Calme sans précédent sur les marchés financiers : les investisseurs n’ont plus aucune crainte
Il y a tellement peu de mouvement sur les marchés que beaucoup de stratèges s’inquiètent. “La plus grande peur parmi les investisseurs est de passer à côté du rallye”, explique le spécialiste des marchés Philippe Gijsels. “Cela devrait déclencher des sonnettes d’alarme.”
Le contraste ne pouvait pas être plus grand. Alors que le monde financier commémorait le Lundi Noir, la baisse de l’indice Dow-Jones la plus importante enregistrée en un jour il y a trente ans, la bourse américaine de Wall Street clôturait inchangée, malgré les troubles en Espagne.
C’était symptomatique du climat boursier. Jamais auparavant il n’a fait aussi calme sur les marchés. La référence la plus utilisée pour la volatilité, l’indice VIX (Volatility Index), qui mesure le nombre de variations prévues par les investisseurs pour l’indice S&P500, se situe à son niveau le plus bas.
C’est si calme sur les marchés que beaucoup de stratèges s’inquiètent.
A la bourse de Bruxelles, la dernière fois que le Bel-20 a perdu plus de 5% remonte au 24 juin de l’an dernier, le jour qui a suivi le résultat surprenant du référendum sur le Brexit. Depuis lors, rien n’a pu perturber l’investisseur. “Deux fusées nord-coréennes ont survolé le Japon et nous n’avons reçu aucun coup de téléphone inquiet ici”, témoignait un banquier d’affaires en faisant référence à Bloomberg. “C’est incroyable.”
C’est tellement calme sur les marchés que beaucoup de stratèges s’inquiètent. Certainement au vu des nombreux prix record – pas seulement au niveau des bourses, mais aussi sur les marchés obligataires, dans l’immobilier et pour d’autres actifs, du bitcoin aux voitures de collection. “J’ai encore rarement vu cela”, considère Philippe Gijsels, spécialiste en stratégie des marchés chez BNP Paribas Fortis. “Je pense que nous devons remonter aux années nonante et à la période précédant la bulle internet.” Pas une référence pour remonter directement le moral de l’investisseur.
There is no alternative (TINA)
L’explication au calme plat absolu sur les marchés est en partie identique à la justification du pourquoi il n’est pas si insensé que les bourses enchaînent les records. En premier lieu, l’économie va bien. Pour la première fois depuis la crise, il y a une croissance synchrone dans le monde.
Après de longues années où elle a pataugé, même la zone euro se redresse. “La croissance surprend, certainement en Europe”, relève Luc Aben, directeur en stratégie d’investissement chez Van Lanschot. “La crainte était que l’euro fort commence à peser, mais les derniers indicateurs ne montrent pas cela.”
Deuxièmement, il y a la faiblesse du taux d’intérêt. En conséquence, les investisseurs sont en quête d’une alternative au manque de rendement des livrets d’épargne ou des prudentes obligations. La seule option est de prendre davantage de risques, ce qui a donné lieu à un afflux d’argent stable vers les bourses. “TINA, l’abréviation pour there is no alternative“, selon Aben. “Cet effet joue déjà depuis des années, et il continue à le faire sans préjudice.”
Après chaque baisse, on achète tellement rapidement qu’il n’y a même plus de petites baisses.
Le calme plat sur les bourses a aussi des origines spécifiques. Ainsi, plus personne ne semble encore sujet au vertige. Gijsels parle d’une sorte de réaction pavlovienne, parce que chacun sait désormais que chaque baisse sur les bourses sera rapidement compensée. “Des investisseurs ont même acheté des actions espagnoles pour réagir aux troubles en Catalogne, ce qui fait que cette baisse n’a jamais vraiment eu lieu.” Dans le jargon de l’investisseur, on appelle cela Buy the dip. On achète tellement rapidement après chaque baisse qu’il n’y a même plus de petites baisses.
Le succès croissant des fonds passifs explique également le calme sur les marchés, estiment les spécialistes des marchés. Ces trackers copient les performances des actifs sous-jacents, souvent un indice d’actions ou un panier d’actions. Cela conduit également à un flux monétaire progressif, qui semble renforcer le climat boursier endormi. Du moins tant que cela se passe bien.
Petite brise ou tempête ?
