’humanité, la direction prise par le S&P 500 ESG a de quoi surprendre. D’autant que fin 2020, l’agence Bloomberg dévoilait un document interne du géant pétrolier selon lequel ses émissions de CO2 augmenteraient de 17% entre 2017 et 2025, à 143 millions de tonnes, même en tenant compte des initiatives de réduction de ses émissions.
Zach Stein, responsable des investissements de Carbon Collective, société d’investissement axée sur le changement climatique, se montre particulièrement virulent: “L’exclusion (de Tesla) sape complètement le concept d’ESG dans son ensemble”. L’entreprise est “leader de l’une des solutions essentielles” pour réduire les émissions “alors qu’Exxon Mobil est l’un des principaux contributeurs au changement climatique”.
Approche “best-in-class”
Raymond McConville, porte- parole de S&P, se défend en soulignant que l’objectif de l’indice “est de maintenir une pondération globale des secteurs industriels similaire à celle du S&P 500 tout en améliorant le profil de durabilité global”. En d’autres termes, la méthode de notation ESG ne vise qu’à retirer les moins bons élèves de chaque secteur, peu importe les caractéristiques intrinsèques du secteur concerné.
“Le S&P 500 ESG est un indice élargi”, mais la société a aussi mis au point des indices plus stricts et thématiques (énergie propre, gestion de l’eau, etc.), poursuit Raymond McConville.
Cette ixième polémique illustre à nouveau toute la problématique des investissements durables.
En ciblant uniquement des entreprises avec un impact positif pour tous les aspects, l’univers d’investissement se réduit comme peau de chagrin. In fine, cela concerne ainsi essentiellement des fonds (indiciels) thématiques.
Pour atteindre la diversification suffisante pour un portefeuille d’actions global, il est nécessaire d’élargir le spectre en optant pour une approche dite best-in-class (meilleurs élèves de la catégorie). Cette dernière consiste toutefois souvent à uniquement supprimer les moins bons élèves suivant une batterie de critères communs à l’ensemble des secteurs d’activité.
Eviter l’écoblanchiment
Il est ainsi difficile pour un indice ou un fonds durable élargi d’échapper aux soupçons d’écoblanchiment. On le sait, pour y répondre, l’Union européenne a adopté le règlement SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) qui prévoit notamment trois catégories de produits d’investissement. D’abord les produits relevant de l’article 6 qui ne mettent en avant aucune caractéristique durable et investissent donc dans les titres de tous types d’émetteurs (entreprises, Etats, etc.). Ensuite les produits article 8 qui promeuvent des caractéristiques environnementales et ou sociales, ce qui englobe la plupart des solutions best-in-class. Enfin, les produits article 9 qui ont un objectif de durabilité ciblant des émetteurs/émissions de titres avec un impact positif, une catégorie dans laquelle on retrouve des fonds thématiques et d’obligations vertes dans le domaine obligataire.
Cependant, l’objectif semble ne pas avoir été atteint, selon le spécialiste de l’analyse de fonds Morningstar. “L’absence de directives claires a donné lieu à différentes approches”, ce qui “entraîne de la confusion et des problèmes de greenwashing et de social washing“.
Beaucoup de fonds articles 8 et 9 ont été affectés par le scandale de l’exploitant de maisons de repos Orpea, accusé de maltraitance et de malversations financières. Morningstar épingle également que seuls 22% de ces produits supposés durables n’étaient pas exposés au secteur pétrolier et gazier à la fin septembre 2021, beaucoup y ayant investi durant l’année 2021 en pleine hausse des cours du pétrole.
Les analystes soulignent enfin également qu’en moins d’un an, pas moins de 1.800 fonds sont passés de l’article 6 à l’article ou 9 et de l’article 8 à l’article 9. Et aucun n’a fait le chemin inverse.
Morningstar a elle-même retiré pas moins de 1.200 produits article 8 et 9 de sa sélection de produits durables, jugeant leur “langage ambigu”. Et cela ne risque pas de s’améliorer. Fin 2021, les produits articles 8 et 9 pesaient déjà 4.000 milliards d’euros, soit 42% des encours totaux (hors fonds monétaires) en totaux. Dans les prochains mois, ils devraient passer le cap des 50%.
Vérifier les labels
Faut-il se résoudre à abandonner ses convictions lorsque l’on investit? Pas nécessairement, mais cela exige un peu plus d’engagement qu’un simple classement article 8 ou 9. Le premier indice de fiabilité, ce sont les labels. Febelfin, la fédération du secteur financier, a créé le label Towards Sustainability pour la Belgique. Cela n’élimine pas complètement le risque d’écoblanchiment, ni de polémique, autorisant notamment les investissements dans le secteur pétrolier. Mais cela renforce la crédibilité. Le label de finance solidaire de Financité/Fairfin est beaucoup plus strict, couvrant les trois dimensions ESG et requérant de favoriser la solidarité par le financement de l’économie sociale. Il est ainsi beaucoup plus spécifique et concerne jusqu’à présent des entreprises coopératives.
En France, il existe également le label ISR – qui n’exige toutefois des fonds qu’ils ne se distinguent que sur deux indicateurs au choix – et en Allemagne, le FNG Siegel a l’avantage d’offrir une gradation via un code couleurs.
Plus précise et largement disponible (pour à peu près tous les fonds disponibles en Belgique), l’évaluation de durabilité de Morningstar rassemble une note globale (de 1 à 5), une appréciation relative, un détail pour les grandes composantes du portefeuille et par catégorie ESG (environnement, social, gouvernance) ainsi qu’un indicateur carbone. Elle se base sur l’analyse des titres réalisée par Sustainalytics, spécialiste de l’analyse ESG racheté par Morningstar.
Retenez toutefois que la crainte d’un rendement inférieur ne doit pas vous freiner. Par rapport au S&P 500, l’indice S&P 500 ESG affiche une performance supérieure tant sur un an que sur dix ans. Et il en va de même pour l’indice mondial MSCI World ESG Leaders Index qui affiche un rendement annualisé de 11,17% sur cinq ans contre 10,74% pour le MSCI World classique.
41.000 milliards
En dollars, le montant des actifs sous gestion affichant le label ESG à la fin cette année. Ce montant devrait dépasser les 50.000 milliards en 2025.
10 principes
Pour appréhender au mieux les qualités de durabilité d’un fonds ou ETF avant d’y investir, il demeure indispensable de vérifier par soi-même les détails de la politique d’investissement en matière ESG. Elle est traditionnellement axée suivant deux leviers. Le premier, ce sont les exclusions, surtout sectorielles: les armes, le tabac et le charbon thermique constituent le minimum minimorum. Il existe également des exclusions normatives, généralement basées sur les 10 principes du Pacte mondial des Nations unies:
1. Promouvoir et respecter la protection du droit international relatif aux droits de l’homme
2. Veiller à ne pas se rendre complices de violations des droits de l’homme
3. Respecter la liberté d’association et reconnaître le droit de négociation collective (syndicats)
4. Contribuer à l’élimination de toutes les formes de travail forcé ou obligatoire
5. Contribuer à l’abolition effective du travail des enfants
6. Contribuer à l’élimination de toute discrimination en matière d’emploi et de profession
7. Appliquer l’approche de précaution face aux problèmes touchant l’environnement
8. Promouvoir une plus grande responsabilité en matière d’environnement
9. Favoriser la mise au point et la diffusion de technologies respectueuses de l’environnement
10. Agir contre la corruption sous toutes ses formes
Le deuxième levier est la sélectivité dans les titres: approche best-in-class suivant quelles modalités, thématiques, etc.
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