Pas besoin d’être un gourou des marchés pour prévoir que la volatilité réapparaîtra un jour. La question est de savoir si le calme plat se maintiendra encore longtemps. Et apparaîtra-t’il alors une petite brise bienfaisante ou une grosse tempête ?
Le marché ne croit pas en un rapide retour de nombreux tumultes. Cela ne ressort pas seulement de l’indice VIX historiquement bas, mais aussi du comportement des investisseurs. Beaucoup de grands acteurs auraient adopté des positions qui leur permettraient de gagner beaucoup d’argent en cas de réapparition de la volatilité. Ces derniers mois, ils ont massivement abandonné ces positions. “Les commerçants n’ont encore jamais été aussi certains que la volatilité était morte”, titrait l’influent site web d’informations Business Insider.
Les investisseurs puisent leur sérénité dans l’accélération de l’économie et des bénéfices d’entreprises, et dans la certitude que le taux d’intérêt restera encore faible, même si les banques centrales appuient prudemment sur le frein. En conséquence, les actions restent relativement attrayantes.
Les commerçant n’ont jamais été aussi certains de la mort de la volatilité
En outre, une lourde correction des marchés ne tombe en général pas du ciel. “Même si les actions se trouvaient dans une bulle, on aurait dans ce cas besoin d’un couteau acéré pour la faire éclater. Mais je n’observe pas immédiatement de tel couteau”, poursuit Gijsels. “Vous vous attendriez ainsi que la crise catalane ait un plus grand impact, mais le marché est apparemment persuadé que cela va s’arranger.”
Les spécialistes en stratégie des marchés puisent finalement aussi leur optimisme dans la certitude que l’euphorie ne régne pas encore sur les bourses. Beaucoup d’investisseurs gardent encore des armes en réserve. “Il y a encore un tas d’argent tenu à l’écart pour voir venir une correction”, analyse Gijsels. “Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce rallye constant n’est pas un marché agréable.”
Cela peut sembler étrange, mais les investisseurs professionnels, qui attendent le bon moment d’achat ou qui vendent pour prendre un peu de profit, doivent expliquer à leurs clients pourquoi ils sont passés à côté du rallye. Il ne serait pas surprenant que le rallye de ces dernières années reste dans les manuels comme “le bull market (marché haussier) le plus détesté de l’histoire”.
Autosatisfaction
Peut-être bien que la principale raison pour laquelle personne ne prévoit de volatilité est tout simplement qu’il n’y a plus eu de volatilité depuis très longtemps. Mais cela ne signifie pas que cela ne peut pas revenir. Beaucoup de choses pourraient mal tourner et ensuite, cela peut subitement aller très vite. Les banques centrales se trouvent par exemple à un moment charnière et une erreur politique est vite faite. La situation géopolitique dans le monde pourrait aussi mettre le feu au poudre en un clin d’oeil.
Beaucoup de choses pourraient mal tourner et dans ce cas, cela pourrait subitement aller très vite
Une autre recette idéale pour une correction est l’autosatisfaction qui commence à poindre dans le rang des investisseurs. La bourse ne semble plus que monter, et donc toute raison est bonne pour acheter davantage. Ainsi, le récent rallye à Wall Street est en grande partie fondé sur l’espoir que le président Donald Trump diminuera drastiquement les impôts.
“On peut dire beaucoup de choses sur Trump, mais pas qu’il n’a pas ramené l’optimisme vers les marchés”, observe Aben. A Washington, ils s’en rendent compte. Le ministre des Finances Steven Mnuchin a mis en garde ses camarades de parti qu’ils feraient mieux d’approuver les plans, car ils pourraient sinon s’attendre à une solide correction.
Outre l’autosatisfaction sur les marchés, Gijsels épingle d’autres signaux inquiétants. Il observe ainsi que les commentateurs de marché se décarcassent pour donner malgré tout une explication logique au phénomène étrange de la faiblesse du VIX. “La volatilité est faible, pourquoi les prévisions devraient dès lors être plus élevées, ressort-il de leur raisonnement tortueux”, conclut Gijsels. “La plus grande peur sur les marchés est FOMO, pour fear of missing out ou la peur de manquer quelque chose. Cela devrait déclencher des sonnettes d’alarmes.
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